Wind of change, le tube de l'année en Iran ?

Wind of change, le tube de l'année en Iran ?

Depuis quelques temps, l’Iran connaît un nouvel épisode de protestations populaires. Le peuple descend dans la rue et exprime son ras-le-bol contre le conservatisme religieux et la rigueur des conditions de vie. Beaucoup d’Iraniens aspirent à un mode de vie plus moderne. Des femmes bravent les interdits et paradent publiquement les cheveux au vent afin de défier l’intransigeance des gardiens de la Révolution. Les protestations populaires n’incarnent pas une nouveauté sociale. Le pays s’enfonce fréquemment dans des périodes protestataires contre le régime en place mais cette fois-ci, un parfum différent emballe l’atmosphère. 

Le titre de ce tube planétaire de Scorpions résonne dans ma tête depuis plusieurs jours. Wind of change, vent de changement dans sa traduction française, pourrait correspondre à un changement auquel nous sommes peut-être en train d’assister au pays des ayatollahs. Qu’on ne s’y méprenne pas : l’Iran est profondément divisé entre les conservateurs qui approuvent leurs décideurs politiques et religieux et ceux, au contraire, qui aspirent à davantage de modernisme et de liberté. Nombreux sont les Iraniens ayant déjà migré sous d’autres cieux pour espérer y trouver une vie meilleure. Cela étant, le régime en place dispose également de forts soutiens internes.

La Révolution islamique déferla sur le pays en 1979. Depuis lors, l’Iran s’est retrouvé mis au ban de la communauté internationale et rudement sanctionné afin d’affaiblir l’économie nationale et de pousser les ayatollahs vers la sortie. Malgré la guerre sanglante qui opposa l’Iran à l’Irak dans les années 1980 puis le soutien du régime à différentes organisations terroristes internationales, les gardiens de la Révolution conservent la mainmise sur le pays depuis quatre décennies. Malgré les difficultés économiques rencontrées, les décideurs publics sont toujours parvenus à confisquer le pouvoir malgré les tensions sociales qui émaillent régulièrement la quiétude apparente du pays. En réalité, des Iraniens, toujours plus nombreux, bravent les interdits tout en s’exposant à de sévères sanctions. Lorsqu’on en arrive à un tel degré de protestation, une conclusion s’impose : le volcan gronde et ne tardera pas à entrer en éruption. 

Du côté américain, on regarde de près l’évolution de la situation. Que les décideurs politiques soient démocrates ou républicains, tous partagent le même désir d’assister à la chute du régime des ayatollahs et que la théocratie cède la place à un régime politique davantage orienté vers les standards occidentaux de gouvernance étatique. L’Iran symbolise l’anomalie orientale perturbant les plans diplomatiques américains depuis si longtemps. Il y eut bien quelques timides tentatives de dialogue entre Washington et Téhéran sous la présidence Obama. Elles demeurèrent infructueuses, notamment sur le dossier nucléaire, mais elles eurent pour conséquence de provoquer l’incompréhension et l’ire des alliés arabes du Golfe Persique, l’Arabie saoudite en tête. 

Lors de la présidence Trump, le cap diplomatique changea radicalement. Le premier pays visité après son élection fut précisément l’Arabie saoudite. Il profita de ce séjour en terre wahhabite pour restaurer de nouvelles relations diplomatiques et commerciales avec Riyad tout en assurant sa volonté de se montrer intransigeant à l’égard de Téhéran. Donald Trump n’eut de cesse de vouloir continuellement fragiliser davantage l’économie iranienne qui trouva cependant des alliés de circonstance : la Chine et la Russie. L’un et l’autre comptaient montrer aux Etats-Unis et à leurs alliés occidentaux que ces derniers ne détenaient plus le monopole décisionnel dans le monde mais que d’autres puissances étatiques étaient désormais en mesure de s’opposer à leurs volontés. En d’autres termes, la Chine et la Russie mettaient un coup de canif dans le paradigme de la domination occidentale qui n’avait eu de cesse de décroître depuis les années 2000. 

L’Iran connaîtra peut-être un changement de régime politique prochainement. Ce dernier viendrait probablement de la rue. Certes, internet et les réseaux sociaux jouent un rôle central, identique à leur pouvoir d’influence lors des Printemps arabes des années 2010. Toutefois, lorsque j’évoque ces événements survenus en Tunisie, en Egypte et dans d’autres pays, je constate surtout que les révoltes populaires ont abouti à des chutes de dirigeants politiques autoritaires mais qu’à défaut de les remplacer par des dirigeants capables d’apporter un nouvel élan au sein de la société, ces pays ont connu désordre et chaos. Certains ne s’en sont toujours pas remis.

Une partie de la société iranienne rêve assurément de changement, d’un desserrement de l’étreinte religieuse, d’une avancée sociale vers le modernisme. Pourtant, l’Histoire a souvent montré que les révolutions n’ont que trop rarement abouti aux aspirations escomptées. Les révolutions, sur fond de lutte pour la liberté, ont souvent débouché sur des régimes politiques encore plus autoritaires et stricts. A-t-on oublié qu’en France, la Première République connut une brève existence et réduite à néant par la Terreur ? Que dire de la Révolution russe de 1917 et de la fin de la monarchie ? J’ai brièvement évoqué les Printemps arabes ci-dessus. Pourtant, je ressens quelque chose de particulier en Iran. La population y est majoritairement jeune mais de nombreux Iraniens ont des parents ayant connu la monarchie du Shah. Or à l’époque, le pays était réputé pour être un des plus modernes du monde oriental. 

Les paroles de Wind of change auront peut-être quelque chose de prophétique en Iran. Lorsqu’une révolution éclate, la première difficulté consiste à la faire triompher. Cela ne se fait généralement pas sans heurts. La deuxième étape, sans doute la plus compliquée, est de l’installer et l’asseoir dans le temps. La rue s’embrase. Une partie du peuple gronde, tonne et hurle sa colère. Cela suffira-t-il pour ébranler le système, le faire vaciller et tomber ? Peut-être. Ce ne sera cependant pas une mince affaire et le plus dur restera à mettre en œuvre : confirmer et pérenniser. Autrement dit, les protestations actuelles symbolisent une étincelle. Pour aboutir à un feu, d’autres étapes intermédiaires doivent encore survenir. Pourtant, nous assistons peut-être aux prémices d’un nouveau vent soufflant sur l’Iran. 

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