RECEVOIR UN FEEDBACK
Jean Dubuffet (1901-1985), Le malentendu, 1923

RECEVOIR UN FEEDBACK

Au-delà des mots, entendre et s’ajuster

Une des figures de style imposée en management concerne l’art de donner du feedback. De nombreux articles et ouvrages traitent de ce sujet avec pertinence.

Il y est en général question de donner avec bienveillance un point de vue le plus objectif possible, appuyé sur des faits. Les formulations équilibrent les points positifs et les points d’amélioration dans l’intention d’aider le destinataire. L’aider à quoi? A comprendre, identifier un changement possible et se sentir capable de l’enclencher.

De plus en plus de managers sont formés à cette approche. Ils l’exercent avec plus ou moins de bonheur, mais globalement cela fait partie du kit de base du management.

On l’évoque moins fréquemment pourtant, le mouvement en retour qui consiste à recevoir un feedback est moins souvent travaillé. Au-delà des conseils et astuces de premier niveau, comme écouter attentivement, faire préciser ce que cela veut dire, gérer ses émotions si c’est désagréable, on peut être démuni pour en faire quelque chose d’utile.

Qu’en est-il de notre capacité réelle à recevoir un feedback?

Nous sommes régulièrement en situation de recevoir des retours de notre environnement professionnel, que ce soit de nos pairs, de nos collaborateurs, de notre manager. Il y a des temps formels réservés à cela comme le moment de l’entretien d’appréciation annuel, l’entretien professionnel ou encore un «360° feedback». Il y a également tous les moments informels, à la suite d’une réunion ou d’un rendez-vous par exemple. En fait, de nombreux cas de figure où nous sommes en interaction avec d’autres professionnels nous mettent en situation de recueillir du feedback, que cela soit annoncé ou non comme tel.

Sommes-nous toujours réceptifs à ces messages, en particulier quand ils sont critiques? Pour peu que nous ayons une écoute un peu plus fine de ce qui s’échange à ce moment-là, pourrions-nous en faire un meilleur usage?

Une directrice de projet découragée  

Philippine a passé un questionnaire dit «360». Elle s’est auto-évaluée sur diverses compétences et comportements au travail; son chef, ses collègues et collaborateurs ont fait de même,  et nous nous retrouvons pour en découvrir les résultats.

Globalement les retours sont vraiment bons. Mais certains feedback la heurtent et elle ne les comprend pas. Ainsi, on cite la nature souvent abrupte et cassante de ses propos. Elle est également vue par ses pairs comme distante et ne donnant pas forcément envie d’aller vers elle. Il lui est conseillé par exemple de faire preuve de plus d’empathie dans sa communication et de se montrer avenante, notamment lorsqu’elle fait passer des messages importants pour son métier auprès d’équipes transverses.

Cette suggestion la laisse agacée. «Nous sommes au travail, pas au théâtre. Je ne vais pas passer de la pommade pour que les personne aient envie de travailler avec moi. Ce n’est pas nouveau que je puisse paraître froide voire hautaine pour certains quand ils ne me connaissent pas. Mais j’ai d’excellentes relations de travail depuis dix ans dans cette entreprise, et je ne me vois pas jouer la comédie

Philippine se trouve face à deux pièges.

1.   Réagir en « mode ping-pong »

Si Philippine s’arrête à ce qui est dit et le généralise, elle risque de se lancer dans des interprétations ou des justifications qui l’empêchent d’explorer ce qui lui est réellement signifié:

-      Soit en cherchant à identifier ce qui ne va pas chez elle: «J’ai toujours été introvertie et réservée ; ça n’aide pas, je n’y peux rien».

-      Soit en tentant de justifier ses comportements: «Je suis directe et j’entends le rester pour faire avancer mes sujets. Dans notre culture d’entreprise, c’est chose courante. S’il y en a à qui ça ne plait pas c’est leur problème».

-      Soit en décortiquant les biais supposés de ses interlocuteurs pour démontrer que leur feedback est mal avisé: «Dans cette unité, ils n’aiment pas les femmes». Ou: «ils ne sont pas respectueux du travail d’autrui et veulent toujours avoir raison. Moi je me bats contre ça et je n’y vais pas avec le sourire».

D’ailleurs, ce n’est pas la première fois qu’elle se dit tout cela à la fois. Elle a l’impression de tourner en rond depuis plusieurs années sur ce thème. Toujours les mêmes recommandations… C’est décourageant.

2.   Prendre ce qui est dit au pied de la lettre

L’univers du management est régi par des modèles qui catégorisent les compétences. L’auteur du feedback étaye ce qu’il dit par des faits qu’il a observés. Sur cette base, il formule des suggestions: la personne est invitée à développer certains comportements, comme s’affirmer plus nettement, mieux être à l’écoute, etc.

Si les faits sont réputés objectifs, les propositions restent subjectives car l’émetteur est un acteur avec sa propre perception. De plus, les conseils formulés le sont souvent indifféremment des circonstances. Ils ne constituent donc pas une vérité objective. De fait, le feedback exprime une demande. Ce qu’elle recouvre exactement reste à détecter.

Comment éviter ces pièges?  

Revenir sur une situation spécifique et s’intéresser aux attentes des différents «acteurs»

En remettant leurs propos dans un contexte précis, les comportements suggérés prennent un sens nouveau, à partir duquel on peut se questionner, réfléchir et dégager de nouvelles possibilités d’action.

-      «Quand votre collègue qui travaille avec vous sur le lancement de la nouvelle offre suggère qu’il vous faudrait prendre une position moins tranchée sur vos sujets et mettre plus de rondeur dans vos propos, que pensez-vous qu’il vous demande de faire ?»

-      «Je pense qu’il me demande de valider sa position à lui et d’aller dans son sens.»

Ce qui amène Philippine à compléter assez vite :

-      «Il est assez récent dans la structure et désireux de faire ses preuves. Mais je pense qu’il n’a pas vraiment compris mon rôle et celui de mon équipe dans le processus. Cela me donne l’idée de prendre un temps avec lui pour le lui expliquer plus clairement .»

-      « Et la situation où vous n’avez pas démontré l’empathie attendue ?» 

-      « La semaine dernière, nous avions une revue de projet devant le comité de direction. Nous étions cinq à présenter nos sujets, accompagnés d’un facilitateur interne. Je suis intervenue en troisième position et j’avais deux diapos à passer. J’ai fait une introduction de quatre minutes et au moment de projeter, le facilitateur m’a dit : "Pas la peine de diapos". Je l’ai tout de suite interrompu: "Non, tu vas me laisser montrer ce que j’ai préparé" et j’ai enchaîné. En tout j’ai pris dix minutes. A la fin de la réunion, certains collègues m’ont dit que je n’aurais pas dû exprimer si vivement mon désaccord et ridiculiser le facilitateur. J’ai eu droit à : "Tu n’es pas assez empathique. Si tu t’étais mise à sa place, tu n’aurais pas parlé aussi sèchement".

-      «Mais quand le facilitateur vous a dit qu’on allait se passer de vos diapos, que vous demandait-il au fond?»

-      «Je pense qu’il voyait qu’on était en retard sur le timing prévu, qu’il voulait tenir son objectif de délai, au lieu de se centrer sur le fond de ce qui se disait, et qu’il voyait un moyen de ne pas creuser davantage le retard en faisant passer ma présentation à la trappe. Mais ce qu’il n’a pas identifié, parce qu’il n’a pas mon expérience, c’est que mes deux diapos allaient faire gagner du temps à tout le monde pour la suite. C’est ce que j’aurais pu lui préciser!»

Philippine a fini par sourire en évoquant cette option pour une prochaine fois.

S’interroger sur les attentes possibles de la personne qui nous donne un feedback, invite à dégager de nouvelles cohérences. Des hypothèses émergent, qui permettent d’interagir avec davantage de pertinence.

En synthèse…

Quand on reçoit un feedback en adoptant avec recul le raisonnement décrit ci-dessus, il n’est plus question « d’être plus ceci ou moins cela».

Trois points à garder à l’esprit :

·       Un feedback part toujours d’une perception de l’émetteur dans un contexte donné.

·       Cette perception ne définit pas la personne destinataire, elle est subjective et exprime des attentes.

·       Ces attentes sont réelles. Il y a lieu de les comprendre et d’en tenir compte pour ajuster le contenu de notre communication lors des interactions.

Le style de chacun est une chose. La maîtrise plus fine des divers niveaux de communication en est une autre, indispensable pour mieux se comprendre et coopérer.

 

 


Sébastien BRET

Directeur commercial et marketing- Enseignant Sciences Po Lyon - Coach Humaniste - Coach de Vie certifié 🎯. Ma motivation : générer mouvement, ouverture, respiration, synchronicité.

3 ans

Merci Catherine Conti donner du feedback, un exercice difficile s'il en est. Les mots choisis ont un sens pour le manager, qui n'est pas forcément le même pour le managé (les joies de la communication). Peut-être peut-il être utile pour le manager de finement et sincèrement demander au collaborateur sur quels points et quel type de feedback il aimerait recevoir / entendre. La recherche du besoin, une des clés de l'échange. FCV Fédération de coaching-de-vie

Arnaud GERMAIN

Responsable de l'unité Évolution des processus pour le Crédit Agricole

3 ans

Merci Catherine pour cet article. "S’interroger sur les attentes possibles de la personne qui nous donne un feedback" est sans doute la clé, en effet.

Hélène BERGER

Directrice de secteur chez Square Habitat Sud Rhône Alpes

3 ans

Merci Catherine! A méditer quant au feedback demandé ou suggéré après entretien d’embauche.

Nathalie Koplewicz Tayar

Consultante mobilité / Directrice Achats / Supply chain / Luxe et cosmétiques / Membre CODIR

3 ans

Merci Catherine pour cet article très instructif sur l’échange et la communication ...

Catherine TRIBOULET

IADE cadre supérieur de santé formateur à la retraite

3 ans

Merci Catherine pour cet article, comme les précèdents, concret et constructif. Il illustre bien la nécessité d’une communication descendante/ascendante pour des relations plus claires, des échanges ouverts et finalement un « travailler ensemble » beaucoup plus intéressant voire plaisant et dynamisant. Bravo le feed back !

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