TROP, C'EST TROP!!
Par un agaçant phénomène de mode, l’adverbe « trop » a acquis, d’abord chez les jeunes, une signification tout à fait contestable, celle de « très », « vraiment », « extrêmement », et parfois « beaucoup » :
« Mon prof d’anglais est trop sympa ! », « Son petit copain est trop cool ! », « Cette série télé est trop bien », « La techno, j’aime trop », etc. Cet emploi de « trop » n’est aujourd’hui acceptable que dans des formules de politesse (parfois teintées d’un soupçon d’ironie) : « Monsieur est trop bon ! », « Trop aimable ! » et, à la rigueur dans des exclamations exprimant une intention affectueuse : « Cet enfant est trop chou ! », « Ce petit chien est trop mignon ». Toujours aux aguets de tout ce qui peut faire vendre (et les jeunes sont une cible de choix), les publicitaires se sont emparés, de manière démagogique, de ce qui n’était qu’un tic de langage et, il y a peu, les écrans de publicité abondaient en ces « trop » fautifs. On entendait, par exemple : une tablée de moines replets s’exclamer à propos d’un fromage : « Pardon, mais c’est trop bon ! », un jeune ahuri dire « c’est trop bon ! » en parlant d’une bière mexicaine, des garçons plutôt « déjantés » vanter les mérites d’une chaîne de restauration rapide, chantant « C’est trop bien, c’est trop cool ! », ou encore, un cuisinier du dimanche déclarer à propos d’un couscous à poêler qu’il est « trop trop bon ! ».
Pour nos chères têtes blondes, « trop » s’applique donc, dans tous les domaines, à ce qui relève de la qualité supérieure, du niveau le plus élevé, du nec plus ultra ou, pour rester dans un style « branché » nourri d’anglicismes, du « top du top », du « must ».
Contresens !
Employer ainsi l’adverbe « trop », c’est ne pas se rendre compte que, loin de signifier l’excellence, notion positive, il signale l’excès, l’abus, l’exagération ou l’inatteignable, notions négatives. Adjoindre « trop » à un adjectif, c’est nuancer d’un regret, d’un désenchantement, le jugement de valeur qu’il exprime, que l’idée soit explicite ou implicite. Dire d’une femme qu’elle est trop belle, c’est sous-entendre qu’elle est inaccessible (cf. le film de Bertrand Blier, Trop belle pour toi), dire d’un projet qu’il est trop beau, c’est reconnaître qu’il est irréalisable (cf. l’expression « C’est trop beau pour être vrai »), prétendre d’un homme qu’il est trop poli, c’est insinuer que sa politesse cache un grave défaut (cf. « Trop poli pour être honnête »). Un récipient est plein quand le liquide arrive au bord, trop plein, il déborde ! Ajoutons que cet abus de langage sert souvent de cache-misère : en utilisant « trop », on évite des qualificatifs plus riches parce que plus précis, plus nuancés, voire plus subtils.
« Trop belle » est bien pauvre par rapport à « sublime », « éblouissante » « superbe », « ravissante ». « Trop bon » en dit bien moins que « délectable », « savoureux », « délicieux », « succulent » ou « exquis » « Trop drôle » (« Trop fun ») peut être avantageusement remplacé par « hilarant », « désopilant », « inénarrable », « impayable », etc.
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Dans un premier temps, les adultes responsables, décidés à défendre le bien parler en exigeant de leur progéniture qu’elle respecte notre lexique, sa sémantique et sa syntaxe, ces adultes, dis-je, se sont formalisés, tout comme les pédagogues de notre éducation nationale et les quarante immortels de notre vénérable Académie. Cette dernière a gravé dans le marbre le commandement suivant :
« On évitera systématiquement de substituer trop à très et, plus encore, de faire de trop un adjectif signalant une qualité si incroyable qu’il semble impossible de l’énoncer. »
Mais rien n’y fit, bien au contraire. Loin de contraindre les jeunes à respecter les règles de leur langue vernaculaire, les adultes eurent tôt fait de se déresponsabiliser par lassitude, laxisme, défaitisme ou légèreté (« après tout, ce n’est pas si grave ! ») et ils se sont même pris au jeu du « trop » à la place de « très » de « beaucoup », voire de « tout à fait ». Ainsi, lors d’un bain de foule à La Rochelle, Gabriel Attal s’entend dire « Vous êtes trop mignon », une série télévisée diffusée de 2006 à 2010, porte le titre de Trop la classe, en 2017, le rappeur Youv Dee chante J’aime trop ça (« J’me lève tard, j’aime trop ça »), à Angoulins (Charente-Maritime), un espace de loisirs pour enfants a été baptisé « Trop cool », à propos d’un sport, d’une chanson, d’un film, d’un roman, d’un spectacle qui a plu, on exprime son enthousiasme en s’écriant : « Trop génial ! », on approuve en disant « tout à fait » ou « absolument » plutôt qu’un simple « oui », etc. Ce tic de langage doublé d’une faute sémantico-syntaxique participe à et d’une tendance générale : donner systématiquement dans le superlatif, le « toujours plus ». « Trop » est à « très », ce que l’excès est à l’extrême, l’excédent au plein, « génial » à « talentueux », « géant » à « grand », « super » à « bien » ou « beau ». L’exploit ne se suffit plus à lui-même, il faut le qualifier d’« énorme », même de « stratosphérique » (et « Paris 2024 nous a gratifié de nombreux exemples !) À force d’exagération et d’hyperbole, comment peut-on revenir à une expression normale, un vocabulaire correspondant à la réalité sans donner dans la démesure ? Mission impossible. À ce stade, la réponse est du ressort de la psychologie plus que la linguistique.
Directrice chez Ecole de danse Révision de textes Maquillage fantaisie
5 moisJe fais le même constat que vous et vous avez raison de pointer les parents, les enseignants et les adultes en général. J'interviens quand l'occasion se présente mais peu de gens comprennent.