Un peu de mécanique sociale : quand NOUS parlons, qu'est-ce qui parle ?
Nous sommes pétris de "représentations sociales". Et j’estime que ne pas le savoir réduit considérablement notre niveau "d'Intelligence Collective Brute".
Pour accompagner un collectif comme pour assurer le développement des individus dans les groupes (faciliter le travail collectif, les apprentissages ou encore, la politique au sens étymologique), j'estime qu'on ne peut pas se passer de travailler sur les "représentations".
Une manière simple de vous familiariser avec la notion de représentation
Pensez à ce brave Monsieur Lambda cloîtré dans son appartement. Depuis sa fenêtre il voit qu'un monospace et un bolide rouge squattent sa rue déserte depuis une grosse semaine.
Il en déduit que la moitié des voitures en France sont, soit des "familiales", soit des "voitures de course".
Il a une représentation subjective du monde réel qu’il se construit chaque jour au fil de ses expériences. Depuis sa fenêtre. Mais est-ce que notre regard peut-être collectivement orienté ?
À l’échelle d’une équipe, d’un groupe de formation…d’une nation ? Qu’est-ce que nous possédons comme clé de décodage pour nous en assurer ? Comment valider que nous parlons bien du réel ?
Difficile de travailler sur le réel quand on a aucune conscience des filtres au travers desquels nous percevons la réalité.
Dans mon approche professionnelle du leadership et de la pédagogie, mais également en tant que citoyen, la notion de « représentation » est indispensable pour mieux comprendre les individus et les groupes en analysant la façon dont ils se représentent eux-mêmes, les autres et le monde.
Pour le dire dans la langue des sciences sociales : une "représentation sociale" c'est « une forme de connaissance, socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social.» (Denise Jodelet).
Quand NOUS parlons, nous faisons également parler un « noyau consensuel » à partager. Un noyau (qui peut-être décorrélé du réel) qui apporte de la stabilité pour expliquer le monde…et résister aux tensions liées au changement.
Alors voilà un petit kit de survie à l’attention des leaders, des pédagogues et des citoyens (la sociologie est un sport de combat), parce que bâtir une saine compréhension du monde, c’est déjà agir. Et c'est essentiel à la culture du changement.
Les représentations sociales ont quatre fonctions principales (1)
Une fonction de savoir (même naïf)
Le contenu de la représentation permet de comprendre et d’expliquer la réalité. Ces savoirs « naïfs » (en sociologie on aime parler de « sens commun ») permettent de communiquer et favorisent les échanges sociaux.
« T’as vu ce qu’il se passe avec les voitures? J’ai entendu dire qu’on aurait bientôt 50% de voitures de sport en France. C’est quand même fou, tu ne trouves pas ? »
Une fonction identitaire
Les représentations sociales servent aussi à définir l’identité sociale de chaque individu et à préserver la spécificité des groupes sociaux. Elle permet de construire une identité de groupe. C'est aussi un outil pour se comparer socialement. Bien sûr, les représentations sociales sont parfois "concurrentes". On utilise la représentation sociale pour situer l’autre. "La façon dont notre groupe pense un objet le positionne dans l’échiquier sociétal »(2)
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« Tu ne te sens pas concerné ? T’es quand même pas anti-voiture ? »
Une fonction d’orientation
Les représentations sociales vont aussi permettre à chacun d’anticiper, de produire des attentes mais également de se fixer ce qu’il est possible de faire dans un contexte social particulier. La représentation est une sorte de "prédécodage" de la réalité. Ça permet de guider l'action.
Elle produit un "système d’anticipations et d’attentes". On peut dire de la représentation qu'elle est prescrit des comportements ou des pratiques. Elle va définir ce qui est licite ou non. Tolérable ou acceptable (pour ne pas se disqualifier socialement). Toujours dans un contexte donné. Cette fonction va intervenir dans les processus de socialisation (comprendre les normes, les valeurs, les rôles dans un groupe) ou de comparaison sociale.
"Entre les monospaces qui prennent toute la place et les sportives qui font du bruit, tous des irresponsables ! Moi j'achète une citadine"
Une fonction de justification
La "représentation sociale" a aussi une fonction en aval de l'action. Elle permet de se justifier. Elle joue un rôle essentiel dans le maintient ou le renforcement des positions sociales.
« La représentation a pour fonction de pérenniser et de justifier la différenciation sociale, elle peut – comme les stéréotypes – viser la discrimination ou le maintien d’une distance sociale entre les groupes concernés »(3)
"Oui, j'ai crevé ses pneus ! Si ça suffit pas ça sera le pare-brise. Si ça peut faire changer les mentalités c'est déjà ça de pris"
Notre vision du monde n’est pas la réalité
En tant qu'individus, nous appréhendons le réel avec nos sens de prédilection, notre vécu, notre éducation, nos expériences, nos croyances, nos valeurs…
En tant que groupe et corps social aussi.
La "force du nombre" n'immunise pas nécessairement contre une perception très parcellaire de la réalité, et pour les raisons évoquées, au tri, à la priorisation, à l'omission d'informations...
Nous avons tous notre "carte du monde", et comme le rappelle si bien un des présupposés de base de la PNL :
"La carte n'est pas le territoire !"
(2) Pierucci, S., Waroquier, L. et Klein, O. 2008. « Stéréotypes et représentations sociales de la drogue et de ses usagers ». Les Cahiers de Prospective Jeunesse, n°46, mars 2008
(3)Abric, Jean-Claude. 2011. Pratiques sociales et représentations. Paris : PUF, p 24