Redonner Envie d'Hôpital

Redonner Envie d'Hôpital

L’Hôpital Public et l'Assistance Publique des Hôpitaux de Paris (AP-HP) en particulier ne vont pas très bien mais parler de solutions plutôt que des problèmes peut nous sauver. Ca suffit d'être en boucle sur des problèmes au sein d’un tourbillon qui nous attire au fond dans une prophétie auto-réalisatrice. Il est urgent de redonner envie plutôt que d'écrire une nième tribune sur le désastre de l'hôpital public à cause d'un ONDAM insuffisant et d'une administration comptable. Il n’y aura jamais assez d’argent si on ne change pas la manière de le dépenser et, oui, la vie à malheureusement un prix et ne pas le reconnaitre est stupide et dangereux, pour les pauvres surtout !

Le principal problème de l'hôpital n'est plus que le manque d'argent, c'est surtout le manque d'envie. Ce manque d'envie des soignants au sens large, des paramédicaux surtout mais aussi des médicaux de venir et de rester à l'AP-HP. C'est contre ce fléau qu'il faut lutter et ce n'est pas en écrivant que nos hôpitaux sont des lieux de souffrance que les choses vont changer.

L'AP-HP est administré par des directeurs mais il est incarné par des soignants qui ont beaucoup plus de pouvoir qu'ils ne le pensent. C'est nous, les soignants en responsabilité, Chefs de DMU, Chefs de Service, PU-PH, MCU-PH, Cadres de Santé qui avons le pouvoir de sauver l’AP-HP. C’est de « Leaders » dont nous avons besoin, pas de vieux Mandarins (parfois déjà à la retraite...) en perte de repère ! Il faut réincarner une AP-HP qui soigne, enseigne, cherche et innove mieux que n’importe où ailleurs. Un lieu d'audace où l'on accepte l'incertitude avec lucidité et l'erreur avec humilité. Un lieu où l’on cesse d’être en compétition avec son voisin de palier mais plutôt avec l’hôpital Charité de Berlin. Un lieu où elle l’on comprend la différence entre la recherche et l’innovation et où on sort de la défiance avec des entreprises et des fonds d’investissement car il faut aller chercher l’argent où il se trouve. Un lieu où on est capable de ne pas faire « comme d’habitude… » ou « comme son Maître ». Un lieu où on fournit des efforts pour se former à des nouveaux outils numériques ou pour éviter la surconsommation de matériel.

Les soignants viendront et resteront si on leur transmet une forme de passion de l’AP-HP, celle que l’on découvre, souvent à différents moments de sa carrière, à travers ces activités formidables que sont le soin, l'enseignement, la recherche et l'innovation.

Dans le soin d’abord : Rien ne vaut plus que la reconnaissance d'un regard du patient que l'on a sauvé et quelle ivresse que cet état d'hyperlucidité qui nous fait découvrir LA bonne solution devant la grande urgence vitale. Comme un sport que l’on maitrise parfaitement, on peut atteindre le « flow » lors d’une activité de soin. Cette merveilleuse sensation où l’automatisme est conscientisé où l’on découvre que l’on peut faire seul et que l’on est (très…) compétent. Mais ce droit à la sérénité où l’on équilibre son estime avec sa confiance doit s'accompagner de devoirs. Ces devoirs, c’est une évaluation précise et objective de la justification et la qualité de nos soins. Ce sera d’ailleurs la mise en lumière de ces résultats et surtout leurs évolutions qui feront la fierté de nos soignants. Ces résultats selon des standards reconnus tel que ICHOM ou eSatis de l'HAS devront déterminer aussi les parcours de soins des patients et une part importante de nos financements.

Enseigner est aussi une activité formidable. Que ce soit la médecine, la chirurgie ou le soin infirmier, savoir transmettre une connaissance est devenir intelligent au sens le plus littéral : c’est rendre intelligible. Enseigner, c'est découvrir la parcimonie selon Albert Einstein, c'est "rendre aussi simple que possible mais pas plus simple que cela" et c’est surtout la meilleure manière de comprendre que l’on a compris. Enseigner, c'est réussir à apporter une connaissance et non simplement une information ce qui implique de créer un environnement, un contexte, une ambiance. Ce sont ces environnements intellectuels où on valorise celui qui lit et s’instruit mais aussi celui qui critique et qui débat autour des limites de nos connaissances qui font de "Grandes Ecoles". Mais enseigner, c'est aussi considérer les progrès de l'intelligence artificielle et admettre que certaines de nos connaissances voir de nos activités sont devenues parfaitement inutiles. Enseigner, c’est surtout donner envie d'apprendre pour finalement devenir inutile et nous effacer une fois la connaissance sincèrement transmise.

La recherche, la vraie, est une grande aventure étonnante pleine d’immenses bonheurs et de terribles déceptions. La recherche produit de la connaissance et toujours plus de questions. C’est une activité qui demande du temps, de plus en plus de moyens humains et financiers et pourtant nous sommes submergés de « publications scientifiques ». On ne fait plus de la recherche, on écrit des papiers. Il est devenu beaucoup trop simple de publier. La recherche (clinique surtout) de qualité s'est perdue dans une marée noire de journaux prédateurs et de certaines versions « open source » des grandes revues vers lesquelles elles proposent de publier (contre rémunération…) les papiers de qualité insuffisantes pour être publiées dans la revue princeps. Aujourd’hui, n'importe qui peut publier presque n'importe quoi et les IA génératives vont encore aggraver la situation. Pour arrêter ça, il est temps de sortir du score SIGAPS comme principal outil de mesure des activités de recherche car nous perdons du temps, de l'argent et nous alimentons un système qui tue la science et produit de la défiance de la part des scientifiques voir de nos concitoyens. Plutôt que sélectionner les futurs universitaires et de classer les services hospitalo-universitaires uniquement sur le nombre de points SIGAPS, il faut identifier qui sont les soignants qui inclus des patients dans des essais thérapeutiques multicentriques à promotion académiques ou privé et/ou ceux qui sont capables d'aller apporter des échantillons à une équipe INSERM ou des données numériques à une équipe INRIA pour répondre à une question. Aujourd'hui, il est temps d'apprendre à nos jeunes collaborateurs qu'il est presque impossible de faire de la recherche scientifique sans s'appuyer sur des méthodologistes, des biologistes, des informaticiens voire des sociologues. Un clinicien qui veut faire de la recherche doit poser la bonne question, apporter des données et expliquer correctement ses hypothèses à ceux qui vont apporter la solution par l’analyse des données. Plutôt que de demander à des chercheurs de l’INSERM de récupérer des données cliniques et à des soignants de faire des biomathématiques, il faut avoir des Centres de Recherches Biologiques (CRB) au sein des CHU qui deviennent interopérables avec les Entrepôts de Données de Santé (EDS) que les cliniciens doivent aussi apprendre à exploiter. Une fois que la CNIL aura compris que notre "RGPD à la Française" nécessite des ajustements et qu’il est urgent de statuer sur ce qu’est une donnée anonyme, tout est là pour faire de la grande recherche et ça pourrait commencer par l’exploitation des milliers de prélèvements parfaitement bien labélisés issus des PRHC (finalisés ou pas…) qui dorment dans des centaines de congélateurs à l’AP-HP et partout sur le territoire.

L’innovation n’est pas une option, c’est une nécessité pour que les soignants viennent et restent à l’AP-HP mais aussi et surtout pour les malades. Innovation et recherche sont deux activités différentes. Innover c’est trouver, souvent par hasard, un usage à une invention. Cette invention peut être issue de la recherche mais aussi du numérique, de l’industrie, des arts, du sport…bref de n’importe quoi. Les chercheurs creusent, les innovateurs sondent. Innover est une activité beaucoup moins chronophage et complexe que la recherche mais elle implique surtout un état d’esprit. Les innovateurs sont des gens curieux qui cherchent, presque systématiquement, à ne pas faire comme d’habitude, ce qui n’est pas toujours simple dans le monde académique Hospitalo-Universitaire des services de l’AP-HP ! Dans un monde où l’IA va prendre de plus en plus de décisions qui sont, par construction algorithmique, celles que l’on prend « comme d’habitude », ce seront pourtant ces soignants innovants qui nous permettrons de continuer à progresser. Outre son intérêt intellectuel, la véritable innovation doit créer de la valeur et être aussi une source de rémunération pour l’innovateur et l’AP-HP. Pour toutes ces raisons, les Doyens doivent enseigner l’innovation et ses outils dès les études de médecines mais aussi valoriser la création de start-up ou parfois seulement d’activités de conseils de certains soignants dans l’obtention de postes universitaires.

C’est comme ça, avec une certaine forme d’optimisme, que l’on fera revenir les soignants à l’Hôpital, et en particulier l’AP-HP mais en faisant équipe et non plus équipage. C'est précisément ce que l'on fait à Paul Brousse, venez voir ...

Très intéressant

Raphael Radanne

Directeur général | Directeur Affaires publiques | Santé

1 ans

Merci Eric Vibert, MD, PhD, je partage vos réflexions. Et si l’AP-HP attribuait une dotation significative à un service ou à un DMU pour faire différemment et obtenir des résultats différents sur 3 à 5 ans en matière de soins, d’enseignement et d’innovation ? Un service /DMU pilote qui serait pionnier et serait soutenu et accompagné par des fast tracks avec l’Inserm. La DG de l’AP-HP, la DGOS, etc.

Dr Guillem

Chirurgien Viscéral et Digestif--

1 ans

Les soignants sont en perte de sens. Cela participe essentiellement du changement opéré dans le regard que portent sur eux leurs partenaires théoriques (directions d'établissement, autorités de santé, patients ...). On peut discuter à l'infini des raisons (probablement surtout sociétales) de ce changement. On peut aussi souligner que ce changement de regard a induit d'indéniables améliorations (abandon de la médecine paternaliste, médecine basée sur les preuves, culture de la qualité des soins, etc ...). Mais ce changement a eu aussi de multiples travers qui ont conduit à cette perte de sens Le message que je veux lire derrière votre texte est que le recouvrement de sens ne peut venir que des soignants eux-mêmes. Dans le rappel que chacun peut se faire en lui-même et à l'autre du pourquoi de son choix : quels sont les ressorts (les valeurs ?) qui, à un moment-clé, vous ont fait basculer vers ce formidable métier qui est le soin à l'autre. Quels sont les ressorts qui, toujours au coeur du soin, vous ont fait pencher vers l'enseignement, la recherche ou l'innovation ? Ce ne sont pas nos directions, nos autorités de santé, ni même nos patients qui nous feront retrouver du sens. Cela ne peut venir que de nous !

Olivier Ray

MD MBA chirurgien, founder chez SOIGNANTREPRENEURS.com, Union des Chirurgiens De France

1 ans

Et si on partait du besoin de tous les jours des soignants de bloc opératoire ? Comment je fais pour me loger en IDF? Comment optimiser mes temps de parcours pour venir au Bloc avec mes collègues de l'AP? Faire garder mes enfants? Mieux...écouter leurs pbs spécifiques de tous les jours et les placer en mode design thinking pour expérimenter eux mêmes leurs solutions, les placer en mode entrepreneurs. Au delà, appliquer les mm principes à l'organisation des soins puis à la chirurgie de pointe et parfois on fait école ( création d'entreprise à la clé : l'ultime valorisation des talents qui aujourd'hui sont découragés par un management hors-sol ). Et c'est un fan de deeptech qui parle.

Sophie Martineau

Executive Commercial Director I e.Health I HealthCare I Life Sciences I RWE I Health Data I VBHC I Blockchain I Solution SaaS

1 ans

Joli plaidoyer Eric Vibert, MD, PhD !😃

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