Les routes de la soie: Quelles ambitions?
Article publié in Revue Défense, Novembre-Décembre 2019
C’est au cœur de l’Eurasie à Almaty en 2013, que le président Xi Jinping annonce son objectif entre la Chine et le reste du monde. Derrière l'ambition affichée de lutter contre « les forces maléfiques » que sont le terrorisme, l'extrémisme et le séparatisme, l'idée est surtout de créer une « ceinture économique de la route de la soie » en améliorant les réseaux de transports, les moyens de communication, les transferts monétaires et bien entendu le commerce.
Un changement de paradigme : L’économie chinoise est depuis 2014 le premier PIB mondial.Si on le calcule en parité de pouvoir d’achat. L’écart n’a cessé de se creuser avec les États-Unis : 19,2 % du PIB mondial contre 15 % pour son rival. C’est également le premier exportateur mondial, et désormais également le premier importateur. On peut aussi rajouter la place de premier investisseur de la planète si on y inclut Hong-Kong. Pour autant, les États-Unis sont loin de vouloir abandonner son leadership. Chacun va tout faire pour garder ses positions. Entre puissance économique et puissance militaire, valeurs millénaires et défense de la démocratie. Dans cet affrontement à venir, il faut bien considérer que les autres puissances seront reléguées à la définition « théorique » d’un nouvel ordre mondial.
Belt and Road Initiative : Cette initiative comme elle a été baptisée, devrait permettre à la Chine de sécuriser ses approvisionnements en matière première depuis les pays en développement encore trop isolés et de sortir de l'isolement certaines de ses propres régions. Ports, routes, pipelines, voies ferrées et barrages devraient ainsi être construits dans toute l'Eurasie jusqu'au moins 2030. Un projet à 1 700 milliards de dollars par an (26 000 milliards de dollars au total) qui impliquerait près de 130 pays dans le monde et mettrait définitivement l'Empire du Milieu sur le devant de la scène. Les différents projets du BRI concernent au total 60 % de la population mondiale, 30 % du PIB et plus de 1/3 du commerce international, aussi bien en Asie, en Afrique, qu'au Moyen-Orient ou en Europe.
Les enjeux des Routes : Il s’agit a travers 3 dimmensions de metre en œuvre differents objectifs. Tout d’abord les routes maritimes : qui permettent de faciliter les échanges économiques et commerciaux entre l’Asie, l’Europe et l’Afrique en réduisant le coût et la durée du transport. Ensuite les routes ferroviaires : développer les infrastructures et les services logistiques entre l’Europe et les provinces chinoises de l’Ouest avec des trains à conteneurs et une offre de transport plus rapide que la voie maritime et moins coûteuse que l’avion. Enfin les routes digitales : avec l’installation d’infrastructures et de cables numériques pour densifier les flux et surpasser les réseaux existants, pour créer un marché digital global dans lequel la Chine pourra imposer ses propres normes.
Craintes économiques et environnementales : Ce projet suscite beaucoup d'inquiétudes. D’abord le financement qui risque d'être trop élevé pour beaucoup de pays, déjà endettés, c'est une sorte de néocolonialisme qui est pointé du doigt. Le FMI et la BCE prennent postions sur le risque de ces financements, et l’avantage donnée aux entreprises et aux banques chinoises pour leur mise en œuvre du projet. Il est aussi décrié pour son risque environnemental principalement sur son impact carbone.
Et pour nos entreprises ? Les sociétés françaises spécialisées dans les domaines de la construction, des transports ou encore les experts NTIC voient dans la BRI une opportunité en s’associant à différents projets de chemins de fer, de parcs industriels, portuaires et bien-sûr de logistique. Pourtant, le plus important, n’est pas de trouver des financements mais plutôt un business model qui fonctionne et qui sera durable. Quid de la stratégie internationale de la Chine et, a contrario, comment se faire accompagner dans sa propre stratégie internationale ? Un des éléments de réponse passe aussi par un autre constat : quelles solutions peut-on construire en commun, alliant compétition et partenariat ? La réponse est certainement différente pour chacune de nos entreprises : grands groupe, ETI, PME ou Start-up. A chacune d’entre elles de mesurer s’il est réaliste de les faire vivre, de les mettre en œuvre ou de ne pas jouer la partie.
Envoi : Les défis politiques de la Chine sont nombreux : le vieillissement de la population ; la très forte dépendance énergétique, indispensable à la croissance économique ; la dégradation de l’environnement liée à l’industrialisation accélérée ; les aspirations de liberté de la population. Les routes de la soie sont aussi une plateforme économique qui constitue une formidable opportunité pour nos entreprises, mais aussi un nouveau paradigme pour nos démocraties occidentales. Au pays des 36 stratagèmes, Xi Jinping s’est donné jusqu’en 2049, date du centième anniversaire de la fondation de la République populaire de Chine, pour achever son projet. Dans cette perspective, il faut donc allier partenariat et compétition. Ceci implique de se battre avec les mêmes armes, adopter le même pragmatisme et réapprendre le temps long.
Jean-Marc de Leersnyder & Philippe Pelé-Clamour, Professeurs à HEC Paris
Pour aller plus loin, nous recommandons l’étude très complète :
- « Enjeux et opportunités économiques des nouvelles Routes de la Soie », Jean-Paul Larçon et Corinne Vadcar, CCI Paris Ile-de-France, Étude, juin 2019: http://www.cci-paris-idf.fr/etudes/competitivite/nouvelles-routes-soie-4-podcasts-etudes
Mais aussi:
-Le Forum BRI des Conseillers du Commerce Extérieur de la France à Marseille le 19 décembre 2019.
cc
Universitaire et Consultant spécialiste du monde russophone
4 ansA lire et à méditer...