Si les maires dirigeaient le Parlement européen quelles priorités donneraient-ils aux politiques climatiques de l'UE ?
Résumé :
Le nouveau Parlement européen, qui penche à droite, risque de compromettre l'action en faveur du climat. Mais que se passerait-il si les maires dirigeaient le Parlement ? S'appuyant sur une analyse de l'affiliation politique et des priorités politiques de près de 100 maires européens, Sylvain Zeghni montre que la situation serait très différente. Au niveau des villes, l'action climatique reste un programme fédérateur qui transcende les différences politiques.
Les élections du Parlement européen de 2024 se sont traduites par un net virage à droite. Si le Parti populaire européen (PPE) de centre-droit reste le bloc le plus important, les partis eurosceptiques, populistes et d'extrême droite ont réalisé des gains significatifs, en particulier dans des pays comme la France, l'Italie, l'Allemagne et la Belgique.
Bien qu'il soit trop tôt pour dire comment ce nouvel équilibre des pouvoirs façonnera la politique de l'UE, il y a un consensus croissant sur le fait que nous pourrions assister à une dé-priorisation des éléments les plus ambitieux de l'agenda climatique de l'UE. Ou, pire encore, à un retour en arrière sur des étapes clés telles que l'interdiction des moteurs à combustion en 2035.
Les premiers débats au sein du nouveau Parlement européen, en particulier dans le contexte de la candidature à la réélection d'Ursula von der Leyen, ont confirmé que le Green Deal européen est devenu une question controversée et axée sur la politique identitaire. Les désaccords vont désormais au-delà des objectifs de réduction des émissions de l'UE et portent sur les outils, la vitesse et les stratégies nécessaires pour atteindre les objectifs climatiques de l'Union.
Les villes européennes vont-elles à l'encontre de la tendance ?
Comparées à leurs contextes nationaux relativement plus conservateurs, les villes européennes ont longtemps été considérées comme plus ouvertes aux agendas politiques et climatiques progressistes. Pour vérifier cette hypothèse, nous avons examiné les réponses à l'enquête Eurocities Pulse Mayors Survey 2024, qui recense les priorités politiques de près de 100 maires à travers l'Europe, et les a reliées aux affiliations politiques de ces maires.
Notre analyse montre que si les maires gouvernaient le Parlement européen, le Green Deal européen bénéficierait probablement d'un soutien interpartis, étant donné que les maires européens de centre-droit, qui représentent plus d'un tiers des maires interrogés, soutiennent également fortement les objectifs climatiques. Ce n'est pas le cas dans la composition actuelle du Parlement européen, où l'action climatique est une question partisane et où les partis politiquement plus à droite sont fortement opposés aux éléments clés du Green Deal.
Quelles sont les principales différences entre la composition du Parlement européen et celle des maires d'Eurocities ?
Bien qu'il ne faille pas sous-estimer l'influence croissante des partis d'extrême droite dans la politique urbaine, nos données montrent que les plus grandes villes d'Europe continuent d'être dirigées par des forces modérées et centristes, avec peu de place pour les extrêmes. Par rapport à la composition du Parlement européen, les villes de notre échantillon sont presque exclusivement dirigées par des maires de centre-droit (PPE 37 %) et de centre-gauche (Socialistes et Démocrates - S&D 37 %).
Notre analyse des priorités des maires révèle que les dirigeants urbains sont unis dans leur engagement en faveur de l'action climatique, quelle que soit leur affiliation politique. Selon les données de l'enquête Eurocities Pulse Mayors Survey, 68 % des maires alignés sur le PPE de centre-droit et 68 % des maires alignés sur le S&D de centre-gauche classent l'action climatique parmi leurs trois principales priorités politiques.
Ces résultats suggèrent que les villes parviennent à dépasser les divisions partisanes, la politique climatique apparaissant comme un programme unificateur - ce qui contraste fortement avec le débat sur le climat au niveau national ou européen. Alors que les hommes politiques travaillant à d'autres niveaux de gouvernement peuvent constater que l'action climatique entraîne des divisions dans la société qui la rendent politiquement controversée, les dirigeants des villes bénéficient probablement d'une plus grande adhésion de la part des citadins. Cela leur permet d'expliquer clairement comment les ambitions à long terme se traduisent par des solutions concrètes pour les environnements urbains.
En effet, les réponses à l'enquête suggèrent que l'action climatique n'est pas seulement un concept abstrait pour les maires des grandes villes européennes, mais plutôt un objectif clair avec de multiples co-bénéfices pour l'amélioration de la qualité de vie urbaine. Par exemple, le passage à la décarbonation des transports et la promotion de la mobilité durable, ou la mise en œuvre de politiques visant à améliorer l'efficacité énergétique des bâtiments, apportent des avantages tangibles aux citadins, au-delà de la réduction des émissions de carbone.
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De même, les politiques d'adaptation au climat, telles que l'augmentation des espaces verts, la gestion des flux d'eau et l'amélioration de la biodiversité urbaine, améliorent directement les conditions de vie dans les villes. Bien que l'interprétation de la signification réelle de l'« action climatique » et les priorités politiques concrètes puissent varier d'une ville à l'autre, cette action reste une priorité absolue dans tout l'éventail politique.
Qu'attendent les maires des nouveaux dirigeants de l'UE ?
Alors que l'UE et les gouvernements nationaux sont de plus en plus divisés sur l'action climatique, il existe une opportunité claire pour les dirigeants des villes de travailler en tant qu'intermédiaires du consensus politique. Leur soutien pragmatique et bipartisan à l'action climatique, ainsi que la mise en œuvre de politiques ayant de multiples effets positifs sur le bien-être des citoyens et les économies urbaines, peuvent contribuer à un débat plus éclairé.
Il est également clair que les villes ne peuvent pas lutter seules contre le changement climatique. Une coordination étroite entre l'UE, les gouvernements nationaux et les dirigeants des villes est essentielle. Il est intéressant de noter que près de 50 % des maires de l'UE estiment que les institutions et les politiques de l'UE ont tendance à ne pas prendre en compte leurs besoins spécifiques ou à ne pas apprécier pleinement le potentiel qu'offrent les villes. Il n'est donc pas surprenant que les maires, toutes tendances politiques confondues, aient identifié la nécessité d'améliorer la collaboration entre l'UE et les villes comme l'une de leurs trois principales priorités pour la prochaine Commission européenne.
Nos données montrent également que les maires souhaitent que la Commission européenne les aide davantage à mettre en œuvre le Green Deal européen au niveau local, notamment en leur fournissant des ressources supplémentaires et en renforçant leurs capacités afin de les aider à respecter leurs engagements en matière de climat. Près de la moitié (49 %) des répondants ont indiqué qu'ils ne disposaient pas d'outils et de capacités administratives suffisants pour atteindre leurs objectifs climatiques.
Parmi les principales priorités de l'UE, les maires ont souligné la nécessité d'investir davantage dans la mobilité durable, de coopérer plus étroitement avec l'UE pour mener à bien les transitions urbaines et de mettre en place un Fonds social pour le climat solide. Dans ce contexte complexe, le débat sur l'avenir du budget de l'UE et son soutien aux investissements climatiques sera une bataille politique cruciale.
Quel rôle pour les villes dans l'avancement de l'agenda climatique de l'UE ?
La bonne nouvelle, c'est que les villes ont déjà joué un rôle central dans la diplomatie climatique de l'UE au cours du mandat précédent. Et elles peuvent encore le faire. Un exemple récent est le rôle clé joué par les villes dans la promotion d'une loi européenne ambitieuse sur la restauration de la nature. Outre les actions de lobbying menées conjointement par des réseaux tels qu'Eurocities, de nombreuses villes ont également exercé des pressions au niveau national. Par exemple, le ministre régional de Bruxelles, Alain Maron, a joué un rôle crucial au nom de la présidence belge de l'UE en facilitant les négociations entre les gouvernements nationaux.
À l'avenir, les villes doivent continuer à promouvoir leur vision en coopérant étroitement avec le Parlement européen, qui a tendance à considérer les dirigeants municipaux comme des partenaires essentiels dans l'élaboration de nouvelles législations. La composition du nouveau Parlement est particulièrement significative à cet égard, étant donné que près d'un tiers des députés européens nouvellement élus ont une expérience de la politique locale.
Par exemple, parmi les 76 députés de la délégation italienne, 50 % (38 députés) ont une expérience de l'administration municipale, dont 23 % (17 députés) ont été maires. Bien qu'il s'agisse d'un cas quelque peu particulier, les recherches d'Eurocities suggèrent que de nombreux anciens dirigeants municipaux sont aujourd'hui eurodéputés, ce qui offre des opportunités de forger des alliances avec des champions urbains qui renforceront la politique climatique de l'UE.
Les orientations politiques récemment dévoilées par Ursula von der Leyen pour son nouveau mandat, ainsi que la composition de sa Commission européenne, s'inscrivent également dans la continuité de son projet phare, le « Green Deal » européen, tout en mettant davantage l'accent sur la mise en œuvre grâce à de nouvelles alliances et au soutien de l'industrie.
Malgré quelques revers lors de la campagne électorale, l'action climatique reste une question clé dans l'agenda de l'UE. Les maires continueront à jouer un rôle essentiel en veillant à ce que les objectifs et la législation audacieux se traduisent par des mesures efficaces sur l'ensemble du continent.