X DÉPARTEMENTS ET RÉGIONS
Autant le couple canton-commune (ou agglomération-quartiers) est relativement simple à organiser, autant le couple région-département pose des problèmes délicats, qu'il s'agisse des territoires, des autorités administratives, des assemblées, des ressources ou des missions.
En ce qui concerne les territoires, nous avons indiqué qu'une douzaine de départements souffraient d'anomalies réellement gênantes, qu'il s'agisse de leur conformation ou de la situation de leur chef-lieu. Le pire défaut de conformation se rencontre en Lorraine, où l'on n'a pas osé rétablir les départements de la Meurthe (chef-lieu Nancy) et de la Moselle (chef-lieu Metz) tels qu'ils existaient avant 1871, sous prétexte des "lois locales" maintenues dans l'ancienne Alsace-Lorraine. Le résultat est que Longwy dépend de Nancy (à122 km), que l’on n’atteint d’ailleurs que via Metz (à 66 km), tandis que Sarrebourg dépend de Metz (à96 km) et non de Nancy (à 75 km). Il serait aisé de mettre fin à cette absurdité en appliquant ces fameuses “ lois locales ” à l’échelle de l’arrondissement.
Dans le Sud-Est on notera, par exemple, que Vienne, sous-préfecture de l’Isère, est à 87 km de Grenoble et à 31 seulement de Lyon, Arles à 38 km d’Avignon et à 87 de Marseille.
Puis on s’intéressera surtout à la région Nord-Pas-de-Calais, qui unit deux gros départements, forts de 2533000 et 1433000 âmes respectivement. Or leurs formes allongées provoquent des éloignements excessifs : 113 km de Lille à Fourmies, 112 km d’Arras à Calais. La raison commanderait ici une division créant deux départements supplémentaires : l’un autour de Valenciennes (sous-préfectures : Avesnes, Cambrai), l’autre autour de Boulogne (sous-préfectures : Calais, Montreuil, St Omer). Le premier serait celui de l’Escaut, le second garderait le nom de Pas-de-Calais, le département d’Arras se nommant logiquement “ Artois ”. Outre une meilleure proximité de l’administration, le grand avantage serait de remplacer le face-à-face actuel par un écart dimensionnel normal entre la région et ses quatre composantes.
Un problème analogue se pose, nous l’avons vu, pour les deux autres régions bi-départementales : Alsace et Haute-Normandie. Peut-on espérer que l’exemple de l’union réalisée naguère entre Bade et Wurtemberg incitera quelque jour à la formation d’un ensemble Lorraine-Alsace dont le lieu central ne pourrait être que Nancy ? Rien ne permet de l’envisager aujourd’hui. En revanche, beaucoup de voix se sont élevées pour réclamer la réunification de la Normandie. Mais autour de quelle capitale ? Le choix de Rouen, métropole historique, laisserait le Sud de la Manche à 223 km et Cherbourg à 242 km ; le choix de Caen laisserait Le Tréport à 216 km. C’est pourquoi nous avions suggéré l’installation à Lisieux (ville vraiment centrale et proche de l’aéroport de Deauville) de l’assemblée régionale et d’un préfet de région qui ne serait plus préfet de département.
De tels changements doivent évidemment être consentis par les populations, et non imposés. Cependant, on risquerait fort l’échec si ce consentement était demandé aux assemblées, toujours attachées au statu quo dont elles tiennent leur existence. Il serait donc nécessaire d’instaurer la possibilité d’un référendum régional ou départemental sur une question territoriale posée par le gouvernement
Cette question pourrait également porter sur le transfert d’un chef-lieu trop excentré. Nous avons cité le cas de la Saône-et-Loire : il appartient à ses 559000 habitants de dire s’ils préfèrent à Mâcon une “ ville nouvelle ” mieux située, près de la gare TGV de Montchanin, au croisement de la ligne à grande vitesse et du couloir du Charolais. De même, il est paradoxal que le chef-lieu de la Charente-Maritime soit La Rochelle, à 112 km de Jonzac, et non l’antique cité de Saintes. De même encore, le point central de la Meuse est Verdun, et non Bar-le-Duc. Enfin, certaines capitales régionales ont été mal localisées, souvent en raison des contraintes administratives de l’époque (régions militaires, etc.) : le centre de la Lorraine est Nancy et non Metz ; celui des Pays de la Loire Angers et non pas Nantes. Osera-t-on dire aussi que le cœur de la région "PACA" (Provence-Alpes-Côte-d'Azur) n'est pas Marseille, agglomération cosmopolite qui tourne le dos à la Provence, mais bien le noeud routier bi-millénaire d'Aix-en-Provence, ville prestigieuse qui est aujourd'hui la plaque tournante du réseau autoroutier régional?
La nouvelle structure des institutions régionales et locales issue des lois de décentralisation, a fait des présidents des assemblées les organes exécutifs des collectivités territoriales. Les services des préfectures sont mis à leur disposition pour la préparation et l'exécution des délibérations des conseils. Les contrôles financiers a priori ont été supprimés au profit d'un contrôle a posteriori exercé par les Chambres régionales des comptes.
Ces pouvoirs, transférés à des responsables quelquefois incompétents ou abusivement politisés ont provoqué, ici et là, des incohérences et des gaspillages que nous avons brièvement évoqués. Ces errements peuvent être considérablement réduits si l'on conforte le rôle de conseil (d'opportunité) et de contrôle (de légalité) exercé par l'administration préfectorale, dont le personnel est presque toujours remarquable (y compris les sous-préfets, utiles conseillers de "pays" pouvant donner lieu à des syndicats de cantons). Et c'est un éminent représentant des collectivités locales, M. Daniel Hoeffel, sénateur et président du conseil général du Bas-Rhin, qui réclame une "amélioration du contrôle juridique et financier (de ces collectivités), afin que la décentralisation soit au-dessus de tout soupçon" (1). Ce rééquilibre implique trois conditions : d'abord que les préfets retrouvent la durée (au moins cinq ans dans le même poste), sans laquelle il n'est pas d'autorité solide ; ensuite que nul ne remette en cause leur fonction de délégué unique du gouvernement, souvent mise à mal par les comportements autonomistes de tel ou tel service ; enfin, que les "dérapages", notamment en matière d'urbanisme et de permis de construire, soient évités par des schémas directeurs précis et par une législation plus stricte prévoyant des sanctions plus sévères. La coopération entre les préfets et les assemblées régionales ou départementales sera plus nettement positive si des structures rénovées créent un lieu fédéral entre les premières, rendues plus stables, et les secondes, rendues mieux représentatives.
Repenser le cadre cantonal
Longtemps, la prépondérance des cantons ruraux dans les conseils généraux a été telle qu’ils donnaient une image caricaturale du département.
Malgré le découpage, à la petite semaine, de nombreux cantons urbains, les disparités demeurent énormes. Dans les Alpes-Maritimes, le nombre des cantons est passé de 34 à 51 entre 1962 et 1990. Pourtant, si le canton de Menton recense 44029 habitants et celui de St Martin-Vésubie 1136 (soit 39 fois moins !), chacun élit un conseiller général. Dans les Ardennes, le canton de Monthermé est 16 fois plus peuplé que celui de Tourteron, etc.
Que faire ? Si nous admettons le même écart maximum -de un à six- que pour les structures intercommunales, deux situations peuvent se présenter. La première est le rattachement de petits cantons peu étendus à des unités socialement plus viables : nous avons cité plus haut le cas des Planches-en-Montagne ; dans l’arrière-pays niçois, les trois cantons de la Vésubie (Lantosque, Roquebillière, St Martin) seraient sans inconvénient réunis en un seul, peuplé de 4930 résidents, soit un peu plus que 0,5% de la population départementale. La seconde situation est celle de grands cantons très faiblement habités, où des services doivent néanmoins être maintenus au chef-lieu pour rester accessibles : le conseiller général représentera alors, exceptionnellement, deux ou trois cantons ; toujours dans les Alpes-Maritimes, ce conseiller sera alors l’élu commun des cantons de Puget-Théniers (172 km2, 2478 habitants), de Villars (201 km2, 1882 habitants) et de Guillaumes (459 km2, 1948 habitants), c’est à dire de la magnifique région du Haut Var. En outre, il serait normal qu’il puisse siéger de droit dans les trois conseils cantonaux.
Le résumé des dispositions des “ lois Defferre ” nous a montré qu’aucun lien n’était prévu entre conseils généraux et conseils régionaux, ces derniers étant élus comme si l’on avait voulu les rendre ingérables. Il est temps de renoncer à ces absurdités. En premier lieu, la région étant considérée comme une fédération de départements, une partie de l’assemblée régionale doit être composée de délégués de ces départements afin d'assurer la nécessaire cohérence entre la politique de la collectivité fédérale et les actions des collectivités fédérées. En second lieu, il est équitable que la moitié au moins de cette assemblée soit élue au suffrage universel direct, avec, là encore, un scrutin proportionnel ou majoritaire selon les cas. D’où l’idée d’une assemblée duale qui, issue de deux modes de désignation différents, prendrait le nom de congrès régional. Elle serait élue pour six ans, ce qui entraînerait le renouvellement total, et non plus par moitié, des conseils généraux. Chaque conseil général élirait un délégué, plus un pour 5% de la population régionale, un nombre égal provenant du suffrage universel départemental.
L’application de cette méthode au Languedoc-Roussillon - qui contient la Lozère, plus petit département français - donnerait des résultats suivants : 26 délégués des conseils généraux, dont 4 de l’Aude, 7 du Gard, 9 de l’Hérault, 2 de la Lozère, et 4 des Pyrénées-Orientales ; 26 élus au suffrage universel direct selon la même répartition avec scrutin proportionnel dans le Gard et l’Hérault, majoritaire ailleurs. Le “ congrès ” aurait ainsi un effectif de 52 membres, contre 67 pour l’actuel conseil régional ; il dégagerait plus aisément une majorité stable et travaillerait plus sereinement
Reste à se prononcer sur une option financière : la région doit-elle rester, comme il a été décidé en 1986, une collectivité territoriale de plein exercice, avec sa fiscalité propre, alors qu’elle est parfois si proche du département ? Après réflexion, la réponse ne peut être que positive : le congrès régional étant décideur d'une politique, il doit aussi décider librement de son budget, en concertation étroite avec les auteurs des budgets départementaux, lesquels sont représentés en son sein -et avec le souci constant de l'économie de moyens
Car il s’agit maintenant d’affecter des sommes considérables. En 1978, avant les lois de décentralisation, les dépenses globales des collectivités locales ne représentaient que 19,2% de celles de l’Etat. En 1995, elles s’élevaient à 708,4 milliards, soit 45,6% du budget national, après s’être accrues de 20% en quatre ans.
Le premier impératif est maintenant de savoir qui doit faire quoi, en appliquant le principe de subsidiarité, c’est à dire en confiant aux collectivités de chaque niveau la responsabilité des tâches qu’elles sont capables d’accomplir. Or, déclare M. Alain Peyrefitte, "les lois de 1982 ont entremêlé les compétences; les financements croisés brouillent tant les cartes que seuls les corps techniques de l'Etat peuvent s'y retrouver". Les réformes proposées, en organisant les rencontres et les coopérations, devraient faciliter la clarification : les conseillers généraux siégeant systématiquement dans les conseils cantonaux ou urbains et, pour certains d’entre eux, dans les congrès régionaux, nul ne pourra plus ignorer ce qui se fait dans les autres instances. Dès lors, les démarches vibrionnantes des "chasseurs de primes" qui quémandent et obtiennent de petites subventions d'une ville, puis d'un département, puis d'une région, puis de l'Etat, devraient prendre fin.
"Ce qui est national à l'Etat, ce qui est régional à la région, ce qui est communal à la commune" proclamait déjà en 1869, à Nancy, l'opposition républicaine : arrivée au pouvoir, elle s'empressa d'oublier cette belle doctrine. Saura t-on la mettre en oeuvre à l'orée du XXIème siècle.
La mission de la région est de poursuivre la réalisation d'un projet d'aménagement élaboré dans le cadre du schéma national, s'attachant aux activités supérieures et aux innovations qualitatives. Il lui appartient, par exemple, de permettre l'épanouissement de la vie artistique en se substituant à l'Etat, puisque celui-ci octroie 535 millions de francs de subvention de fonctionnement à l'Opéra de Paris (1993), et 72 millions pour l'ensemble des 13 opéras de la Réunion des théâtres lyriques de France (RTLF), "ce qui représente une aide de 825 F par spectateur parisien et de 131 F par spectateur de province" (2).
De même, l'autorité régionale doit avoir la capacité de combler les éventuelles lacunes de l'enseignement supérieur en décidant la création d'un Institut Universitaire de Technologie (IUT) ou d'un centre d'excellence professionnelle. Elle peut aussi investir dans un équipement original qui serait décisif pour le rayonnement d'une province : ainsi le génial "Futuroscope" qui attire plus de 3 millions de visiteurs (1996) au coeur du Poitou.
En résumé, nous avons préconisé des actions destinées à rendre les institutions décentralisées à la fois plus simples et plus efficaces :
- une seule forme de regroupement communal;
- un meilleur écart dimensionnel, dans certains cas, entre département et région;
- les couplages canton-commune et région-département réduisant le nombre des fiscalités locales actuelles;
- des assemblées départementales plus représentatives;
- des assemblées régionales rendues plus stables;
- l'insertion des actions décentralisées dans des schémas régionaux (actuellement inexistants, sauf en Ile-de-France) qui seraient eux-mêmes cohérents avec le schéma national.