Après le pétrole, après le gaz, vers un marché mondial de l’électricité ?

Après le pétrole, après le gaz, vers un marché mondial de l’électricité ?

Peut-être en avez-vous entendu parler : au plein cœur du mois d’août, la société japonaise PowerX a annoncé son projet de développer un navire autonome (sans équipage) permettant de transporter à terre l’électricité produite au large des côtes nippones par des parcs éoliens offshore. Techniquement : le navire emportera 100 batteries installées en réseau qui auront une capacité de stockage de 200 MWh, soit l’équivalent de la consommation journalière de 22 000 foyers japonais.

Sur le papier, ce concept semble être une réplique de ce que nous connaissons dans l’industrie du pétrole où les barils traversent les mers et les continents depuis leur lieu de production jusqu’à leur lieu d’utilisation. L’or noir est une énergie qui se stocke et se transporte facilement, c’est d’ailleurs l’une des caractéristiques à l’origine de son expansion. Acheminer sur de longues distances des électrons en mouvement est par contre plus compliqué. Cela implique classiquement de dérouler des linéaires de câbles opérés à des régimes de tension élevée pour gérer au mieux les pertes. Inévitablement, les marchés de l’électricité se sont donc développés au niveau de plaques géographiques locales et non mondiales.

Mais demain, cet équilibre pourrait-il être bouleversé par des innovations de rupture ? Vu d’aujourd’hui, cela peut paraître une vision naïve ou ridicule, selon à qui l’on demande. Mais avant d’écarter cette idée un peu trop vite, souvenons-nous des transformations qu’a connu ces dernières décennies un autre marché historiquement localisé, le marché du gaz.

Ce dernier a longtemps été fortement fragmenté car la distribution du gaz sous forme gazeuse est contrainte par l’existence des réseaux de pipelines. Il a été bouleversé par le développement de la filière GNL (Gaz Naturel Liquéfié) et le transport de cette énergie par bateau, donc potentiellement sur de très grandes distances à un prix compétitif. Ainsi ont émergé de nouvelles possibilités d’échanges entre l’offre et la demande, sur une échelle désormais mondiale.

Revenons à notre start-up PowerX, dont la mission proclamée n’est rien d’autre que de « changer notre manière de consommer et de transporter l’énergie renouvelable ». Avant d’envisager créer un marché mondial, les fondateurs de cette start-up vont en fait d’abord tenter de concrétiser leur vision sur une géographie et un marché particuliers, le Japon.

Le Japon a un objectif de développement des énergies renouvelables très ambitieux, réhaussé d’ailleurs cet été, et veut les faire passer à 36-38% du mix électrique en 2030, soit le double de ce qu’elles représentaient en 2020. Pour le concrétiser, les porteurs de projets devront composer avec la topographie du Japon : montagneux à l’intérieur, parsemé de zones naturelles protégées et, évidemment, cerclé par la mer et des fonds marins profonds. L’espace disponible pour les projets terrestres étant donc très contraint, les développeurs vont très vite se tourner vers les projets éoliens offshore. Mais, à la différence de ce que l’on connait en France, les fonds marins environnant le Japon descendent à pic ! Cela renchérit significativement le coût des projets en mer, puisqu’ils doivent faire appel aux technologies naissantes de l’éolien flottant, ainsi que le coût d’acheminement de l’électricité du fait des longues distances à parcourir.

Autrement dit, qu’importe leur nature, les options de transport de l’électricité produite loin des côtes, seront coûteuses. C’est précisément grâce à cette contrainte que le concept imaginé par PowerX pourrait se révéler à terme pertinent et plus compétitif que les conceptions « classiques » par câble. Un concept qui s’avérerait alors disruptif s’il permettait de découpler les zones de production des zones de consommation d’électricité grâce à un transport à bas coût.

Au-delà de son utilité au Japon, le prototype de PowerX pourrait ainsi annoncer les prémices d’un marché mondial de l’électricité, boosté par le développement massif des énergies renouvelables dans les zones les plus propices à l’échelle mondiale. Gageons que les fondateurs de PowerX, Paolo Cerruti, co-fondateur de la licorne européenne NorthVolt, Caesar Sengupta, ex-VP de Google, et Mark Tercek, ex-CEO de The Nature Conservancy et ex-Goldman Sachs, l’ont bien en tête.

Matthieu Tusseau

Ingénieur Chercheur chez EDF

3 ans

Question : si quelqu'un sait avec quelle énergie le bateau est propulsé...

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