De ceux qui dénoncent et défendent par l’humour

De ceux qui dénoncent et défendent par l’humour

Texte : Anna Aznaour (enquête parue en avril 2015 dans la revue suisse IZA www.iza.ch qui a cessé son existence fin 2018)

Sommaire

  • Le ridicule ne tue pas …Vraiment?
  • Pourquoi les dessinateurs de presse font-ils peur?
  • Peut-on rire de tout?
  • Droits et devoirs des dessinateurs de presse
  • Presse satirique suisse: ses titres et ses défis
  • Les jeunes et la presse: notre sondage improvisé
  • En conclusion
  • Bibliographie
  • Liens utiles

Illustrer l’injustice et l’absurde sous le prisme de la dérision est leur métier. Dessinateurs de presse, ces éditorialistes et chroniqueurs de l’actualité mettent, jour après jour, les pendules à l’heure. Mais aujourd’hui, peuvent-ils encore s’écrier «Le Roi est nu!» sans risquer leur peau?

«C’est l’histoire d’un Roi qui négligeait les affaires de son royaume au profit de sa garde-robe qu’il renouvelait sans cesse, et en faisait la démonstration devant son peuple affamé. Un jour, deux escrocs se présentèrent au monarque en se proclamant tisserands d’une précieuse étoffe à la propriété magique: les vêtements fabriqués avec seraient invisibles aux yeux de ceux qui ne convenaient pas à leurs fonctions ou seraient stupides. Après avoir passé commande, le Roi envoya trois hauts responsables, dont l’intelligence et l’intégrité ne faisaient aucun doute, chercher ses nouveaux vêtements. Embarrassés de ne pas voir les habits dont les escrocs feignaient de leur faire la démonstration, les envoyés royaux se mirent à douter de leurs propres compétences et n’osèrent en parler. La même chose arriva au Roi, qui, le jour de la procession, apparut devant son peuple dans ses «nouveaux vêtements». Informé de la propriété magique de l’étoffe, tout le monde fit semblant de la voir et complimenta le Roi. Seul un enfant dans cette foule flatteuse s’exclama: «Mais le Roi est nu!»*.

Dénoncer par le dessin ce que tous voient sans pouvoir, savoir ou vouloir réagir est leur activité quotidienne. Voix des innocents, des faibles et des opprimés, les dessinateurs de presse sont ceux qui attaquent et défendent par l’humour. Leur pouvoir de dire «Le Roi est nu» est le garant de la justice sociale, sans laquelle aucune paix, et donc sécurité, ne serait possible nulle part dans le monde. Mais jusqu’à quand pourront-ils encore le faire sans être muselés ou éliminés?

Le ridicule ne tue pas …Vraiment?

C’est le 7 janvier 2015, le jour de la naissance de Jésus-Christ (selon le calendrier julien) que cinq dessinateurs de la revue satirique Charlie Hebdo ont été assassinés dans leur rédaction pour avoir caricaturé le prophète Mahomet. Paris, lieu de ce carnage, est on ne peut plus symbolique, puisque c’est le berceau de la presse satirique mondiale, née pendant la Révolution française. S’ensuit une réaction immédiate mais ô combien hétérogène dans le monde entier. Si certains musulmans saluent cet acte barbare, qu’ils qualifient de vengeance justifiée, d’autres s’en insurgent. Pendant ce temps, des gouvernements dépêchent leurs présidents à la Ville Lumière pour participer à la marche de solidarité.

Parmi ces «marcheurs», quelques personnalités politiques, taclées par les dessinateurs massacrés, pour leurs exactions et régimes répressifs, notamment à l’égard de leur presse. Les premiers émois calmés, place à la récupération marketing du slogan «Je suis Charlie» et à la réflexion sur le devenir du dessin de presse. «Il y aura, incontestablement, un avant et un après 7 janvier dans le dessin de presse, analyse Christian Campiche, journaliste et vice-président d’Impressum**. Espérons seulement que l’après ne soit pas trop dramatique pour la liberté d’expression. L’actuelle tendance est de mettre des policiers devant les rédactions, mais je ne pense pas que cela soit LA solution. Le vrai problème est dans les menaces que peuvent recevoir les journaux. Dans cette période charnière, il doit y avoir un travail de réflexion dans les médias pour savoir comment maintenir la qualité rédactionnelle dans le sens d’une information responsable mais non inféodée aux pouvoirs dominants.»

Pourquoi les dessinateurs de presse font-ils peur?

Un dessin, contrairement à un texte, est compris immédiatement de tous, car il ne nécessite ni des connaissances linguistiques, ni du temps pour la lecture. D’où son pouvoir tant redouté par les élites, soucieuses de ne pas perdre la face et par conséquent leur autorité sur les masses. «Je suis jaloux des dessinateurs, parce que, souvent, je vois en un dessin tout ce que j’aurais voulu dire ou que je n’ai pas réussi à dire dans toute ma vie», avoue le journaliste suisse Boris Engelson, pourtant réputé pour sa plume incisive. «Le rire est une arme redoutable. Une moquerie est bien pire que dix critiques, ce qui explique les réactions assez fortes qu’elle provoque», souligne la dessinatrice de presse Bénédicte.

Fins nez, ces caricaturistes maîtrisent non seulement l’art graphique, mais aussi le maniement de nos stéréotypes et préjugés. Pour faire passer un message, ils usent des lois de la Gestalt – psychologie de la forme – selon lesquelles la perception de tous les humains obéit aux mêmes règles, à savoir:

● le monde, notre perception et nos processus neurophysiologiques sont structurés de la même manière;

● nous percevons d’abord l’ensemble avant de remarquer les détails qui le composent;

● c’est d’abord la figure centrale sur un fond qui attire notre attention, et non le fond, etc.

Tout cela pour dire que notre compréhension d’une image graphique a un caractère universel, indépendant de notre âge, sexe, culture et origine. C’est pourquoi l’usage des six principes de la Gestalt – de la bonne forme, de la continuité, de la proximité, de la similitude, du destin commun et de la familiarité – dans une caricature fait toujours mouche partout, car intelligible pour tout un chacun (Smith, 1996).

Peut-on rire de tout?

En théorie, oui. En pratique, c’est plus délicat. Généralement, les rédactions laissent les dessinateurs libres dans leur choix du sujet d’actualité à illustrer. Cela dit, malgré leur fidélité au précepte de la liberté d’expression, presque tous ont leurs limites, leurs réticences ou leurs règles pour ne pas mettre les pieds dans le plat. Ces leviers d’autocensure s’articulent autour des notions du moment, du sujet, du ton et du message à passer. Les explications des concernés:

Barrigue (de son vrai nom Thierry Barrigue), dessinateur, journaliste et rédacteur en chef de Vigousse : «Le sujet le plus difficile à traiter, c’est la mort: accident, catastrophe aérienne, etc. J’ai fait du dessin pendant 40 ans dans un quotidien, et dès qu’il y avait des drames avec des morts, je les illustrais parce que c’était l’actualité. Et même si ce n’était pas un dessin d’humour, les gens m’insultaient en disant: «On espère bien que ça vous arrive un jour à vous aussi et à votre famille, etc.» Les gens sont très craintifs par rapport au thème de la mort, qui reste un grand mystère qui leur fait peur. Les enfants sont également un sujet sensible parce qu’ils représentent l’innocence. Par si l’on doit s’attaquer aux prêtres pédophiles, l’image visuelle d’un enfant maltraité n’est pas très bien acceptée. Tout ce qui concerne la violence à l’égard des petits tend à être tabou dans notre société, qui est pourtant très violente. On nous dit: «Vous n’avez pas le droit de dessiner ça.» Alors que si, justement, puisqu’il faut faire une image pour dénoncer cette réalité. Trouver l’équilibre avec les lecteurs sur des sujets pareils n’est pas facile.»

Bénédicte (de son vrai nom Bénédicte Sambo), dessinatrice pour 24 Heures, Vigousse, Le Courrier, etc. : «J’évite de parler trop vite, de faire un dessin trop rapidement sur une catastrophe du genre: «Un avion s’est écrasé». Par contre, je vais essayer de parler des choses tragiques, comme les meurtres ou les massacres, parce que j’ai envie de les dénoncer. Mais là, il faut trouver une idée correcte. »

Herrmann (de son vrai nom Gérald Herrmann), dessinateur à la Tribune de Genève: «L’art de dessinateur de presse, c’est d’être malin, c’est-à-dire de faire passer un message, qui peut être déplaisant, de manière à ce que celui sur qui on rit puisse l’accepter. Et à partir du moment où il ne nous envoie justement pas une bombe dans la figure, on peut dire qu’on a repoussé la limite et créé un espace de liberté. Pour moi, la limite, c’est de ne pas faire du 2e degré quand tout le monde est dans le 1er. Quand les gens ne sont que tristesse, ils ne sont pas en mesure de supporter ça. C’est le sacré du moment. Il faut dire que, ces 40 dernières années, la notion même du sacré a beaucoup évolué. Avant, en Occident, c’était Dieu et le pouvoir. Maintenant, le sacré, c’est le faible.»

Mix & Remix (de son vrai nom Philippe Becquelin), dessinateur pour Le Matin Dimanche, l’Hebdo, Courrier international, etc. : «Moi, je m’autocensure, j’adore ça. Par exemple, j’évite les modes orduriers (gros con, etc.) et la vulgarité, parce que je ne vois pas ce que cela peut amener. Puis aussi les gags où il n’y a pas de message mais juste une insulte. De toute façon, plus notre public est large et plus nous risquons de choquer du monde. C’est pourquoi je fais très attention à ne pas faire des attaques frontales et m’efforce de rester subtil et modéré. Aujourd’hui, avec Internet et les réseaux sociaux, l’humour raciste et franchouillard des années 70 n’est plus possible.»

Pierre-André Marchand, journaliste et rédacteur en chef de la revue La Tuile : «On n’arrête pas de dire que les caricaturistes sont des provocateurs. Non, les provocateurs sont ceux qui s’affublent de toges et de tiares et s’adonnent à l’exhibitionnisme dans les rues en se flagellant. C’est aussi ceux qui se secouent contre un mur comme des déments ou encore ceux qui enferment leurs femmes dans des costumes d’apiculteur. Est-ce un crime de rire de tout ça ou une raison pour zigouiller ceux qui le font? Pour ma part, je ne me moque jamais du handicap ni de l’infirmité.»

Ben (de son vrai nom Ben Marchesini) dessinateur au Matin : «Est-ce que je continuerais à dessiner si demain il y avait plein de kalachnikovs dans la rue? Je ne sais pas. C’est la nécessité qui crée la réaction. On saura si on continue seulement au moment d’être confronté vraiment à un danger réel.»

Droits et devoirs des dessinateurs de presse

Le dessinateur de presse, comme tout citoyen, n’échappe pas à une certaine responsabilité. Mais y a-t-il une échelle officielle qui fixe la ligne à ne pas dépasser? Guy Mettan, directeur du Club Suisse de la Presse (CSP), témoigne: «La problématique de la liberté d’expression nous est apparue il y a une quinzaine d’années, à l’occasion du 50e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH). Alors, avec l’Unesco, nous avons mis sur pied un groupe de réflexion sur les devoirs et les droits de l’homme. Des personnalités illustres du monde de la science et des médias ont réfléchi à cette thématique, et pourtant, on n’a jamais pu rédiger de charte des droits et des devoirs. La raison est que, lorsque l’on définit un devoir, on définit une obligation. Et le devoir implique une restriction de la liberté, qui mène à la censure. Il y a donc une espèce d’impossibilité d’ordre philosophique à conjuguer les deux. D’après moi, la liberté d’expression doit être préservée, mais elle n’est pas intégrale, c’est-à-dire, qu’elle doit se soucier de ne pas offenser inutilement les gens. C’est valable pour toute personne humaine. On peut être satirique avec tout le monde, mais on ne peut pas l’être toujours avec les mêmes. Ce serait de l’acharnement », conclut cet ancien rédacteur en chef du quotidien Tribune de Genève.

Malgré le flou qui entoure la notion de liberté d’expression, tous les dessinateurs de presse, comme les journalistes, sont tenus de signer la Déclaration des devoirs et des droits des journalistes qui définissent leurs conditions de travail au sein d’une rédaction. C’est également valable pour leur admission en qualité de membre à l’Impressum. Maître Dominique Diserens, secrétaire centrale de cette association professionnelle de journalistes, résume: «Les devoirs en question concernent le respect de ses sources et du secret rédactionnel, mais aussi de la dignité humaine, la recherche et la vérification de l’information, l’intégrité et l’incorruptibilité. Quant aux droits, ils s’articulent principalement autour des notions de liberté d’expression et d’investigation, et de la possibilité de bénéficier d’une convention collective de travail. Les plaintes déposées contre les revues satiriques relèvent principalement de l’article 173 du Code pénal relatif à la diffamation ainsi que de l’article 28 du Code civil qui protège le droit de la personnalité, mais là, la doctrine admet une plus grande tolérance quand il s’agit de caricatures. La jurisprudence reconnaît un intérêt public à l’humour, digne de protection», souligne cette Docteur en Droit.

Jean-Luc Wenger, journaliste d’investigation chez Vigousse, témoigne: «En 5 ans, Vigousse a eu une dizaine de procès, mais pour des textes, donc souvent pour des motifs de diffamation, et un seul début de procès pour un dessin représentant Oskar Freysinger, élu UDC, avec un bras levé ressemblant furieusement à un nazi. Mais lors de la procédure de conciliation, la procureur avait trouvé sur Internet une douzaine d’autres dessins bien plus violents que celui-là et donc la séance a été close. En Suisse, judiciairement, on ne craint pas grand-chose pour un dessin comparativement à un texte.»

Presse satirique suisse: ses titres et ses défis

Depuis la fermeture de la revue britannique Punch en 2002, le titre suisse allemand Nebelspalter, créé en 1875 à Zurich, est devenu le plus ancien magazine satirique au monde. Son rédacteur en chef Marco Ratschiller rapporte: «Notre mensuel, comme beaucoup d’autres, vit une période de vaches maigres à cause de la diminution de son lectorat et de ses recettes publicitaires. Le défi majeur est donc de continuer à exister. Cette situation a été créée par internet et la culture du gratuit qui ont porté un coup important à toute la presse papier. Le titre est toujours en vie grâce au financement de notre éditeur, pour qui Nebelspalter est une valeur indéniable de la culture du pays, à préserver absolument.»

La particularité du paysage satirique romand est bien différente de celle d’Outre- Sarine, dans la mesure où toutes ses revues étaient indépendantes. Plusieurs d’entre elles ont disparu après seulement quelques années de parution, faute de moyens. Seul le mensuel jurassien La Tuile, créé en 1971 et édité en 2500 exemplaires, a tenu contre vents et marées pendant 44 ans. Son créateur et rédacteur en chef Pierre-André Marchand confie: «Tout est parti de la bagarre jurassienne, quand les gens se plaignaient en pleurnichant d’être sous la botte de Berne, et moi, j’ai décidé de m’attaquer au problème par la satire. Alors j’ai créé La Tuile où j’étais au début tout seul. Chez nous, les dessinateurs ne sont pas attaqués, c’est moi qui reçoit les insultes et les menaces. On a failli me casser plusieurs fois la figure, crevé les pneus de ma voiture, sans compter les nombreux téléphones anonymes de menaces. Maintenant, les politiciens véreux qu’on attaque ont décidé d’avoir la peau de La Tuile à coups de procès. À ce jour, j’ai six ou sept plaintes en cours. Après avoir perdu du temps et de l’argent avec des avocats trouillards, je me suis mis à me défendre tout seul. Mais nous avons le soutien de nos lecteurs et les félicitations des collègues, dont Le Canard enchaîné! Notre principal défi, ce ne sont pas les plaintes, mais la volonté de continuer à assurer la qualité de nos textes et dessins», conclut ce journaliste, musicien et auteur.

Plus récent mais très apprécié avec son tirage à 12 000 exemplaires, Vigousse est le seul hebdomadaire satirique de langue française distribué dans toute la Suisse Romande. Créé en 2009 par Thierry Barrigue, journaliste et dessinateur, il fait des émules. «Après avoir fait notre enquête journalistique, dans les règles de l’art, il va de soi, on attaque des gens qu’on qualifie d’escrocs. Il s’agit souvent de malversations. Et dans la mesure où l’on cite leur nom en expliquant ce qu’ils ont fait, cela nous vaut des procès pour diffamation. Le tout est d’avoir un bon avocat pour se défendre des arnaqueurs qui ne s’écrasent pas. Au chapitre des défis, je dirais que le principal est d’avoir un ton, forcément basé sur l’humour, mais tout en restant juste, pointu et exagérant. Puis de proposer une autre lecture de l’actualité sans s’enfoncer dans ses idées préconçues ni essayer de se convertir soi-même. On veut sortir un grain de sel, un peu de piquant de qualité toutes les semaines », témoigne ce rédacteur en chef aguerri.

Seules les revues indépendantes, libres de toute influence extérieure, peuvent se permettre de publier un contenu aussi critique et sans détour qui attaque les abus de pouvoir et d’influence des puissants. Leur objectif: défendre, par la dérision, les droits et les intérêts des citoyens modestes. Leur hantise: le désintérêt de la nouvelle génération, accro à Internet.

Les jeunes et la presse: notre sondage improvisé

C’est une bande de six jeunes – Benjamin, Quentin, Antoine, Valentin, Isaac et Guillaume – approchée dans le train Genève- Lausanne le 12 mars dernier, qui a accepté de nous éclairer quant à sa vision et son avis sur la presse écrite. Connaissent- ils la presse satirique suisse? Que lisent- ils? Sont-ils abonnés à un titre? Seraient-ils prêts à payer pour l’information? Telles étaient les questions adressées à ces collégiens genevois de 18 et 19 ans.

Un sur six, Quentin, a dit connaître une revue satirique suisse (mais ne se rappelait pas le nom) qu’il lit de temps à autre et aime bien (il s’agit de Vigousse). Tous disent n’être abonnés à aucun titre et avouent ne pas lire la presse papier, sauf, parfois, 20 Minutes (quotidien gratuit). Pourquoi? Parce que cela ne les intéresse pas et parce que toutes ces informations sont en ligne et accessibles gratuitement. Un seul, Quentin, serait d’accord pour s’abonner à un quotidien, mais uniquement si le titre est de qualité,avec des vrais articles de fond et d’investigation. Cela l’intéresserait aussi de s’abonner à des revues spécialisées dans ses domaines de prédilection (biologie et sciences du vivant). Ce qui intéresse tous, ce sont les nouvelles technologies et l’informatique, parce que, d’après eux, c’est l’avenir. «Les applications vieillissent très vite et il faut en créer tout le temps des nouvelles. L’informatique, c’est l’avenir», résume Guillaume, le porte-parole du groupe, qui souhaiterait devenir soit informaticien soit journaliste. Pour que les jeunes lisent la presse, il faut cibler leurs centres d’intérêt et proposer des articles spécialisés, d’après lui. Bien que notre échantillon de sondage ne soit pas représentatif, les réponses récoltées sont le reflet assez fidèle de l’attitude des jeunes vis-à-vis de la presse écrite.

La gratuité de l’information, induite par Internet, a ôté la conscience de sa valeur chez la jeune génération high-tech. L’accès rapide et illimité vers la connaissance, vraie ou approximative, présentée en vrac sur la Toile, a contribué à créer l’illusion de la facilité du savoir. Mais tout a un prix, qui doit être payé par quelqu’un. Si les usagers ne le font pas, c’est aux créateurs de contenu rédactionnel de s’en acquitter. D’où les licenciements massifs des journalistes, dont le travail est remplacé par la prolifération des blogs, rédigés gratuitement par les amateurs de tout acabit. Si certains d’entre eux ont une plume de qualité, aucun n’est soumis aux règles d’éthique et de déontologie journalistiques qui exigent la vérification, la neutralité et la fiabilité de l’information communiquée. Une réalité alarmante pour les lecteurs, mais une solution facile pour certaines rédactions, et une occasion en or pour leurs blogueurs non journalistes d’accéder à une tribune d’où faire la publicité de leurs activités, idées ou copains.

Une étude, conduite auprès des journalistes par l’université de Fribourg, démontre, pour la première fois, le lien scientifiquement établi entre la crise économique et son influence néfaste sur la liberté d’expression de la presse (Puppis et coll., 2014). En fin de compte, c’est la qualité du savoir – et par corolaire l’exercice du libre arbitre par les populations – qui en fait les frais. «Dans toutes les sociétés et à tous les moments de l’histoire, il y a eu une minorité de gens, entre 10 et 15% de la population d’après les statistiques, qui ont voulu savoir ce qui se passait et qui se sont posé des questions. Les autres se sont contentés de vivre au jour le jour, de gagner de l’argent et de nourrir leur famille. C’est sur cette minorité qu’il faut s’appuyer pour faire des choses bien et pour avancer», réagit Guy Mettan.

En conclusion

Lorsque, dans un système politique, le droit n’a pas de force, la force a tous les droits. Mais pour que le non-droit puisse proliférer, il faut d’abord priver l’organisme (la société) de ses anticorps (ceux qui osent dire «Le Roi est nu»). Les stratégies diffèrent en fonction des régimes: dans les régimes totalitaires, c’est l’accès à l’information et à la communication qui est verrouillé. Dans d’autres, dits démocratiques, c’est la diversion d’attention qui prime, dont le conditionnement des masses par l’information erronée et l’accès facile à la pornographie sont les outils. Finalement, c’est seulement l’esprit critique des peuples qui sera à même de vaincre l’abus de pouvoir en tous genres. Comme dit Thierry Barrigue: «Il faut enseigner l’esprit critique à l’école pour que les jeunes soient, plus tard, capables de se défendre.» Ceux qui l’apprendront utiliseront l’humour et le dialogue. Les autres, la violence.

* Conte de Hans Christian Andersen «Les habits neufs de l’empereur».

** Impressum – association professionnelle de journalistes de Suisse et de la principauté du Liechstenstein.

Bibliographie

Caricaturistes: fantassins de la démocratie. Actes sud, 2014

Puppis M., Schönhagen P., Fürst S., Hofstetter B. & Mike Meissner (2014). Arbeitsbedingungen und Berichterstattungsfreiheit in journalistischen Organisationen. Universität Freiburg. https://www.bakom.admin.ch/themen/radio_tv/01153/01156/04801/index.html?lang=fr

Smith K. (1996). Laughing at the way we see: The role of visual organizing principles in cartoon humor. Humor: International Journal of Humor Research, 9(1), pp.19-38.

Liens utiles

Bénédicte www.benedicte-illustration.net

Club Suisse de la Presse http://2013.pressclub.ch

Impressum www.impressum.ch

Mix & Remix www.1erdegre.ch/blog

Revue Nebelspalter www.nebelspaler.ch

Revue Vigousse www.vigousse.ch

Identifiez-vous pour afficher ou ajouter un commentaire

Plus d’articles de Anna Aznaour

  • « Aliyev, dehors ! » réclament les mères des soldats azerbaïdjanais

    « Aliyev, dehors ! » réclament les mères des soldats azerbaïdjanais

    Les mères des soldats azerbaidjanais réclament au président Aliyev la vérité sur la mort de leurs fils, révèle…

  • Passer une nuit avec des stars

    Passer une nuit avec des stars

    Oui, tout le monde le peut ! Et à moindre frais puisque pas besoin de s’apprêter en pingouin (smoking) ou diva à…

  • COVID-19, début d'une dictature mondiale ?

    COVID-19, début d'une dictature mondiale ?

    Deux avions percutent deux gratte-ciel de 110 étages chacun. Les bâtiments s’effondrent.

    1 commentaire
  • Le marketing passe aussi par la musique

    Le marketing passe aussi par la musique

    « Si sur la messagerie téléphonique de votre entreprise vous avez toujours Les quatre saisons de Vivaldi, alors vous…

    1 commentaire
  • L'argent expliqué aux enfants

    L'argent expliqué aux enfants

    Read, below, the English translation of this article in French Ce bébé qui nage en direction d'un dollar qui a…

  • L'heure de vérité

    L'heure de vérité

    Après Pâques, le compte à rebours pour la reprise de la vie normale est lancé ! Et l'avenir (avec ou sans coronavirus),…

  • Visage de Jésus-Christ ?

    Visage de Jésus-Christ ?

    C’était un vendredi comme aujourd'hui. L’homme de 33 ans avait été trahi par un ami et arrêté sur le champ pour trouble…

    2 commentaires
  • Un début de printemps gelé

    Un début de printemps gelé

    Coronavirus a gelé le début de printemps 2020, mais pas pour longtemps, espérons-le… Quelqu’un sait qui est l’auteur de…

    2 commentaires
  • Au secours, une autre pandémie frappe le monde !

    Au secours, une autre pandémie frappe le monde !

    Mouis, il n'y a pas que le coronavirus ! Une autre pandémie, bien cachée, fait des ravages en silence. Son nom :…

    12 commentaires
  • When our sighs change the direction of the wind

    When our sighs change the direction of the wind

    English translation of this article signed by the French journalist Philippe Bonnet The wind mingles with our sighs…

Autres pages consultées

Explorer les sujets