Être un visionnaire : un peu de feeling et... beaucoup de travail !
Il est souvent demandé à un dirigeant de faire preuve de « vision », de telle sorte que les décisions prises le soient en fonction de ce qui va arriver, dans une anticipation de ce qui apparaît toujours imprévisible à la majorité des gens, et non de ce qui est seulement avéré aujourd’hui. Cette capacité est trop souvent mal comprise, considérée comme reposant sur des éléments irrationnels. Dans cet ordre d’idées, certaines entreprises ont toujours recours, lors des recrutements, à des pratiques douteuses d’astrologie ou autres cartomanciennes. Il va sans dire que cela relève plus du folklore que du professionnalisme.
En réalité, une vision claire et globale est un talent qui repose, dans notre expérience, sur trois capacités se capitalisant et se fécondant mutuellement :
1. La capacité à maîtriser une "approche système", c'est à dire à discerner et apprécier, dans une unité cohérente, l'ensemble des interactions complexes d'environnements, de stratégies, de projets… etc. La notion de système, en effet, repose sur une intuition que l'on peut énoncer ainsi : il est aussi important, dans l'étude de n'importe quelle réalité, d'identifier l'ensemble, la totalité des éléments et les relations entre ces éléments, que d'analyser indépendamment les propriétés et particularités de chacun d'eux. Une entreprise moderne est un système complexe, ouvert sur de nombreux environnements mouvants et changeants, où se développent de multiples interactions. Cela relève d’un véritable talent, car la diversité des éléments, la variété des relations, agissant et se développant au sein de son activité rendent délicates et parfois difficiles sa connaissance et son contrôle.
2. La capacité à maintenir une ouverture d’esprit et d’initiative. Notre nature a horreur du changement ; tout être humain "fonctionne" à partir d'un système de représentations tissé au fil de son éducation, de sa culture, de sa formation, de son expérience... etc. Mais il a spontanément tendance à s'enfermer dans ce système et à juger toutes choses à travers lui, fermant ainsi son champ de conscience à toute considération qui lui serait étrangère. L'ouverture d'esprit est la capacité à ouvrir et "reconfigurer" son système de représentation et à intégrer de la nouveauté, sous la motion de contradictions factuelles, de conflits de perspectives, d'opportunités ou de risques inattendus, et à transformer cette reconfiguration conceptuelle en reconfiguration opérationnelle.
3. La capacité à imaginer des solutions viables – ou plus exactement « les bonnes solutions » –, qui anticipent les réalités de demain. Cela correspond à ce que l’on appelle, trivialement, le « feeling ». En réalité, le processus en est complexe et repose également sur une véritable maîtrise professionnelle. Il est possible d’en décrire les phases successives :
a. La première repose sur une gestion des informations et un management performant des connaissances. Le « visionnaire » s’efforce tout simplement de connaître de façon plus précise le monde dans lequel il est et d’en percevoir le détail dans le domaine particulier qui l’intéresse. Cette phase se nourrit d’une curiosité permanente, touchant presque à une insatiabilité chronique.
b. La seconde est une phase d’incubation, pendant laquelle les fruits clés de la première phase se tournent et se retournent, pour ainsi dire, dans tous les sens. C’est un véritable travail de recherche, qui n’échappe pas, le plus souvent, à un trait d’obsession marqué.
c. La troisième, l’intuition, est celle qui semble la moins rationnelle ; c’est un moment de lumière dans la pensée, dans lequel le champ des possibles se referme sur une solution très dominante, engendrant presque une certitude exagérée.
d. La quatrième phase est celle de la vérification. La certitude acquise de tenir la vérité est provisoire et personnelle ; elle doit s’étayer de raisonnements fondés, du bon ordre des éléments en jeux, de la manière la plus rationnelle et la plus systématique. C’est un travail laborieux ; il se peut d’ailleurs que certaines confirmations attendues n’arrivent pas : il convient alors de reprendre les premières phases.
e. La cinquième enfin est celle des innovationsqui permettent de mettre en ordre opérationnel tous les éléments nécessaires à l’orientation future. Il s’agit effectivement d’une « mise en ordre de marche », permettant d’identifier les étapes et les points intermédiaires qui conduiront à la situation future souhaitée.
Ainsi l’intuition est-elle « encadrée », en amont en en aval, d’un pur travail rationnel qui la conditionne à quatre vingt quinze pour cent. On est très loin des boules de cristal ou des talents médiumniques. Il est alors en effet possible de dresser un profil, du moins a-minima, pour le recrutement d’un « visionnaire ». Mais il est non moins possible de former ceux qui en ont le potentiel, pour qu’ils progressent en la matière.
Key Account Director chez Grant Thornton / Expert Conseil Social, Paie, Rh et Sirh
6 ansMerci pour cet article !
Spécialiste de la Promotion Immobilière (LNC, 3F, Procivis, Priams...) à l'écoute d'opportunités(Directeur de Programmes,Développement, AMO,Missions de Conseil)
6 ansEncore un article stimulant , Cela fait du bien.Merci Je me permettrai de rajouter pour moi qu'il n'y a pas de vision sans volonté de dépasser la réalité , et donc sans la nécessité chevillée au corps de s'y confronter , de faire advenir sa cohérence ; Il y a bien sûr comme vous l'indiquer le travail , l'ouverture , la lente maturation et la confrontation mais il y a aussi et surtout l'envie d'exister en dépassant les contingences (les siennes notamment ) et de tenter de diffuser dans un rapport de vérité avec soi-même et les autres. Voilà ce qui différencie pour moi les visionnaires des vendeurs de salade.