Une « Grande Sécu » ou un « Grand paritarisme » ?

Une « Grande Sécu » ou un « Grand paritarisme » ?

Par michel monier , Ancien Directeur général adjoint de l’ UNEDIC et membre du Think Tank CRAPS.



« Assurer les risques liés à un contrat de travail ne relève pas de la solidarité ni de l’assistance sociale »


L’enchaînement des réformes sociales dit notre préférence collective pour gérer les accidents économiques davantage que de les prévenir. L’approche comptable prévaut sur les enjeux économiques. Réforme de l’indemnisation du chômage, des retraites, gestion comptable de la Santé : l’État s’est fait administration sociale et son appareil s’est fait forteresse. À travers ces murs, la vision est celle que permettent les étroites meurtrières : au mieux une vision partielle, souvent une vision partiale qui détermine une stratégie défensive.

La négociation sur l’indemnisation du chômage est, en même temps, cadrée par l’exécutif et éclairée par l’actualité économique. Cadrée par l’exécutif qui demande des économies, éclairée par l’actualité économique qui annonce des pertes d‘emplois.

La trajectoire des comptes publics d’une part et la conjoncture économique d’autre part contraignent les partenaires sociaux à s’accorder, en même temps, sur des économies d’indemnisation et sur le maintien de règles d’indemnisation adaptées à la situation qui s’annonce ! Un « en même temps » acrobatique ! L’objectif budgétaire prévaut sur l’objectif économique : la conjoncture doit se plier à la rigueur comptable, curieux renversement de logique !

Le président de l’Unédic, Jean-Eudes Tesson, rappelait récemment[1] que l’Unédic supporte, depuis des années le « défaut » de l’État qui « n’a eu de cesse de déposséder les partenaires sociaux de leurs prérogatives sans en assumer les conséquences financières » et de conclure « si l’Etat avait assumé les conséquences financières de ses décisions plutôt que d’en laisser la charge à l’Unédic, ce ne sont pas 60 milliards d’euros de dette que nous aurions à porter mais un excédent au bénéfice des demandeurs d’emploi, des salariés et des entreprises. »

Pour sortir de cet acrobatique en même temps, de cette injonction contradictoire, les partenaires sociaux doivent oser faire un pas de côté pour s’accorder sur un protocole qui fasse prévaloir l’objectif d’économie sur les dépenses débudgétées que l’État fait porter par l’Unédic. Faire ce pas de côté c’est préserver l’indemnisation pour affirmer le rôle contracyclique, économique et social, de l’indemnisation du chômage. C’est, en même temps, participer au désendettement public en réduisant le financement apporté par l’Unédic aux opérateurs de l’État, France Travail, France compétences.

Ce pas de côté, les institutions de prévoyance le tentent quand le CTIP – Centre technique des institutions de prévoyance – réagit aux nouveaux transferts de remboursements et d’indemnisations de l’Assurance Maladie vers les assureurs privés prévus par le PLFSS. Comme en écho au président de l’Unédic, la déléguée générale du CTIP réagissait dans Les Échos « Nous ne sommes pas là pour compenser des déséquilibres structurels de l’Assurance Maladie, avec des rustines. À la fin, ce sont les entreprises et les salariés qui vont payer[2] ».

Les partenaires sociaux gestionnaires de l’Agirc-Arrco doivent faire aussi ce pas de côté pour que les réserves prudentielles de l’organisme ne soient pas captées pour le financement du régime général des retraites.

L’Unédic, les institutions de prévoyance, les retraites complémentaires : trois exemples de gestion paritaire dont la gestion financière est sous la contrainte des défaussements de l’État qui faussent et biaisent les négociations et la gestion paritaire toujours suspectes de corporatisme, ce crime contre l’unité et l’indivisibilité républicaine (qui, cependant, fait avec le corporatisme des bureaux).

Voilà trois institutions paritaires qui gèrent des assurances sociales qui sont conséquences du contrat de travail. Trois institutions de Protection sociale, qui participent à la solidarité intergénérationnelle, interprofessionnelle, intrafamiliale aussi et, au-delà, à la solidarité nationale. En restant dans les silos du chômage, des retraites ou de la prévoyance, les partenaires sociaux ne font que de timides pas de côté face à l’État centralisé qui joue de façon déterminée en opportunité avec le PLF ou le PLFSS. Le jeu, au motif d’économies sur la dépense publique, est un jeu de bonneteau auquel les partenaires sociaux perdent à chaque fois.

Le pas de côté que les syndicats et employeurs ont à jouer c’est d’opposer à l’État une réponse globale, une réponse paritaire qui affirme que le dispositif d’indemnisation du chômage, celui des retraites complémentaires, celui de la prévoyance sont conséquents du contrat de travail. Assurer les risques liés à un contrat de travail ne relève pas de la solidarité ni de l’assistance sociale. Ne voit-on pas que détourner partie du financement de ces risques financés par le travail c’est renchérir le coût du travail ? La solidarité a un coût, doit-il être celui des cotisations sociales ?

Une réponse paritaire globale doit affirmer le caractère professionnel et systémique de ses assurances sociales, assurances de risques professionnels. Une telle réponse redonnerait du sens aux « charges sociales », aux accords contractuels, et participerait à redonner du sens au travail dont on dit qu’il en manque. S’il en manque n’est-ce pas, pour partie, que l’État providence s’est dévoyé en faisant, peu à peu, un tout de la Protection sociale en amalgamant assurances sociales et solidarité, au risque de transformer aujourd’hui la solidarité en assistance sociale ?

Périodiquement la « Grande Sécu » revient à l’actualité, elle y revient, chaque fois, pour des raisons budgétaires. La « Grande Sécu » c’est un projet comptable, un projet « de bureau » ; ce n’est en rien un projet de société que de pousser vers une Sécurité sociale qui sera « assistance », à l’opposé d’un projet de prévoyance couvrant les risques résultant du travail qui doit coexister avec un dispositif de solidarité et d’assistance. Le projet que les partenaires sociaux doivent porter c’est celui d’un « grand paritarisme » opposé à une « Grande Sécu » étatisée qui jouera le rôle de variable d’ajustement budgétaire (ce que sont déjà les transferts de financement et les réformes paramétriques demandées aux partenaires sociaux « cadrés » par l’exécutif). Le rêve d’une « Grande Sécu » est un rêve qui répond à une raison de comptes publics : Frédéric Le Play nous en alertait déjà « la raison d’État conduit à la déraison d’État » !

Le projet d’un « grand paritarisme » doit faire réinventer la relation, au sein de l’entreprise, entre les représentants des salariés et les employeurs. L’inspiration peut être trouvée avec le « syndicalisme de Gand » ou « syndicalisme de service » qui ajoute à la démocratie dans l’entreprise. Un modèle français adapté, « syndicalisme de Gand » pourrait offrir aux adhérents aux syndicats des « services complémentaires » prévus par les accords. Ce peut être, au niveau de l’entreprise, un moyen de fidéliser et d’engager, de redonner du sens au travail et, au niveau interprofessionnel le moyen de dynamiser le dialogue social.




Sources :

1. Commentaires du président Tesson dans un post diffusant les prévisions financières de l’Unédic sur LinkedIn.

2. Marie-Laure Dreyfuss, Déléguée générale du CTIP. « Consultations médicales, arrêts de travail : les mutuelles vent debout contre les projets du gouvernement ». Les Échos. 7 octobre 2024.


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