Une appli. pour Smartphone peut-elle sauver le CPF et la formation en France ?

Alors que les pouvoirs publics prétendent sauver le Compte Personnel de Formation en l'équipant d'une application numérique ("liker la formation, c'est simple comme un Tweet) il est peut-être nécessaire de se demander si notre pays ne ferait pas une encore une fois fausse route avec ce réceptacle (même modernisé) qui compte les heures de formation.

Le Compte Personnel de formation n'aura sans doute servi depuis 4 années (2013-2017) que de faire valoir aux partenaires sociaux et de leurre au monde du travail, il demeure par sa nature même une illusion sur la formation, sa forme, sa nature et ses réalisations.

  1. Le CPF est parti d’un diagnostic biaisé et surinterprété: si le DIF n’avait pas (assez) marché c’est parce que l’employeur n’avait pas joué le jeu (et cela est en partie vrai) du développement des compétence. Il aurait donc suffit d'externaliser le dispositif vers les OPCA et vers l’Etat (la Caisse des dépôts en l’occurrence) pour qu'enfin les salariés, absolument ravis et tous impatients d'apprendre et de se former, se précipitent en nombre vers ce compteur tant attendu et un nouvel horizon apprenant.
  2. Comme on aurait du s'y attendre, cela n'a pas du tout été le cas avec un dispositif CPF utilisé par à peine 1 % des salariés en 2016 (et surtout par des chômeurs qu'on a contraint à utiliser ce dispositif en 2015-16) cf : rapport officiel de l'IGAS d'octobre 2017
  3. La comptabilisation des heures de formation était un élément parfaitement connexe et secondaire pour le dispositif du Droit Individuel à la Formation (DIF). Les entreprises (après 4 ou 5 ans de délais pour certaines) avaient toutes construit leur compteur DIF, élaboré des circuits de demandes de formation et elles commençaient à bien roder ce dispositif qui ne demandait dès lors que quelques années de patience et des financements sérieux pour pouvoir se généralisér (12 milliards d'euros par an selon la Cour des Comptes alors que les entreprises n'y ont consacré chaque année que 200 millions environ)
  4. La grande affaire du CPF aurait donc tenu dans la perte "indicible" des heures de formation sur les compteurs en cas de chômage ou de changement d'employeur. Il s'agissait évidemment d'une pseudo-difficulté mais celle-ci aura au final servi de prétexte pour démanteler le DIF (et les efforts de centaines d'entreprises et d'organismes de formation qui le promouvaient) et construire sur du vide à sa place (le vague sentiment que des heures potentielles de formation allaient miraculeusement se transformer en un développement professionnel conséquent)
  • L'intérêt du DIF ne résidait évidemment pas dans les compteurs (un projet de formation n'est jamais lié au nombre d'heures dont on disposerait) mais dans la co-décision, le dialogue indispensable (et difficile) entre l'employeur et son salarié quant au développement des compétences
  • En cas de changement d'employeur un salarié pouvait parfaitement demander ses heures de DIF avant d'être licencié (très peu le faisaient d'ailleurs)
  • Dans une nouvelle entreprise si le salarié n'avait pas les compétences requises l'employeur avait intérêt à financer la formation de sa nouvelle recrue
  • Chez Pôle emploi il est ridicule et contre-productif d'exiger que le DE présente un capital CPF suffisant pour l'autoriser à se former (s'il en a besoin). Par ailleurs les chômeurs ne "gagnent" pas d'heures de CPF au chômage et les quelques résultats du CPF pour les chômeurs ont été obtenus en contraignant la plupart d'entre eux à prendre leurs heures de CPF s'ils voulaient se former (dans l'ANI de janvier 2013 il était pourtant promis que les salariés comme les DE pourraient utiliser sans aucune limites ni contraintes leur heures de formation)

En voulant mêler la formation des chômeurs et celle des salariés en poste les pouvoirs publics ont naufragé l'une et l'autre

La capitalisation d'heures de formation sur des compteurs : une quête vaine et ridicule

Le dispositif complexe de cumul dégressif d'heures de CPF qu'ont imaginé les pouvoirs publics et les partenaires sociaux est grotesque : ce n'est pas parce que les salariés auront plus (ou moins) d'heures sur leurs compteurs qu'ils se formeront.

La meilleure preuve de l'inintérêt d'un compteur national d'heures est représenté par le milliard d'heures de DIF cumulés entre 2004 et 2014 par les 15 millions de salariés qui y avaient droit, heures qui restent inutilisés, en déshérence sur les Compteurs CPF bien qu'elles soient perdues dans 3 ans, le 31 décembre 2020.

Peut-on encore sauver le soldat CPF ?

Pour sauver le CPF, sans attendre 20 ou 30 années pour que ce dispositif fasse son petit bonhomme de chemin, il faudrait adopter (enfin) des mesures fortes pour en finir avec la périlleuse dépréciation du capital humain dans laquelle notre pays se débat (perte de compétences, d'employabilité et d'habilités professionnelles de nombreux travailleurs)

  1. Transformer ce Compteur formation en un simple Chèque Personnel de Formation (CPF), utilisable pour chaque année civile (surtout pas de cumul) il permettrait de se former soit 24 heures par an (quand on a le niveau bac ou plus) soit 48 heures par an pour tous les autres travailleurs (salariés ou non) insuffisamment qualifiés pour évoluer dans l'économie de la connaissance
  2. Faire financer pour partie par le salarié lui-même (et pour l'autre partie par son employeur) la formation (en considérant enfin la formation comme un investissement, déductible fiscalement des revenus pour le contribuable)
  3. Réaliser ces formations annuelles du Chèque Personnel Formation sur le temps personnel des salariés, via leurs RTT et leurs congés. Ce temps "libéré" par les 35 heures devait, rappelons-le, servir aussi à la formation des salariés (comme le déclamaient les pouvoirs publics lors du vote de la loi réduisant le temps de travail en 1999)

Si donc notre pays veut saisir sa chance et raccrocher enfin les wagon de l'économie de la connaissance il lui faudra casser sans délai ce cercle vicieux du chômage et du manque de compétences des travailleurs en réhabilitant pour la formation (comme pour l'éducation) le goût du travail et de l'effort formation.

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