Congés payés illimités : fausse bonne idée ?

Congés payés illimités : fausse bonne idée ?

Venue de la Silicon Valley, la politique RH des "vacances illimitées" fait des émules en France. Selon une étude, le nombre d'offres d'emploi proposant cet avantage est en hausse, même si la proportion est moindre qu'en Allemagne ou aux Etats-Unis.

Principale vertu de ce dispositif : la responsabilisation. Le salarié est invité à arbitrer lui-même entre son travail et ses repos. Il peut prendre plus de congés que les 5 semaines légales, mais doit veiller à atteindre ses objectifs. Il s'y ajoute le petit parfum libertaire qui accompagne souvent la suppression des entraves.

Mais n'y a-t-il pas quelques pavés sous la plage ?

  1. Contexte légal

La loi prévoit qu'un accord collectif peut majorer le congé en fonction de l'âge, de l'ancienneté ou du handicap (art L. 3141-10 du Code du travail). Cela n'interdit toutefois pas à l'employeur, par décision unilatérale, de majorer le congé pour d'autres raisons.

Cette raison serait, ici, la volonté du salarié, qui est une realité très ambivalente en droit du travail. Regardons-y de plus près.

2. Paradoxe

Quiconque a brassé du bulletin de paye français est frappé par cette réalité : nombre de salariés ne prennent pas, chaque année, les CP auxquels ils ont droit. Il en résulte des compteurs de congés pleins à craquer, ce qui peut révéler plusieurs réalités :

  • Beaucoup d'employeurs pensent qu'il appartient au salarié de poser ses CP. C'est l'usage le plus répandu, mais ce n'est pas ce que prévoit la loi : si l'employeur n'organise pas la prise des CP ou n'informe pas les salariés des modalités de prise de ces CP et que le salarié ne les prend pas, la jurisprudence européenne considère que les CP ne sont pas perdus :

Que ce soit par conscience de cette réalité ou par inertie, nombre d'employeurs reportent d'ailleurs les CP d'une année sur l'autre, alors qu'ils n'y seraient pas obligés s'ils étaient diligents.

  • Certains salariés ont un tempérament d'écureuil et amassent leurs CP pour en faire une cagnotte ; les CP étant valorisés au salaire en vigueur lors de la liquidation, et non au salaire en vigueur lors de leur acquisition, la cagnotte peut être d'un coût non négligeable bien que provisionné ;
  • D'autres salariés s'épuisent à la tâche, par la faute de leur entreprise et/ou par workaholisme ; dans ce cas, la non-prise des CP risque fort d'être reprochée à l'employeur qui n'aura pas assuré l'effectivité du droit au repos.

Dans ce contexte, accroître les droits à congés peut sembler paradoxal, voire périlleux.

3. Miroir aux alouettes ?

Enfin, le dispositif repose sur l'idée que le salarié qui a atteint ses objectifs peut prendre d’avantage de vacances. Mais tous les salariés d'une entreprise donnée sont-ils logés à la même enseigne ? Certains diront qu’ils ont moins de ressources, moins de soutien, plus de charge de travail, et qu’ils n’ont donc pas accès, dans les faits, aux congés supplémentaires. On voit déjà dans certaines équipes des salariés qui reprochent à d'autres de "prendre tous leurs congés" (légaux) pendant qu'ils assument les tâches ingrates du service. Ne va-t-on pas accroître ces conflits en déplafonnant le droit à congés ?

De son côté, l'employeur va se poser la question de la régulation des congés supplémentaires. S'il est trop strict, il anéantit l'esprit du dispositif. S'il veut respecter cet esprit, il acceptera qu'un salarié prenne des congés supplémentaires même si le travail accompli ne le justifie pas, à charge pour lui "d'en assumer les conséquences". Mais un conseil de prud'hommes sera réticent à retenir l'insuffisance professionnelle d'un salarié qu'on aura licencié après l'avoir laissé partir en congés ad libitum.

 

 

Fabien Chalot

Associé fondateur chez Gjoa Stratégie

6 ans

Merci de cet éclairage et de ces rappels juridiques. Reste les cas où responsabiliser un collaborateur et lui donner de l'autonomie et une liberté d'organisation de son temps, correspond à une réalité et un mode de fonctionnement qui convient aux deux parties. Quelles options dans ce cas ? Le statut de freelance avec le risque de re-qualification ?

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