Bureaux « hôtels » : ne passe-t-on pas à côté du véritable enjeu ?
Avec la pérennisation du travail hybride, les entreprises réaménagent leurs bureaux pour les rendre attractifs et ce faisant inciter leurs collaborateurs à y revenir plus souvent. Trois ans après le premier confinement, quels sont les enseignements à en tirer ? Tous ces (très louables) efforts ne ratent-ils pas l’enjeu principal : développer le travail de qualité plutôt que la qualité de vie au travail ? Le « bureau hôtel » tient-il ses promesses ?
Dans les fonctions tertiaires, le télétravail est désormais une réalité statistique : 30 % des salariés français le pratiquent officiellement, par contraste avec un taux de pénétration inférieur à 7 % avant le choc de 2020. La pratique moyenne s’établit désormais à deux jours par semaine, fixes ou pas. Les enquêtes affichent des chiffres variables mais démontrent toutes un attachement des employés à cette nouvelle manière d’organiser leur temps de travail… un retour en arrière s’annonce par conséquent compliqué.
L’impact négatif de ce phénomène sur l’utilisation des surfaces de bureaux est immédiat. Celles-ci sont utilisées en moyenne à 40% max de leur capacité, voire 20% le vendredi, les jours les plus souvent télétravaillés étant le lundi et le vendredi. Les constats sur les limites et les défauts du télétravail sont également convergents. Délitement du lien social, difficultés de transmission, perte des opportunités de compagnonnage informel, intégration dégradée des nouveaux entrants, plus faible créativité et ralentissement dans les prises de décision ressortent le plus souvent dans nos études.
Pour corriger cela, les remèdes spontanément envisagés sont de deux natures et portent avant tout sur les espaces de travail.
En premier lieu ils consistent ainsi à augmenter la proportion des espaces dédiés à la collaboration formelle et informelle (généralement 10 à 20% en moyenne pré-Covid, très largement supérieure à 20% voire proche de 50% en mode travail hybride). Le nouveau siège social de Novaxia à Paris 15ème réserve ainsi 80 % des surfaces des 3 500 m² qu’il occupe à des espaces dédiés à de la collaboration formelle et informelle.
En second lieu, les remèdes envisagés s’attachent à décliner des codes résidentiels et hôteliers dans les espaces, en mettant fortement l’accent sur les services, la qualité et la diversité des espaces proposés. Le nouveau siège Sanofi avenue de la Grande-Armée dans le 17ème arrondissement de Paris, qui se développe sur 9 000 m², s’appelle ainsi « La maison Sanofi ». Le beau inspire et doit nous inciter à renouer avec le bureau… Ce faisant les entreprises prennent acte de la forte porosité entre la sphère personnelle et la sphère professionnelle, les espaces personnels se professionnalisant, les espaces professionnels se différenciant.
Y être ou en être ?
Les enjeux collectifs des entreprises doivent s’accommoder de ces mutations, consistant en la privatisation et l’individualisation de l’organisation du travail… Et ce, alors même que les managers ne souhaitent pas, sont réticents ou ont tout simplement du mal à imposer des règles d’équipes partagées.
Il en résulte une inflation dans les coûts d’aménagement (plus beaux, mieux équipés, plus riches en technologie) au profit d’une expérience collaborateur réhaussée mais d’une expérience collective et managériale appauvrie… En tout cas jugée insatisfaisante par les équipes. Des ratios excédant 1 500 euros HT par m² pour aménager des bureaux ne sont plus une exception réservée à quelques cabinets d’avocats d’affaires. Certains ratios dépassent allègrement ce chiffre, y compris pour des projets portés par des entreprises aux marges moins flatteuses.
L’enjeu des employés du secteur tertiaire n’étant plus « d’y être » (au bureau) mais « d’en être » (collectif entreprise), le défi à adresser se transforme. Il devient le suivant : comment (r)animer/animer l’affectio societatis entre ces collaborateurs ? Et ce à l’heure où la question du sens du travail se pose avec acuité, en raison du retour sur soi existentiel qu’a favorisé pour beaucoup le confinement.
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Une martingale possible consiste à investir massivement dans la formation du management de proximité et à lui apprendre à animer des équipes en mode hybride.
La DRH d’une entreprise fameuse de tourisme a ainsi récemment ajouté le management à son référentiel métiers… où il ne figurait pas. Oui, il s’agit bien d’investir dans la formation, la montée en compétence, le compagnonnage, le coaching… au moins autant que dans les espaces. Par analogie au sein d’un hôtel, ce sont moins les lieux qui nous marquent que le « génie des lieux » à savoir la manière dont les hôtes ont fait d’un séjour une expérience parce qu’ils ont su l’incarner. Les managers doivent être les « bons génies des lieux » et maîtriser les outils qui permettent à une équipe hybride de fonctionner.
Pour que les « bureaux hôtels » ne soient pas qu’un concept ronflant ou juste esthétisant mais un concept tout simplement pertinent, il convient d’en faire le lieu d’un re-saisissement de ce qui est attendu par une entreprise auprès de chacun. C’est dans le management qu’il faut investir, afin qu’il sache favoriser la confiance, l’autonomie, la subsidiarité et l’agilité qui est tant attendue par les équipes.
On le constate, le bureau n’est pas mort mais l’espace de travail auparavant unique en son genre et fortement standardisé dans son rapport au temps (du lundi au vendredi de 8h30 à 18h30) expérimente un double phénomène d’archipellisation et de désynchronisation. Les lieux de travail se démultiplient, les biorythmes des entreprises doivent s’accommoder de choix individuels. La montée en gamme des bureaux pour se poser en espaces serviciels, à l’instar des hôtels, est une réalité grandissante. Les hôtels eux-mêmes voient dans ces nouveaux modes de travail une manière de rentabiliser un capital qui est sous-utilisé en journée…
Nous verrons ce qu’il advient de ces tendances qui ont le mérite de placer au centre les préoccupations d’ergonomie, de design, d’usage… et de beau. Mais le plus grand défi demeure d’animer ce travail devenu pluriel et à la syntonie disparue.
Le combat du travail de qualité est aussi important que celui de la qualité de vie au travail !
Guillaume Savard, associé fondateur d’Upside.
Diplômé de l’ESCP Business School, d’un Diplom Kaufmann de l’Université de Berlin et d’une Licence de Philosophie (Institut Catholique de Paris), Guillaume Savard intervient depuis 25 ans auprès des Directions Générales sur des enjeux de transformation. Découvrant par hasard le secteur de l’immobilier d’entreprise français en 2006 grâce à JLL, Guillaume Savard y a toujours maintenu un positionnement de conseil des entreprises louant ou possédant des actifs immobiliers (bureaux ou autres). En 2019, il créé UPSIDE, boutique de dix collaborateurs, intervenant sur des missions de conseil, d’assistance transactionnelle, de workplace et de PMO (Project Management Office). En quatre ans, UPSIDE est intervenu auprès d’une cinquantaine de clients dans toute la France. Guillaume Savard anime le podcast « Bureau, fais ton office ! » (douze épisodes).
Co-Founder @Leafer - Créateur de lieux de vie hybrides
1 ansTrès vrai et intéressant Guillaume
Co-fondateur chez Mazam | Upcycling d'espaces de travail, durables et économiques | Design Actif
1 ansChristophe Mazieres