Que se cache-t-il dans le portefeuille des family offices ?
« Dans votre journal, vous lisez parfois leurs noms, rubrique mondaine ou financière, derrière les vitres d’une Roll’s, vous apercevez parfois leurs visages, au hasard des grandes manifestations parisiennes, à l’entrée d’un théâtre, ou à la sortie d’un hippodrome, vous discernez parfois leurs silhouettes. Ils forment les grandes familles ». C’est par ces mots signés d’Audiard, que la France, en 1958, découvrait l’adaptation sur grand écran du roman de Maurice Druon Les Grandes familles avec Jean Gabin, Pierre Brasseur et Bernard Blier.
Un teasing classe, feutré, discret, à cent lieues des émissions tapageuses et sirupeuses d’aujourd’hui sur le sujet. C’est qu’à l’époque on savait se tenir ma chère dame…
L’Association Française du Family Office (l’AFFO) a publié récemment le portefeuille type de ces family offices. Une inspiration pour le commun des (investisseurs) mortels ?
Le family office : une fête de famille comme les autres ?
Avant d’entrer dans la poche ou le coffre-fort rappelons ce qu’est un family office. Il ne s’agit pas de votre réunion dominicale au cours de laquelle vous avez discuté avec vos cousins du sort des petites cuillères en argent de feu tante Lucie. Un family office est moins pittoresque, moins champêtre, moins
« qui peut aller chercher du bourgogne à la cave ». Non, ici c’est la cave qui vient à vous…
Un family office est « une organisation de personnes aux services des intérêts patrimoniaux d’une ou de plusieurs familles ». On entre de plein pied dans le Code monétaire et financier - les articles L. 541 et suivants - qui encadre l’activité de Conseiller en Investissement Financier (CIF). Il s’agit d’une organisation officielle mise en place pour défendre et faire fructifier les intérêts d’une famille, on parle de single family office ou destiner à plusieurs familles, on parle alors de Multi Family Office. Mieux vaut que les choses soient claires dès le départ. On n’est jamais à l’abri d’une petite ambiance conflictuelle. Monseigneur le comte de Paris pourrait vous en parler par exemple… Bon sang ne saurait mentir, mais peut bouillir…
Combien pour en faire partie ? Question vulgaire mais nécessaire. La cible ou plutôt le segment est constitué de ce que les anglo-saxons appellent les Ultra High Net Worth Individuals. Aux Etats-Unis il faut compter minimum un ticket de 30 millions de dollars soit à peu près 120 000 personnes dans le monde et 7 000 personnes en France représentant environ 3 000 familles. Ce n’est pas très cher, les honoraires sont estimés à moins de 0,5%, très souvent entre 0,10% et 0,25%.
En France, on compte 250 family offices. Et non, votre cousinade de l’été dernier ne rentre pas dans cette catégorie, même si vous avez essayé d’expliquer à vos petits cousins qu’à cinq ans on ne possède pas sa trottinette mais qu’on en a seulement l’usufruit par la volonté de maman et papa.
Quelle est la composition du portefeuille d’un family office ?
Tous les ans d’AFFO, l’Association Française du Family Office publie une étude sur la composition du portefeuille type de ces structures.
La première ligne est composée de titres non cotés, en private equity. A comprendre, qu’il s’agit souvent de l’entreprise familiale, une vieille forge, une filature, etc. Mais le private equity ce n’est pas que cela, c’est aussi le fait d’investir directement dans des entreprises non coté via des fonds spécialisés (avec des tickets d’entrée souvent élevés). On aura ainsi des familles plus ou moins technophiles qui investiront dans des jeunes pousses plus ou moins prometteuse. Quand on cherche à lever des fonds, les fondateurs d’une start-up ne se dirige pas que vers des VC, mais aussi vers des family offices. Et vous me direz que derrière les fonds, il y a souvent des family offices. La boucle est bouclée. Le rendement du private equity est même très appréciable nonobstant les pertes et le risque élevé inhérent à ce genre d’investissement. On estime que la performance annuelle (période 2007-21) du private equity fut de 12,2%, loin devant celle du CAC 40 avec 5,1% selon France Invest.
Ensuite viennent les actions cotées. La bourse, celle qu’on aime, moins calme, qui représente 19% du portefeuille, en recule tout de même de 6 points en un an. Puis l’Assurance-vie en UC avec 11% en léger recul aussi. L’immobilier comme investissement représente tout de même 19% et a vu sa part renforcée très légèrement en un an. Avec la hausse des taux, il n’est pas étonnant de noter la progression de la ligne debity, la dette cotée qui représente 5% en progression de 3 points, la dette non cotée, représente pour sa part 3% et est en léger recul.
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Et les lignes exotiques ?
Qu’en est-il de l’art, des forêts, des caisses de grands crus par exemple ?
Ces actifs représentent peu ou restent sous le seul de 5%. L’art (qui peut parfois se retrouver à l’abri dans un port franc) représente 2%, nous sommes loin du fantasme de l’art spéculatif. Encore qu’il soit difficile de faire la part des choses dans ce type d’investissement. Les vignes, les forêts (comme une belle propriété en Sologne pour se balader ne représentent que 3%. Pas de quoi encore une fois de fantasmer. On est loin de l’image que les Pinçon-Charlot ont parfois voulu véhiculer.
Finalement, le portefeuille d’un family office ressemble étrangement au portefeuille d’un individu qui aurait compris les vertus de la diversification mais avec un goût prépondérant pour le private equity dont l’accès n’est pas encore démocratisé.
Et les crypto dans tout cela ?
Dimanche dernier, votre lointain cousin Stanislas, dit Stan, vous a parlé des bitcoins. A 19 ans, il semble vouloir devenir le Elon Musk du clan, mieux vaut se le mettre dans la poche. Est-ce pareil ici ?
Les crypto-actifs entrent peu à peu dans le langage de ces structures. Mais ce n’est pas parce qu’on en parle qu’on en achète. La prudence est de mise dans ce milieu. Cependant 11% des family offices pensent que les crypto sont appelés à occuper une place plus importante à l’avenir, mais 57% pensent que c’est voué à baisser. Les crypto représentent moins de 1% des actifs d’un portefeuille de family office.
Est-ce qu’on est au vert dans les family offices ?
Puisque le temps du family office est le temps long, on pourrait donc s’attendre à ce que les investissements soient teintés de vert ou du moins de responsable. Recherche de respectabilité rime-t-elle avec responsabilité ? L’investissement durable représente en moyenne 32 % des investissements des familles et cela progresse. En un an, cette proportion a grimpé de 4 points. Si les éoliennes tournent, c’est peut-être grâce aux investissements de ces structures.
Est-on généreux dans les family offices ?
Autre ligne intéressante. 4% : c’est la part représentée par la philanthropie. Oui constituer, gérer un patrimoine c’est aussi avoir conscience qu’il faut donner, accompagner, aider. Pour preuve, on ne compte plus le nombre de fondations familiales, comme on ne compte plus les interventions même du sage d’Omaha qui appelle à donner sa fortune dans le cadre du Giving Pledge.
On ne le dira jamais assez, on, reçoit toujours à donner, même à votre petit cousin Stan…