Que répondre à la question "Tu fais quoi dans la vie ?" quand on est au chômage
C’est marrant depuis que j’ai quitté mon job à Paris pour rentrer vivre à Lille et me lancer à mon compte, j’ai apparemment pris un abonnement All Inclusive à la question « Tu fais quoi dans la vie ? » ou « Et toi tu bosses où ? ». Quelle horreur, c’est donc le métier que l’on fait ou l’entreprise pour laquelle on travaille qui nous définit le mieux ?
En déménageant à Lille, je savais que je rencontrerais de nouvelles personnes, les amis de + 1 par exemple, mais je ne m’attendais pas à entendre autant de fois la même question, sans cesse, « Et toi, tu bosses où ? ». En 2 mois, j’ai fait évoluer ma réponse, car j’ai compris que certains mots ne pouvaient pas être employés, sous peine de se voir tuer du regard ou pris en pitié.
Les premiers jours je répondais « Je suis au chômage »
Les premiers jours je répondais « Je suis au chômage ». Et là, j’avais droit au changement de tête de l’interlocuteur en face qui me prenait soit pour une ratée soit pour une malchanceuse. Quand j’ajoutais « Mais c’est volontaire », les choses se gâtaient encore plus. Regard de haine signifiant « Moi je galère au boulot et toi tu mets au chômage pour profiter de la vie ? » ou regard choqué, comme si j’avais commis l’erreur de ma vie : « Mais tu n’as pas peur de ne pas retrouver de travail après ? » (Ah Oui, attention au fameux « Trou dans le CV » !). Et quand j’ajoutais qu’avant cela j’étais intermittente du spectacle, alors là c’était le pompon ! On m’imaginait déjà en sarouel à jongler dans un cirque. J’essayais d’expliquer que le but de tout ça était de me lancer à mon compte, de « trouver ma voie », de devenir indépendante, mais c’était peine perdue, on ne m’écoutait même plus.
« Je cherche pour septembre (promis ne me tuez pas) »
J’ai donc fait évoluer la réponse, en voyant les réactions qu’elle suscitait. L’âme en peine, dans 90% des cas je répondais ce que les gens voulaient entendre… « Je n’ai pas encore commencé mes recherches car je suis en plein emménagement à Lille mais (promis ne me tuez pas) je cherche pour septembre ». Alors qu’au fond de moi, je mourrais d’envie de dire « je ne postule pas, je cherche d’abord ma voie ».
« Je suis freelance en création de contenus »
Et puis j’ai finalement décidé de passer le côté « chômage » sous silence. Cela évitait les regards noirs, les commentaires et jugements en tous genres. J’ai préféré mettre l’accent sur la création de mon auto entreprise. Alors quand on me posait la fameuse question, je répondais que je venais de créer mon statut de freelance dans la création de contenus. Tout en expliquant que « J’adore raconter des histoires sur plein de supports: écrits, vidéos, graphiques … » et que « j’ai envie d’en faire mon métier ». Inutile, j’avais déjà perdu mon auditoire au mot « freelance », incapable de se projeter dans ce métier. Freelance ? C’est quoi ça ? Et c’est dans quelle entreprise ?
Oui parce qu’en France, il faut avoir un métier clair, dans une entreprise claire. Et connue idéalement. Ah et si elle peut être prestigieuse aussi. Exemple de phrases entendues par une génération plus âgée, complètement dépassée par mes nouveaux choix de vie : « Tu as fait Sciences Po pour être au chômage ?! » ou « Il faut que tu trouves une grande entreprise à la hauteur de ton diplôme ».
Ne vous méprenez pas, le problème ne serait pas de travailler dans une petite boîte, non ça c’est très cool, ça fait moderne , start’up. Non, le problème, c’est de ne pas rentrer dans une case. Ne pas avoir un métier clair et précis. J’ai envie de me lancer à mon compte dans différents domaines de la créativité: écriture, graphisme, dessin. Mais non, en France, je dois choisir. Soit je suis auteur, soit je suis graphiste. Je ne peux pas être les deux. (« Et pourquoi tu ne t’en tiens pas plutôt à un poste de communication haut placé ? Avec les études que tu as faites quand même… »)
Mais comment fait-on quand on est polyvalent ? Qu’on aime plusieurs choses et que faire un choix, exercer un seul métier nous rend malheureux à mourir ?
« Ne prends pas de risques, travaille dans une entreprise et reste dans une case »
Moralité, en France, quand vous décidez de tout quitter pour vous lancer dans l’inconnu, les gens prennent peur. On ne vous pousse pas dans ce sens, sauf quelques rencontres précieuses et le soutien de certains amis (merci !). Il y a aussi les jaloux, qui aimeraient faire la même chose mais qui n’osent pas, et ne veulent surtout pas que vous, vous osiez.
Moralité bis, restez dans une case, n’essayez pas d’en sortir, car cela peut vite déranger les esprits étriqués autour de vous.
Quant au chômage, si vous passez par cette case le temps de lancer vos projets, vous avez le choix entre assumer et risquer de faire des mécontents, ou répéter inlassablement la même phrase, celle qui satisfait la majorité au moins jusqu’à une prochaine fois: « J’ai envoyé des CV un peu partout, j’attends des réponses ».
A bon entendeur ;)
Project Lead chez fifty-five
6 ansPetr Souglobov