Le mécanisme d'Ajustement  aux Frontières pour le Carbone de l'UE : défis et enjeux.

Le mécanisme d'Ajustement aux Frontières pour le Carbone de l'UE : défis et enjeux.

Résumé : Lorsque les entreprises sont confrontées à des prix du carbone élevés dans un pays, elles délocalisent souvent leur production vers des lieux où les prix sont moins élevés, voire inexistants. Pour résoudre ce problème, l'Union européenne a créé le mécanisme d'ajustement aux frontières pour le carbone. Mais pour les pays en développement, ce mécanisme impose des barrières commerciales qui pourraient étouffer leur croissance et leur transition écologique. J'analyse les principales caractéristiques de cette politique et examine les défis qu'elle pose et les opportunités qu'elle offre pour un avenir durable.


L'Union européenne a été un leader mondial en matière de politique climatique, avec le système communautaire d'échange de quotas d'émission (SCEQE) de l'UE au cœur de son action.

Toutefois, les industries européennes sont confrontées à un désavantage concurrentiel en raison des prix du carbone plus élevés que les entreprises des pays tiers, ce qui peut entraîner des délocalisation de productions vers des régions où les prix du carbone sont moins élevés, voire inexistants.

Les entreprises européennes opérant dans les secteurs couverts par le SCEQE sont confrontées à des prix du carbone qui se situent actuellement entre 60 et 70 euros par tonne de CO2. De nombreux pays non membres de l'UE n'imposent pas de prix du carbone à leurs industries, ce qui crée un avantage en termes de coûts pour les entreprises opérant en dehors du marché commun. Pour remédier à ce déséquilibre concurrentiel et prévenir les fuites, l'UE a introduit le Mécanisme d'Ajustement aux Frontières du Carbone(MAFC), qui impose un droit de douane sur les importations de biens à forte intensité de carbone en fonction de leurs émissions intégrées. Ce mécanisme, qui prendra pleinement effet en janvier 2026, vise à créer des conditions de concurrence équitables pour les producteurs de l'UE et des pays tiers tout en faisant progresser les efforts de décarbonation au niveau mondial.

Des quotas gratuits sont actuellement accordés aux entreprises de l'UE dans les secteurs à forte intensité énergétique couverts par le SCEQE, qui sont les plus exposés aux délocalisations. Ces quotas dissuadent les entreprises de se délocaliser en dehors de l'UE en leur permettant d'émettre librement, sans payer de prix du carbone, jusqu'à un certain seuil.

Toutefois, cela n'incite pas les entreprises à investir dans la réduction des émissions. Les quotas gratuits seront progressivement supprimés au fur et à mesure de la mise en œuvre du MAFC, ce qui incitera ces entreprises à investir dans la décarbonation, puisqu'elles ne seront plus protégées des prix du carbone.


Caractéristiques principales

Couverture sectorielle

Le MAFC s'appliquera dans un premier temps aux produits à forte intensité de carbone qui sont les plus exposés aux fuites. Il s'agit du ciment, du fer et de l'acier, de l'aluminium, des engrais, de l'électricité et de l'hydrogène.

Mise en œuvre progressive

Le mécanisme sera progressivement mis en œuvre à partir de janvier 2026, accompagné d'une suppression progressive des quotas gratuits. Il se trouve actuellement dans une phase transitoire où les importateurs de biens MAFC déclarent les émissions incorporées dans leurs importations, mais ne paient pas pour celles-ci.

Champ d'application des émissions

Pour le fer et l'acier, l'aluminium et l'hydrogène, le MAFC ne couvre que le CO2 directement émis lors de la production. En revanche, pour le ciment et les engrais, le mécanisme couvre les émissions directes et indirectes de l'électricité utilisée dans le processus.

Le prix

Le prix des certificats MAFC sera identique au prix moyen hebdomadaire des enchères de quotas du SCEQE (mesuré en euros par tonne de CO2). Le prix du carbone importé est donc équivalent au prix national. Si un producteur non européen paie un prix du carbone dans son pays d'origine, ce prix peut être déduit de son obligation MAFC.


Impact sur les pays en développement

Les pays en développement doivent soigneusement équilibrer leurs besoins de croissance et leurs ambitions en matière de climat. Étant donné qu'ils exportent généralement des biens à forte intensité de carbone, le MAFC leur impose une charge disproportionnée. Ils disposent également de réseaux électriques plus polluants et les entreprises peuvent être confrontées à des coûts plus élevés en raison de leurs émissions indirectes, bien qu'elles n'aient qu'un contrôle limité sur le bouquet énergétique des réseaux électriques. Ces coûts peuvent ralentir la transition écologique des pays en développement, tout en entravant leurs ambitions de croissance.

En outre, l'approche unique du MAFC en matière de tarification du carbone ignore les principes d'équité et de responsabilités communes mais différenciées de l'Accord de Paris. Les pays en développement dont les émissions sont historiquement plus faibles et qui disposent de moins de ressources seront confrontés à un prix du carbone uniforme, quel que soit leur statut de développement. Pour atténuer ces impacts, l'UE aurait pu recycler les recettes du MAFC pour soutenir les efforts de transition des pays en développement, mais cette disposition n'a pas été incluse dans la législation finale.

Pour éviter de payer des droits de douane liés au MAFC à Bruxelles, les pays en développement peuvent mettre en œuvre leurs propres systèmes de tarification du carbone (et conserver les recettes associées).

Toutefois, nombre d'entre eux n'ont pas la capacité institutionnelle de mettre en place de tels systèmes et ont besoin de l'assistance technique des pays développés, que l'UE s'est engagée à leur fournir. En outre, ces pays sont confrontés à des coûts de mise en conformité, qui pourraient être exacerbés si d'autres pays développés adoptaient des systèmes MAFC avec des exigences de mise en conformité différentes, ce qui alourdirait la charge réglementaire.


Couverture des produits

Dans sa forme actuelle, le Mécanisme d'Ajustement aux Frontière du Carbone peut encore être vulnérable aux délocalisation en raison d'une couverture incomplète des produits.

Produits de substitution

Les produits soumis au MAFC peuvent avoir des substituts à forte intensité de carbone qui ne sont pas couverts par le mécanisme, et les entreprises de l'UE peuvent progressivement se tourner vers ces substituts plus polluants.

Biens intermédiaires et biens finaux

Si le MAFC couvre un bien intermédiaire utilisé dans la production mais pas le bien final, les entreprises de l'UE dans ces secteurs deviendront non compétitives sur les marchés nationaux et étrangers puisqu'elles sont confrontées à des coûts d'intrants plus élevés que leurs homologues mondiaux et que les entreprises non européennes peuvent exporter le bien final vers l'UE sans avoir à supporter le MAFC. Cela augmente la probabilité de délocalisations dans les secteurs en aval et sape la compétitivité des industries tournées vers l'exportation dans l'UE. Bien que la question de la compétitivité des exportations puisse être atténuée par des remises à l'exportation, ces mesures pourraient ne pas être conformes aux règles de l'OMC.

Ces questions suggèrent que le MAFC ne va pas assez loin en termes de couverture des produits. Bien qu'il soit intéressant de commencer par quelques secteurs, le MAFC doit être étendu à tous les produits couverts par le système communautaire d'échange de quotas d'émission pour être plus efficace dans la prévention des fuites.


Problèmes de dumping

Le mécanisme pourrait entraîner une polarisation des modèles de production et des chaînes d'approvisionnement, les entreprises polluantes réorientant leurs exportations vers les marchés sans taxes frontalières sur le carbone, tandis que les entreprises propres desserviraient le marché de l'UE. Les autres pays développés ne disposant pas d'une taxe aux frontières sur le carbone seraient ainsi exposés au dumping, ce qui risquerait de nuire à leur industrie nationale. Par exemple, l'industrie sidérurgique britannique a exprimé ces préoccupations ; le Royaume-Uni est une destination attrayante pour réorienter les exportations d'acier sale et bon marché en raison de sa proximité géographique avec l'UE. Les pays non membres de l'UE peuvent mettre en œuvre leur propre MAFC pour éviter cette situation.


Conformité aux règles de l'OMC

L'UE insiste sur le fait que le Mécanisme d'Ajustement Carbone aux Frontières est conforme aux règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Toutefois, il existe une certaine incertitude juridique à ce sujet.

Article I du GATT (principe de la nation la plus favorisée)

Ce principe stipule que les marchandises importées de n'importe quel pays doivent être traitées de la même manière. Or, le MAFC impose des droits de douane différents en fonction de l'existence et du niveau d'un prix du carbone dans le pays exportateur. L'UE soutient qu'il ne s'agit pas d'une discrimination, étant donné que les pays adoptent des approches différentes en matière de tarification du carbone.

Article III du GATT

Cet article stipule que les réglementations, lois et pratiques commerciales internes n'accordent pas de traitement préférentiel ou de protection aux produits nationaux par rapport aux produits importés. Le MAFC impose des droits de douane plus élevés sur les produits importés dont l'intensité des émissions est supérieure à celle de leurs homologues de l'UE. Toutefois, l'OMC peut considérer que des produits identiques ayant des intensités d'émissions différentes (parce qu'ils ont été produits à l'aide de méthodes de fabrication différentes) ne sont pas des produits « similaires ».

La conformité du MAFC avec les règles de l'OMC ne sera officiellement vérifiée que lorsqu'un pays portera un différend devant l'OMC. L'UE a indiqué qu'elle n'invoquerait l'article XX(B) du GATT, qui prévoit des dérogations pour les politiques « nécessaires à la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou à la préservation des végétaux », qu'en dernier recours.


La voie à suivre

Il reste à voir comment le Mécanisme d'Ajustement aux Frontières du Carbone influencera les futures politiques commerciales et climatiques. Il pourrait inciter les pays à rejoindre l'UE dans la mise en œuvre de la tarification du carbone et des taxes frontalières sur le carbone. Le Royaume-Uni prévoit d'introduire son propre mécanisme d'ajustement frontalier pour le carbone d'ici 2027. Toutefois, cela pourrait également entraîner une augmentation du protectionnisme et des frictions commerciales, avec des représailles de la part des pays en développement. Cela entraînerait une hausse des prix et éventuellement ralentirait l'adoption de technologies vertes.

Le Mécanisme d'Ajustement aux Frontières du Carbone est une étape pionnière dans l'alignement de la politique commerciale et climatique, mais son succès à long terme dépendra de la manière dont il répondra aux préoccupations des pays en développement et au potentiel d'augmentation des frictions commerciales mondiales. L'UE devrait surveiller de près son impact, en veillant à ce que les pays en développement reçoivent un soutien adéquat et évitent les charges injustes. Il reste à voir à quel point le MACF sera transformateur, mais il a certainement le potentiel de remodeler le commerce mondial et la politique climatique pour les années à venir.



François Chaulet

Président de Montségur Finance

1 mois

Très intéressant. Il s'agit du mécanisme le plus juste pour optimiser notre bilan carbone élargi et donc lutter globalement contre le réchauffement climatique à l'échelle européenne.

Identifiez-vous pour afficher ou ajouter un commentaire

Autres pages consultées

Explorer les sujets