Quand puis-je considérer que mon manuscrit est « fini » ?
Ha ha ha… Jamais !
Plus sérieusement, un manuscrit est toujours à peaufiner, à réaménager. Si l’on cherche la petite bête, on trouvera une tournure à reformuler, un personnage à travailler un poil plus, etc. C’est sans fin. Pour couronner le tout, votre regard sur votre manuscrit n’est jamais figé. Ce que vous aimiez bien la veille vous paraît mauvais le lendemain, ou le contraire. Et il n’est pas rare d’entendre un auteur dire des mois ou des années après la parution de son roman « Si je devais le réécrire aujourd’hui, je ferais autrement ! ».
Pourtant, à un moment, il faut arrêter d’écrire.
Arrêter, mais sans forcément considérer que le manuscrit est achevé.
Car oui, il y a plusieurs arrêts : les pauses salutaires entre plusieurs versions, et l’arrêt, le vrai, celui où on a tout donné et où on ne peut plus voir son manuscrit en peinture pour les trois prochaines années. Je vais expliquer cette nuance car elle me semble fondamentale.
Je vois trop de primo romanciers envoyer leur manuscrit une fois la V1 finie. Mais la V1 n’est que le début d’un prototype, pas un objet fini. D’ailleurs, sachez que les statistiques considèrent qu’il faut en moyenne 6 à 8 versions d’un premier roman pour obtenir un manuscrit qui tienne pleinement la route. Non, ne sombrez pas dans le désespoir à la lecture de la phrase précédente, car toutes les versions ne nécessitent pas le même temps de travail, fort heureusement. Bien sûr, certains passent entre les gouttes et parviennent à écrire un manuscrit prometteur en quelques mois, mais 1) c’est très, très rare 2) ça ne se produit pas pour tous leurs manuscrits 3) l’expérience d’écriture permet d’aller un peu plus vite à chaque manuscrit, en général. Bref, votre V1 finie vous procure une joie immense, vous avez écrit quelque chose du début jusqu’à la fin. Il y a des passages qui vous rendent fiers et d’autres qui vous questionnent, mais qu’importe ! Vous êtes convaincu qu’il y a un « truc », un « supplément d’âme » qu’un éditeur saura percevoir et ni une, ni deux, voilà le manuscrit sous pli envoyé à tout Paris.
Aïe Aïe Aïe, vous venez de faire, pour parler grossièrement, une énorme boulette.
Au risque de me répéter, la création est un processus au long cours, qui se savoure en dépit des difficultés. Personne n’attend votre manuscrit, personne ne manifeste dans la rue en le réclamant à cor et à cri (en tout cas, je n’entends rien les fenêtres ouvertes), alors pourquoi diable êtes-vous si pressé de refiler le bébé à quelqu’un, alors que vous savez au fond de vous que tout n’est pas probant dans ce texte ? On respire. On se félicite d’avoir terminé une V1, voilà une bonne nouvelle qui annonce une sacrée aventure ! Et on ne fait rien. R-I-E-N, vraiment, rien, pendant trois semaines ou trois mois, c’est selon. Si vous avez été archi impliqué, que vous n’avez pas dormi depuis des mois pour écrire ce texte, lâchez du lest au moins 6 semaines. Ne le feuilletez plus, ne le lisez plus, ne le corrigez plus. Revenez pour un laps de temps à votre vie d’avant, celle où l’écriture n’était pas obsédante. Notez même sur papier des idées pour un second manuscrit, lisez quelques chefs-d’œuvre et basta !
Deux mois plus tard, deux options s’offrent à vous.
1) Vous relisez votre prose. Vous comprenez qu’il y a encore du boulot. Vous notez tout ce qui, l’œil frais et vif, vous saute aux yeux comme points à retravailler. Faites une liste des points de vigilance à avoir : intrigue, personnages, environnement, syntaxe, cohérence… Et vous partez pour une V2. Avec patience. Pas d’empressement, surtout, pas d’empressement.
2) Vous relisez votre prose. Vous trouvez ça génial, vous ne voyez pas vraiment ce qu’il faut changer, ou alors vous voyez tellement ce qu’il faut changer et cela vous paraît insurmontable. Dans tous les cas, vous n’avez pas de recul, et c’est ô combien compréhensible. Là, vous faites des économies, et vous mandatez un lecteur indépendant. Non, pas votre meilleur ami (j’ai déjà écrit un billet sur ce sujet). Payer quelqu’un pour avoir un point de vue sur votre manuscrit va vous forcer à écouter ce qui en ressort, alors que si cela est gratuit, vous aurez réponse à tout pour justifier les incohérences de votre texte. Une fois cette note de lecture reçue, vous repartez pour une version 2.
Vous avez compris le principe, à la fin de la version 2, grosse pause, et rebelote. Le passage de la V1 à la V2 est souvent lourd, comme celui de la V2 à la V3. En général, tout du moins, car bien évidemment, chaque cas est différent. Les versions postérieures à la V3 comportent en général des changements à la marge (on fait sauter un personnage, ce n’est pas forcément beaucoup de travail, etc.).
Et puis, un beau jour, on se dit que le manuscrit est « bien ». Qu’il tient tout seul, droit. D’ailleurs, un lecteur professionnel ne voit pas vraiment de changements, à part des suggestions archi subjectives sur lesquelles lui-même concède qu’il ne faut pas nécessairement s’arrêter. La nature est bien faite, car vous ne supportez plus votre manuscrit, vous avez envie de passer à autre chose, que celui-ci fonctionne dans le futur ou non (c’est bon signe, ça).
Arrêtez tout. C’est fini.
En tout cas, c’est fini pour de longs mois.
Si nécessaire, prenez un correcteur ou enfermez-vous trois jours pour ne retoucher que les fautes de grammaire, d’orthographe et de conjugaison.
Souhaitez une longue vie à votre manuscrit et remettez-le aux bonnes personnes.
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