Dommage corporel, « imputabilité », « état antérieur » et « déclaratif » sont les mamelles de l’assurance
Ce pastiche de Sully à Henry IV me permet de souligner encore une fois le lobby pesant des assurances, sorte de rouleau compresseur du lavage de cerveau
Récemment, au cours d’une expertise judiciaire, j’ai eu à défendre une victime au passé médical chargé mais, indépendamment de l’état général qui n’entrait pas dans l’assiette d’évaluation, les états antérieurs ostéoarticulaires étaient muets : la victime pratiquait sans problème l’ensemble de ses activités de loisirs, de conduite et de bricolage.
Le coup d’arrêt de ces activités est clairement daté de l’accident. (déclaratif)
Selon moi, il n’est pas opportun de revendiquer un état antérieur évoluant pour son propre compte dans la mesure où il était muet avant l’accident et que, à ma question de savoir quand cet état antérieur se serait révélé sans la survenue de l’accident, il fut impossible de répondre.
La victime présentait un tableau de limitation fonctionnelle des épaules qui apparaissait discordant à l’examen clinique et surtout, l’imagerie
La corrélation entre les séquelles cervicales et les troubles de l’épaule a été décrite et expliquée par Blaimont, référence scientifique en matière de biomécanique (P. Blaimont et A. Taheri, Biomécanique de l’épaule – De la théorie à la clinique, Springer, 2006) :
Selon nous, au niveau cervical, la compression radiculaire motrice intermittente déséquilibre progressivement le dispositif centreur de la tête, entraînant son ascension et le conflit sous-acromial.
Au niveau de la nuque, à l’inverse de ce qui se produit au niveau lombaire, l’ascension intermittente produit un contact céphalique sous-acromial avec des lésions rémanentes diminuant encore le pontntiel de centrage dont la coiffe des rotateurs dispose pour s’opposer à l’élévation céphalique d’origine deltoïdienne.
Les travaux de Gohlke et al., en démontrant l’existence d’une atrophie neuromusculaire dans un pourcentage important de conflits investigués, avalisent cette théorie.
L’ensemble de ces éléments sont clairement indicatifs que les manifestations rapportées par la victime sont en rapport avec l’évolution normale de son traumatisme.
De plus, une jurisprudence constante bien résumée par Mme Yvonne Lambert-Faivre, indique l’irrecevabilité des arguments concernant l’incidence de l’état antérieur :
Sur le terrain juridique, lorsque l'accident a été l'élément déclenchant d'une pathologie antérieure latente, souvent inconnue parce qu'encore asymptomatique et « muette », ou lorsque le traumatisme a entraîné la « décompensation » d'un équilibre jusque là maintenu par une compensation naturelle, l'événement traumatique est considéré comme la cause de l'entier dommage et son auteur doit assumer la réparation intégrale des préjudices subis
Réduire la notion d’imputabilité de plusieurs lésions (lombaire, cervicale, scapulaire) au motif de la non-mention dans le compte-rendu des urgences, n’est guère plus recevable.
J’ai retrouvé dans la littérature une étude bien conduite sur la prise en charge diagnostique aux urgences :
Une équipe de pédiatres urgentistes a conduit une étude prospective à Toronto sur le traumatisme crânien de l’enfant. Alors que les patients répondaient aux critères de Zurich, le diagnostic de commotion a été posé chez seulement 45% des patients et les consignes de surveillance n’ont été données que chez 54,5% des diagnostics de commotion.
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(Boutis K et coll. : The diagnosis of concussion in a pediatric emergency department. J Pediatr 2015; 166: 1214-20)
Ceci montre à suffisance que, pour l’imputabilité, la valeur probante des pièces doit être prise avec prudence et modestie et la vérité doit s’appuyer aussi sur la confrontation de la biomécanique de l’accident, et des doléances de la victime.
Ecarter les doléances de la victime au motif régulièrement asséné par les assureurs qu’elles sont déclaratives, peut être interprété comme une accusation de mensonge, situation blessante pour la victime
Cela va à l’encontre de la jurisprudence de la Cour de cassation qui a une nouvelle fois confirmé le caractère probant des déclarations de la victime ainsi que des témoignages de ses proches dans un arrêt de la 2ème chambre civile du 19/01/2017 n°15-29.437.
Concernant les troubles neuro-psychologiques et cognitifs, ils n’ont pas fait l’objet d’une interrogation exhaustive malgré l’existence d’une névrose traumatique.
L’absence de traitement et l’évocation tardive ne peuvent être un argument pour en réduire l’incidence indemnitaire.
Les militaires qui connaissent bien le sujet apportent des arguments à ma position :
Il résulte de l’ensemble de cet argumentaire que le DFP mériterait d’être augmenté pour entrer dans la classe deux de la grille de référence du Barème de la Soc. Franç. de Médecine Légale
Deux constats doivent être faits :
- L’expert, influencé par le matraquage assurantiel, retient un certain nombre d’arguments pour réduire l’incidence du dommage, mais d’un autre côté, malgré un DFP inférieur à dix, il octroie des souffrances endurées à 4/7 et une aide humaine pérenne de 3H/sem. Ces chiffres correspondent aux données des atteintes aux conditions d’existence de la victime. On ne peut l’accuser d’être un « vendu »
- Le magistrat impose le barème dit de Droit Commun des assureurs, témoin que, encore une fois, le lobby des assurances parvient à le faire passer comme un élément à caractère officiel qu’il n’est pas du tout. L’expert s’est malgré tout, en le justifiant, appuyé en partie, sur le Barème de la Soc. Française de médecine légale, moins défavorable aux victimes
Ceci illustre bien l’enracinement profond des arguments des médecins conseil d’assurance qui par la durée de leur action, ont créé une situation pour laquelle il faudra du temps pour en inverser le cours