Qu'est-ce que cela veut dire que d'être libre ? – Discours d'ouverture BIG 2020
Cette édition du BIG [Bpifrance Inno Génération] est évidemment particulière.
Depuis quelques mois on a l'impression d'avoir basculé dans le fantastique. Ces moments où la sidération se mélange à l'euphorie, ce sont des moments où l'histoire s'impose à nous, comme si elle sortait de son lit. Ce virus nous force à changer encore plus vite. Des institutions, des comportements, sont révolus. Comme des zombies ils sont toujours là. D'autres prennent leur essor. Le grand renouvellement s'accélère. Nous ne sommes pas forcément préparés à une telle accélération des changements, et nous allons donc bricoler, dans une ambiance où il ne faudra pas céder à la tristesse de voir tant de morts à nouveau annoncés chaque jour.
Au printemps, nous avons fait le maximum pour permettre aux entreprises de traverser l'épreuve, en imposant nos solutions jour par jour. Chaque journée était d'une intensité telle qu'elle jetait la précédente dans un lointain passé. On a tous essayé de faire un peu de magie à distance, en télétravail, et je rends hommage aux équipes. 100 000 appels ! Collectivement, grâce au soutien massif de l'Etat et à l'efficacité des troupes, celles de la Bpi, des banques, de l'Etat, des Régions, nous avons absorbé le grand choc, celui de l'arrêt cardiaque du 16 mars. Nous avons cassé la grammaire de la banque traditionnelle. Nous avons réussi le pont aérien de cash.
Maintenant nous sommes sur autre chose. Nous ne vivons pas une deuxième crise similaire. Après la guerre éclair, la guerre de position, longue. Un moment sans limite où nous apprenons à vivre avec une étrangeté, un invisible, Cai Guo-Qiang tout à l'heure dira "une chose mystique". Il va falloir trouver les ressources mentales et morales pour continuer à aller de l'avant, se rassurer, absorber cet événement, et le dépasser. L'angoisse voudrait dominer ? Et bien il faut comme dans un art martial pratiquer l'esquive, et capter l'énergie de l'adversaire pour se grandir soi-même.
Comment ? C'est là qu'intervient le thème de cette année. La Liberté. Non pas celle de refuser des protocoles sanitaires contraignants mais légitimes, bien sûr. Mais celle qui vient de l'esprit de vie. La Liberté chérie de notre hymne national. Celle qui lève tous les voiles et dit que tout est possible, par delà la pandémie. La Liberté féconde, en tant de crise. Seuls les gens libres sont créatifs, et seuls durent les créatifs. C'est le moment de pratiquer la liberté, seule manière de durer !
Qu'est-ce que cela veut dire que d'être libre ? C'est d'abord échapper aux catégories. J'entends un restaurateur l'autre jour servir un vin en disant de ce vin : "il est sorti de son appellation, il a retrouvé sa liberté". Ou encore ces chefs qui décident d'abandonner leurs étoiles. Ou encore tel créateur qui refuse d'être directeur artistique d'une grande marque, poste rêvé. Ou encore ce musicien qui disait l'année dernière: on sait bien quand on est à sa place, et quand on ne l'est pas. Je pense que la Bpi est un bon exemple. Une banque qui a refusé de n'être qu'une banque. Qui voulait être plus qu'une banque. Ni totalement publique, ni totalement privée. Branchée sur l'énergie des entrepreneurs libres. Rapportant plus à l'Etat qu'elle ne lui coûte. Bpifrance n'appartient à aucune catégorie, et je remercie nos actionnaires de nous permettre de rester inclassables, et donc créatifs, et donc durables, parce qu'agiles.
Être libre, c'est aussi comprendre qu'il faut naviguer sa vie. On ne peut pas être à la fois du côté de la liberté et du côté de la sécurité. On ne peut pas être du côté de Artaud, de Proust, de Picasso, et être pour la sécurité. On ne peut pas accepter d'être attaché même par une longue corde souple, si on veut faire un long chemin de vie. Il ne peut pas y avoir de liberté sur des rails. La Liberté, elle se vit sur l'eau, par vent tournant. Le symbole de la fortune est une femme aux yeux bandés les cheveux étouffés par le vent. Dans un monde flottant. Le liberté se régate. On empanne tout le temps.
La liberté impose par ailleurs de ne jamais abandonner. Ce BIG que nous avons transformé en trois jours, du fait de la reprise de l'épidémie, en un direct-live d'une énorme émission de télévision digitale, en est peut-être une nouvelle expression. La Liberté est opiniâtre dans son refus. Nous refusons de nous arrêter de vivre par temps de pandémie. J'en profite pour chaleureusement féliciter les équipes et les camarades de l'événement.
La liberté impose d'aller loin. Cette liberté n'est pas un loisir temporaire. Elle est rude, dans la durée. Vous allez vraiment quelque part, quitte à ce que ce soit sur un sentier d'éboulis. Sur votre GPS, vous avez mis un point d'arrivée loin, très loin, et il faut avancer même quand il n'y a plus de chemin. Les maisons natales des grands hommes sont fascinantes à cet égard : la maison natale de Diderot à Loche, dans la Champagne crayeuse ; de Renan à Tréguier, en Bretagne Nord ; du docteur Schweitzer à Kaysersberg, petit village d'Alsace ; la maison d'Arago à Estagel, petit village du Roussillon ; la maison natale de Clémenceau, en Vendée, à une journée de charrette de Nantes par chemins boueux. Le parcours de liberté qu'on fait ces gens est stupéfiant. Nous sommes condamnés à ne pas nous contenter de l'ordinaire. Le risque est notre ingrédient indispensable. Je ne dis pas que la soumission ne mène pas loin, elle aussi. Mais vers des horizons que l'on a pas choisis, parfois pour le pire. Beauvoir disait que "ce qu'il a de scandaleux dans le scandale, c'est qu'on s'y habitue".
Et pourquoi tous ces efforts ? Parce que vous voulez pousser la transformation des choses. Artistes, scientifiques et entrepreneurs, je le crois profondément, sont les transformateurs de la terre. Ils sont qualifiés pour cela. Parfois l'Etat devient artiste-entrepreneur, et vous donne un coup de main. Mais c'est votre liberté qui prévaut. Et comme vous avez la chance d'être faits comme ça, d'avoir bien engrené dans votre chemin de liberté, vous avez une responsabilité, celle de vous accomplir. Votre singularité vous crée des devoirs. Nous comptons sur vous pour transformer les choses, et nous comptons sur votre énergie pour que cela se fasse vite.
Enfin votre liberté vous projette dans une solitude. Tous disent la difficulté du choix entrepreneurial quand il s'accomplit : on s'écarte un peu du monde. Mais très vite, on s'aperçoit qu'on a tout en soi, qu'on était prêts. Rilke disait "que chacun a tout déjà en lui-même. Son destin, son avenir, son espace, son monde, son univers". Solitude nécessaire, mais qui devient ultra productive quand elle est compensée par de l'accompagnement, des échanges, du partage. C'est le sens de ce que nous faisons avec nos écoles d'entrepreneurs, nos 400 consultants mis à leur service, notre porte à porte permanent pour parler aux chefs d'entreprises, notre programme d'induction de jeunes diplômés, le VTE [Volontariat Territorial en Entreprise]. Pour être libre, il faut être seul... Et pas complètement seul.
Voilà ce que je voulais vous dire. On a besoin de votre vent de liberté. On a besoin de brise, de souffle, de houle, on a besoin de vos bourrasques, mais aussi de vos tempêtes, tempêtes de liberté. Profitez tous de cette journée où nous avons mobilisé 800 intervenants sur tous les sujets pour éclairer autant que possible le futur, et rendre le pouvoir à l'imagination.
Merci à toutes les équipes mobilisées pour rendre ce moment possible et excellent BIG 2020 à toutes et à tous !
Bravo! Très inspirant. On continue et on ira ensemble très loin.
Operations
4 ansIl y a du Baudelaire dans cet inspirant discours merci Nicolas Dufourcq. Entrepreneur "libre toujours tu chériras la mer"...
Directrice projet événementiel / Programmation & Stratégie de contenu BtoB
4 ansUne édition hors norme. Merci pour la confiance.
Gérant associé chez F & T Corporate
4 ansêtre en bonne santé et riche