De la reconnaissance à la rétrogradation

De la reconnaissance à la rétrogradation

Dans une volonté de reconnaissance des anciens soldats sur le front des linéaires depuis de nombreuses années, un titre de "Master" avait été créé pour reconnaître leur valeur ainsi que d'encourager leur engagement à continuer le combat avec toute l’ardeur nécessaire. Afin d'accéder à ce titre honorifique, des conditions de bons résultats commerciaux sur la durée devaient être réunis. Les impétrants à ce statut étaient également invités à présenter un projet montrant leur implication dans le business à un comité théodule appelé «masterclass» (influence de la télé-réalité) composé de jeunes hiérarchiques constitués en jury. L’exposé était écouté avec toute la bienveillance pour ne pas dire la condescendance nécessaire pour faire croire à l’intérêt porté au travail des anciens. En réalité, aucune suite n’a jamais été donnée aux projets proposés.

Nomination

Julien avait été titularisé "Master" dès la création du statut après dix ans de métier. Son accession l'avait rendu fier et lui avait donné le sentiment d'une certaine reconnaissance auprès de ses pairs et une aura particulière envers ses jeunes collègues. Le signe distinctif était l'attribution d'une voiture de fonction sur-classée, (signe extérieur de réussite, s'il en est, chez le commercial) ainsi qu'une légère augmentation à la nomination. Être Master signifiait surtout pour lui, avoir une forme de légitimité pour partager son expérience et sa connaissance du métier avec les plus jeunes, ce qu'il appréciait particulièrement faire. Il était pour eux une sorte de confident qui leur apportait du recul et un réconfort dans les moments difficiles comme par exemple une déconvenue avec un client n'ayant pas tenu son engagement. Julien était l'historique de l'équipe et à ce titre pouvait être un appui auprès des jeunes chefs qui se succédaient tous les deux ans. Certains l'avaient compris et savaient l'utiliser comme soutien. Malheureusement, les derniers nommés y voyaient un concurrent les empêchant d'assoir leur autorité et ils entendaient bien le remettre à sa place de subalterne. À la suite d'un conseil que s'était permis de donner Julien à son jeune chef venant de prendre son poste, ce dernier lui avait d'ailleurs rétorqué "je te demande de ne pas discuter mes décisions et de te contenter de les exécuter à l'avenir". Le ton était donné. Les crises d'autoritarisme du chef avaient fait naître un malaise et une souffrance dans l'équipe que Julien s'était employé à essayer de soulager en jouant les intermédiaires. Le comportement tyrannique de ce chef immature ne s'atténuant pas, Julien l'avait signalé sans que cela soit pris au sérieux par les ressources humaines malgré des faits étayés. La position de Master ne semblait plus avoir la moindre valeur et semblait même être vu comme un privilège indu qu'il serait bientôt nécessaire de réformer pour remettre ces séniors à leur place. Julien sera rétrogradé.

Rétrogradation

En effet, la nouvelle direction considérant ce statut de Master obsolète tout comme elle voyait les anciens comme périmés, décida de le remettre en jeu en le soumettant à de nouveaux critères de façon rétroactive. Elle a pu ainsi "dé-masteriser" de nombreux séniors qui se voyaient ainsi dégradés en place publique. Julien fut de ceux-là. Au delà de se voir retirer le seul titre de gloire de sa carrière ainsi que son véhicule familial, il voyait ce déclassement comme une humiliation supplémentaire après da convocation à un entretien préalable à un licenciement (cf post 12)*. Sa notation "en demande d'amélioration" lui interdisait, de plus, de re-postuler à un statut qui lui était reconnu depuis dix ans. La RH de 28 ans lui avait alors expliqué que rien dans la vie n'était acquis et que cela était l'occasion de faire à nouveaux ses preuves et de sortir de "sa zone de confort". C'était pour lui une vraie opportunité de se ressaisir et de montrer de quoi il était capable. Le pire est qu'elle semblait réellement sincère et le disait avec beaucoup de compassion.

Résignation

Quant aux autres "Masters" toujours considéré comme "conforme aux attentes", ils devaient passer un nouvel examen dont le seul but était de mesurer leur soumission à l’organisation. Beaucoup s'y refusèrent et furent déclasser. D'autres s’accrochèrent, ravalant leur orgueil pour continuer à jouer les enfants reconnaissants en réalisant leurs exposés inutiles devant des juges incrédules. Pour montrer que c'était possible, certains furent finalement reconduit dans leur titre, pour la plupart des élus représentants du personnel les plus influents, la paix social est à ce prix.

Cette façon de considérer les commerciaux ayant de la bouteille, dans le métier des boissons c’est le cas de le dire, montre un véritable mépris. Pourtant, ils ont en ont de la valeur. Ils sont rodés au métier, prêts à mettre le pied à l’étrier aux jeunes recrues à les former. Ils en ont gagné des batailles, réimplanté des rayons, référencé des produits. Ils ont même parfois des idées intéressantes à proposer. Ils connaissent les clients, qui ont le plus souvent leur âge. Mais cela ne compte pas ou plus. Leur expérience ne vaut rien, ils ne sont pas assez agressifs et pensent bêtement qu'une relation commerciale se construit. Ils sont des enfants qui ont trop redoublé et finissent par coûter cher à l'institution : "à renvoyer".


Identifiez-vous pour afficher ou ajouter un commentaire

Autres pages consultées

Explorer les sujets