Le sport et l'honneur - quel exemple nous donne le comportement des sportifs ?
Le sport est abondamment mobilisé dans le lexique professionnel. Les salariés constituent souvent une "équipe" et un manager se réfère volontiers à "ses équipes" ("faut qu'j'en parle à mes équipes", pluriel qui est parfois usurpé). Un acteur qui domine son marché "mène la course en tête", et les autres finiront sur les marches basses du podium. On peut donc se demander ce qui, dans le spectacle donné par les sportifs, peut influencer les comportements au travail ou dans la société en général.
Beaucoup a été dit sur le dopage, la mercantilisation et d'autres tares ou travers qui affectent le sport contemporain. Je voudrais ici me pencher sur une pratique footballistique qui pose la question de l'honneur. Lorsque j'ai prêté serment, le 25 janvier 2006, l'avocat qui nous a accueilli dans la profession (Jean-Louis de Bourbon-Busset, qui était à l'époque bâtonnier de Fontainebleau) nous a dit, dans une exhortation particulièrement poignante, "Pour l'amour de Dieu, n'oubliez pas votre honneur". Onze ans après, je reste marqué par ces mots et crois que la question de l'honneur n'est pas à ranger au rayon brocante.
Le 21 octobre dernier, l'OM et le PSG se sont affrontés sur la pelouze du vélodrome pour se livrer au fameux "clasico". Beau match où l'OM (dont je suis supporter), sans arriver à déjouer la fatalité de l'affrontement avec le rival parisien, n'a pas démérité.
Vers la fin du match, Neymar, la star brésilienne du PSG, est poursuivi par l'olympien Ocampos, qui le fait tomber. L'arbitre siffle la faute mais le brésilien se relève et va bousculer Ocampos. L'observation de la scène indique que Neymar a tout au plus (bien qu'à tort) heurté de la poitrine son adversaire. Ce dernier s'écroule alors comme s'il était victime d'une fracture ouverte, et se cache longuement la tête dans les mains, dans le but évident de "jouer la faute". Il se relèvera 40 secondes plus tard, frais comme un gardon, pour assister à la décision de l'arbitre. Ce dernier mettra un carton jaune aux deux joueurs, Ocampos pour son croche-pied et Neymar (qui sortira, ayant écopé d'un premier carton quelques instants plus tôt) pour la bousculade. Difficile de penser que l'effondrement ostentatoire du marseillais n'a pas pesé, en cette fin de match survoltée, sur le jugement de l'arbitre.
Ce subterfuge est suffisamment répandu pour donner lieu à florilège dans le milieu du ballon rond. En se promenant sur les forums qui commentent l'événement commenté ici, on s'aperçoit que le procédé est décrit par certain comme quelque chose de "bien joué". Il faut que l'on soit tombé bien bas pour penser que ce genre de simagrées, où le joueur manque à la fois à l'effort, à la vérité, à la dignité et à l'honneur, est finalement de bonne guerre.
La comparaison est cruelle avec d'autres sports, comme le rugby, où les règles, mais aussi et avant tout l'état d'esprit, interdisent cette dérive. Elle est aussi cruelle avec les époques passées, où le sens de l'honneur aurait interdit à un Pelé ou un Platini de se livrer à de telles simulations. Elles sont peu sanctionnées par les autorités sportives et se propagent fatalement sur nos écrans.
La valeur d'exemple du sportif, surtout aux yeux des plus jeunes, ne permet pas de voir dans ce phénomène quelque chose d'anodin. Personne n'a à gagner à une promotion de la culture de la triche, que ce soit à l'école, en famille, ou en entreprise.
Qu'en pensez-vous?
Enseignant chez Acadomia- Etudiant en master 1 de Théologie
7 ansEn 2006 ,Thierry Henry s' est vanté d' avoir simulé le penalty qui avait éliminé une remarquable équipe portugaise en demi finale de la coupe du monde..Plus précisément ,c' est ce qui était titré en première page d' un magazine de foot assez branché comme on en sort maintenant , style " so foot " ..on lisait " Henry : j' ai simulé" Comme une sorte de buzz cynique qui inversait la valeur de l' exploit sportif..La médiatisation sportive avait donné aussi dans ce type de magazine " Materazzi: ce que j ' ai vraiment dit à Zidane." Une sorte de de projecteur complaisant sur l’immoralité dans le sport : un exploit comme un autre au fond..Il faut reconnaitre qu' il y a une redoutable jurisprudence dans ce domaine, le but de la main de Maradona en 1986 face à l Angleterre : " la main de dieu" !
Psychologue | Fondateur chez Egidio | Enquêtes éthiques et compliance
7 ansCher Jean, il y a une thèse à écrire sur le sujet! Je vais du coup juste reprendre un domaine que je connais assez bien : les directions commerciales des banques de détails qui ont ces dernières années largement usé -et abusé- du benchmark interne. Ce système est un classement des ventes entre les agences, qui se fait par écart au premier. Une sorte de différence de buts pour déterminer le vainqueur... Utilisé officiellement pour mieux comprendre la performance commerciale et apporter un soutien aux équipes les moins performantes (sic!) l'outil provoque en réalité -et il n'y a pas besoin d'être grand psychologue pour le comprendre- une compétition interne constante et épuisante. La publication du bench' est scrutée, jusqu'à l'obsession. De ce système comparatif devenu compétitif plusieurs comportements loin de l'honneur professionnel ont émergé. D'une part, des ventes qui s'écartent rapidement du devoir de conseil pourtant inhérent aux métiers de la banque D'autre part, la recherche d'un ventre mou du classement, paradoxal en apparence, mais qui au fond consiste à éviter de trop se montrer de crainte de chuter ensuite au classement. Un peu comme si, après avoir marqué le but nécessaire, on s'en tenait là, quitte à pourrir silencieusement le jeu collectif. Ainsi, selon les règles et les méthodes d'arbitrage que l'on définit, on induit plus ou moins directement les comportements -honorables ou non.
Project Manager chez Ultra Laborans
7 ansMerci Jean de lancer cet intéressant et important débat. Pour l'anecdote d'abord, en tant que supporter fervent du PSG depuis bien longtemps, j'apprécie l'approche de la situation que tu décris (non partisane disons). Sur le fond, je partage ton point de vue, en ayant toujours des difficultés à comprendre où passerait, ou devrait passer, au cas par cas donc, la frontière entre la roublardise (issue de l'expérience accumulée par tel ou tel joueur et souvent présentée comme une qualité professionnelle du footballeur - quelque chose qu'une VAE pourrait peut-être permettre de certifier...) et la triche pure et dure ! Décidément, la tâche de l'arbitre est compliquée - probablement à l'instar de celle de tout juge soumis à la surveillance exigeante de l'opinion. bonne journée