Pour les Designs UX/UI de l’ECV Nantes & autres marketing-com.

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Introduction.

Pour la seconde fois, je m’apprête à plaisamment enseigner à l’ECV de Nantes, c’est-à-dire à y donner un nouveau séminaire d’Introduction aux Sciences Sociales & Créatives. Et je pense préparer cette « visite » avec le texte suivant, bien qu’un autre suivra. Cette première narration sera donc comme une carte postale, envoyée depuis la Côte de Granit Roz, quand la prochaine sera plus solennelle (second support du séminaire, fin avril 2023).

Posons alors quelques bases pour « réfléchir ensemble » (quand penser est solitaire) :


I.

Les intellectuel.le.s expliquent les choses complexes avec complexité (1) et les designers devraient les expliquer avec simplicité ; mais ces « choses » restent systématiquement complexes et économiques. D’où la présence des sciences sociales pour agir, car seules des certitudes sur la complexité permettent l’action, en général, et le travail des designers, en particulier. L’ethnologie et les sciences cognitives, que je présente à l’ECV-Nantes, font partie de ces « certitudes nécessaires » aux designers — méthodologies et philosophie de la méthode — pour faire leur métier.


II.

Le design est un « business critique », mélioratif, mais non point un « business de la critique » ; cela, c’est le boulot des intellos. Le design est a) la créativité (humaine) plongée dans un contexte moderne particulier de production ou b) appartient au système capitaliste et à son mode de révolution permanente de la production (productivité, management, innovation-gadget et « innovation de rupture ») expliquée par Marx et Engels dès 1848 (2).


III.

Disons abusivement que la Science, en général, et l’ethnologie, pour ne parler que d’une Science Sociale de l’Homme (SSH), sont des processus proustiens — et inversement. Marcel Proust (et toute la littérature avant lui) était un « scientifique social » : il observait son petit monde, afin d’en tirer quelque chose d’esthétique alors ; c’est-à-dire de pouvoir en théoriser-esthétiser l’organisation et les rivalités. Comme la littérature, toute théorie scientifique est un « équilibre » ou une recherche de l’harmonie du vrai (et non de la « vérité »). Une fresque. Toute science est liée à une esthétique (« style » disait Max Weber) et à une éthique organisationnelle du Temps et du Monde.


IV.

Le problème des usages sociaux — ce qui intéressent les UX/UI (3) — de tels ou tels « moments humains » ou de telles ou telles situations sociales, ou installations et configurations quotidiennes, sont : des problèmes liés à un manque d’esthétisation du social, c’est-à-dire à un manque d’esthétisation des liens sociaux.

J’avance cela parce qu’il existe une esthétique sociale ou de la société, comme représentation d’elle-même (« miroir ») ou une agitation esthétique permanente aux niveaux micro-, méso- et macro-sociale : niveaux d’analyse des SSH. On parle aussi de stylisation du monde (et de soi, évidemment, avec la mode, la coquetterie, le sport, les régimes, le tatouage, etc.). Comme l’architecture, le paysagisme, la mode et la poésie, etc., le design, dans sa tradition la plus optimiste, et, parfois, critique (rationalisation), appartient à cette esthétisation du réel, à cette stylisation de la réalité et du quotidien. Voilà pourquoi on le dit « mélioratif ».

Le designer et entrepreneur Jean-Patrick Péché (Lyon-Paris-Nantes) définit, avec moi, le design comme une « science oblique et libertaire » plutôt que comme une « science libérale ». Quant à lui, le designer et entrepreneur Benoît Millet (Cagnes-Deauville-Nantes) parle très justement du design comme « formules de politesse ». Bref, le design est aussi une esthétisation des liens sociaux. (D’où son développement comme « management de projet » ou des équipes et celui du design thinking dans toutes les écoles de commerce...)

C’est bien joli tout ça, mais je n’ai pas encore parlé d’économie et de sens cognitif ; c’est-à-dire sérieusement :


V.

Nous nous ressemblons tous et toutes, et nous rassemblons alors (Tocqueville parlait d’« associationnisme ») ; mais non au sens d’une systématicité bienveillante ou d’une authenticité de cœur, mais bien au sens d’un partage de valeurs et de représentations : c’est-à-dire au sens de nos usages sociaux et de nos pratiques culturelles  — inclusives (solidarités) ou séparatives, exclusives (différences) et prohibitives. On parle d’« imaginaires socio-anthropologiques » communs (ou stratégiquement séparatistes). Il s’agit d’imaginaires à la fois évolutionnaires et (évidemment) culturels provenant de chaque région du monde et de chaque pays (« découpé ») plus petit. Mais encore et, surtout, il s’agit d’imaginaires culturels de classe d’appartenance objective (CSP/PCS) inscrites dans le système économique. On parle de modes de vie ou de socialisation, de comportements spécifiques aux classes et de croyances et d’aspirations de classe. On parlera aussi, en marketing, de « marché » et de « segmentation » des goûts, dégoûts et couleurs de classes...

Et alors !?...


VI.

Alors, nos achats et leurs usages — des plus petites acquisitions-gadgets à celles financièrement (très) importantes — sont exclusivement psychosociaux et socio-psychiques. (Lien entre l’ethnologie et les sciences cognitives, et toutes les SSH ici.)

a) « Exclusivement » signifie que nos achats et leurs usages s’inscrivent dans une dynamo-genèse pure d’échange (Durkheim, Simmel, Mauss) et/ou contradictoirement comme autocritique de notre psycho-position sociale = manifestation culturelle et cocasse de notre distance au rôle. (Après expertise dans notre rôle social, aplomb et confiance en soi ou capital symbolique fort, il s’agit d’une performance, parfois ironique, et d’un écart dans les attentes sociales prescrites-contraintes par notre placement dans la société ou notre statut social : nos manières d’être ceci ou cela). (Passage plus difficile à expliciter en séminaire.)

b) « Nos achats et leurs usages psychosociaux » signifie : leur sens va de l’individu vers la société. Code. Morale. Suivisme. Sentiment d’appartenance. Sentimentalisme. Hypersensibilité collective.

c) « Nos achats et leurs usages socio-psychiques » signifie : leur sens va de la société vers l’individu. Autoconscience. Sentiment social critique. Hypersensibilité plus personnelle.


VII.

Les achats et les usages des marchandises sont donc des signes et des scènes, sait-on depuis le Marx du Capital, l’école de Francfort et Roland Barthes, ou des « spectacles », depuis les situationnistes et Jean Baudrillard. Toute cette dramaturgie moderne se manifeste à elle-même sous les plis et les replis de milliards d’interactions nécessaires au spectacle de la société (Elias, Foucault, Voyer) comme cohésion micro-, méso- et macro-sociale : niveaux d’analyse des SSH. Cette « cohésion sociale » ou mise en scène d’elle-même et de toutes les configurations sociales est la stylisation du monde et l’esthétisation de chacun.e selon notre statut social et notre rôle dans la société, et notre potentiel écart (distance, ironie) par rapport à notre rôle culturel (genre) et social (classe) atteint (« réussite ») et/ou attribué (« héritage », coutumes).


VIII.

Tous les achats et tous les usages des personnes font alors circuler une « énergie sociale » (Russel, Bourdieu, Aglietta), c’est-à-dire des différences de potentiel entre les individus et leurs groupes culturels de classes (CSP). « Potentiel » au double sens du terme : aux sens physique et social ou la toute première définition de la sociologie comme « physique sociale » (et psychique). On parle plus communément de l’argent plutôt que de « différences de potentiel » et d’« énergie sociale ». Mais alors, si le « travail » est le sang de la société industrielle et post-industrielle, l’argent est, plutôt que les organes, les artères, les veines et les vaisseaux de la société marchande (concept non-organiciste).


IX.

Entre nous tous et toutes, il n’est donc rien que des interdépendances plus ou moins mimétiques et des rapports, et des relations, de prestige et d’admiration, par degrés : ou le travail de séparation (de division sociale et psychique) de l’argent comme « énergie pure » (Simmel) entre nous : ou la position sociale conférée par celui-ci, et inversement. L’argent comme puissance universel face au monde — c’est-à-dire la « puissance » de nos achats et de nos usages face à tous et toutes — est donc le sens de la vie sociale. Ou, plus exactement, le sens de la vie sociale est la circulation culturelle/violente de l’argent, circulation intégrative et/ou inégalitaire, c’est-à-dire une circulation théocratico-politique ou économico-théocratique : ce qui nous envoie à nos placements ou positions sociales, et à nos valeurs-croyances, etc. (A expliciter en séminaire.)



Une conclusion philosophique ? ou, Trois propositions ouvertes. (A expliciter en séminaire.)

1. La compréhension de l’être est le sens de l’être — la « compréhension » comme saisie bienveillante des choses et « l’être » comme présence au monde plus ou moins profonde, et existence de tout. (Le sens de la vie est la vie sociale plus ou moins « profonde » : cryptée-décryptée, intense et intensifiée.)

2. Le langage est le sens social de tout (et d’abord du langage). Or le langage, c’est (de) la Culture. Donc, le sens social, ce serait plutôt la Culture, mais aussi l’inverse : la Culture, c’est du sens social. C’est-à-dire des niveaux de « profondeur » et des niveaux de cryptage et de décryptage culturels. Dans la « culture », il s’agit donc de « quelque chose » de la « profondeur », mais également de « pyramidale » (stratification sociale). Indiscutablement les deux.

3. L’histoire humaine, c’est l’intériorisation de l’humanité ; mais qu’avons-nous fait ? Une question de « philosophie de la technique » comme Philosophie de l’Histoire

4. Conclusion théorique concise du Séminaire ECV UX/UI design de l’an dernier (2022), quand la conclusion créative (concise) sera toujours ad hoc (« sur mesure » et « ping-pong ») :

a) Parmi les Sciences Sociales de l’Humain ou de l’Homme (neutre), la Sociologie est une « science douce » douée d’un matérialisme modeste, mais historique (et statistique). Elle s’intéresse précisément à la psychologie libre ou non, des personnes jetées dans une même histoire ou époque industrielle donnée. Elle analyse et explique les faits collectifs et les phénomènes sociaux d’abord industriels ou ceux de la modernité.

b) Tout fait collectif-social et tout objet culturel ont des aspects matériels concrets (visibles et économiques), immatériels (« invisibles » et économiques) et cognitifs. (Auparavant, on parlait du langage et des rapports psycho-symboliques entre notre cerveau/esprit et l’extériorité, le « monde ».)

c) Tout fait collectif-social et tout « objet psycho-symbolique » appartiennent à des dynamiques historiques et économiques ou, autrement dit, à des constructions elles-mêmes enveloppées dans des imaginaires (positifs-résolutoires et/ou négatifs-critiques). (Cf. le schéma R(r)-S-I.) On définit et on explique ces dynamiques multiples (niveaux multiples d’observation) par des « forces » socio-psychiques et des contraintes sociales plutôt visibles.



Notes du texte :

(1) Lorsque l’on observe le monde et notre plus petit cosmos, on peut, avec Lénine et la droite libérale, parler de « petites gens », mais dans un sens noble et méthodologique alors : parce qu’il n’existe plus de « grandes gens ». Et les intellectuel.le.s non plus ne sont pas de grandes gens, quoiqu’ils connaissent mieux leur petitesse parfois purement mesquine et non solennellement pascalienne. (Quant à l’aspect « méthodologique » : je prétends faire une Anthropologie de l’Economie, mais sans jamais oublier une Sociologie de la vie quotidienne et une Philosophie des détails et des routines, c’est-à-dire des manières de cuisiner, de gringotter, de rire, de s’agacer, de lire la presse people, de grogner dans son coin, d’aimer la musique dans son baladeur, de bricoler, de faire le ménage et son petit jardin, etc. Le sens de la vie est au ras des choses (sinon dans l’effervescence sociale).

(2) Enervé.e.s, on pourrait lire ou relire quelques ouvrages comme Mythologies de R. Barthes (1957), La société de consommation de J. Baudrillard (1970), surtout la conclusion, La consommation de D. Desjeux (2006), La consommation et ses sociologies de B. Heilbrunn (2006), Anthropologie de la consommation de M. Douglas (2006) et La révolution matérielle de J.-C. Daumas (2018). Tout le monde est d’accord : Marx, mâtiné de Tocqueville, Durkheim et Weber, avait tout compris.

(3) Je vais tenter, en quelques insuffisantes lignes, de différencier la sociologie de la culture de la sociologie des usages ou, plutôt, de montrer leur enchâssement (abc). D’abord, a) les sciences sociales sont celles de l’humain ou de l’esprit, c’est-à-dire de la Culture face (mais non opposé) à la Nature. Autrement dit, ces sciences s’intéressent à nos modes de coordinations et de différenciations anthropologiques et sociologiques (modernes) : préhistoriques et historiques. b) La sociologie de la culture se résumera à la recherche concernant nos pratiques culturelles réelles, c’est-à-dire les pratiques sociales de nos goûts et représentations du monde, et, par conséquent, de nos pratiques hiérarchiques de goûts (sémioclastie et complexité contemporaine de la culture). Bien après Weber (1915), qui parle d’une « fonction de délivrance », je rappellerai surtout que la Culture, au sens moderne, a une fonction de déroutinisation (de classe), de fuite-sublimation du quotidien, de sortie de soi ou d’excendance (Levinas, 1935). Enfin, c) résumons la sociologie des usages ou l’ethnosociologie des usages (qui donnera la User eXperience). Après les travaux fondateurs des techniques culturelles et de classes du corps de Mauss (1950) et de Boltanski (1971), cette sociologie autonome analyse tôt les objets de communication ou les machines à communiquer et les rapports humain/machine. On parle d’abord des TIC et du numérique. Elle considère donc les usages ou les interfaces homme/machine (IHM) au sein des modes de vie, de la famille et du travail. On y décèlera un concept prégnant, l’autonomie sociale, une méthode critique (« ce que les media font aux individus » vs. « ce que les individus font des media ») et une question récurrente : comment consommez-vous (toutes) les machines ?)

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