DU autisme à Paris-Descartes : pseudosciences à l’université !
L'université Paris-Descartes propose pour 2024-2026 un Diplôme Universitaire (DU) en 210 heures, sobrement intitulé DU autisme. Cet enseignement contribue au retard français en matière d'autisme, à l'entretien de croyances délétères et à la diffusion de mauvaises pratiques, au détriment d'enseignements nécessaires au regard des violences subies par les enfants autistes en institution et du besoin de les préparer à une vie autonome.
Plusieurs enseignants de ce DU sexualisent des bébés et des adultes autistes dans les articles qu'ils et elles rédigent pour des revues de psychanalyse.
Décryptage.
Perspective théorique "post-kleinienne " ?
Ce Diplôme Universitaire de 210 heures s'adresse aux "Professionnels en lien avec des personnes ayant des Troubles du Spectre Autistique", tels que responsables d'unités psychiatriques et éducateurs spécialisés.
La présentation du DU précise que "Les participants pourront bénéficier de l'éclairage de la psychopathologie et de la psychanalyse dans une perspective théorique post-kleinienne pour saisir les enjeux cliniques des signes de l'autisme et de la place du transfert avec des personnes autistes". Des études de cas d'enfants autistes seront présentées aux apprenants.
Ses enseignements reposent donc en grande partie sur les hypothèses formulées par les psychanalystes qui ont succédé à Mélanie Klein (en photographie ci-dessous), et en particulier celles de Frances Tustin, la plus connue des post-kleiniennes.
Nous avions décrit les problèmes posés par les écrits de Frances Tustin au sujet de l'autisme dans cet article. Non seulement, aucune de ses hypothèses énoncées il y a plus de quarante ans ne repose sur des preuves (il s'agit d'observations corrélées ensuite au référentiel freudien). En plus, leur enseignement expose les enfants autistes à des publications d'études de cas humiliantes.
Tustin décrit les enfants autistes comme des "autosensuels", "sans empathie", et "pervers", obsédés par les sensations de leurs propres sécrétions corporelles, telles que la bave et les excréments. Croyance en la sexualité infantile oblige, elle attribue des comportements anodins de très jeunes enfants autistes à un registre sexuel.
Que disent les enseignants du DU autisme de Paris Descartes dans leurs publications ?
La manière la plus simple de se construire une opinion à propos de ce DU (l'enseignement est à venir) reste d'analyser les publications et déclarations de ses enseignants. Pascale Ambroise, première (en ordre alphabétique) dont le nom apparaît, se réfère massivement à Frances Tustin dans ses articles, par exemple dans son étude de cas d'un petit garçon, Lilian, en 2020.
Elle y prétend pouvoir "infléchir une trajectoire trop souvent prédéfinie" chez le "bébé à risque d'autisme". Vous avez bien lu : en 2020, Pascale Ambroise est persuadée de pouvoir placer un bébé "à risque d'autisme" sur une trajectoire "non-autiste" grâce à la psychanalyse ! Un "miracle" qu'aucune littérature scientifique sérieuse n'atteste. La notion de "bébé à risque d'autisme" n'est d'ailleurs reconnue que par quelques psychanalystes.
Chantal Lheureux-Davidse, à l'origine du tableau de "jeune fille autiste" qui orne la première page de la plaquette de présentation du DU, est également co-autrice d'une des pires études de cas d'adulte autiste basées sur les croyances de Frances Tustin. Sans que le "sujet" analysé ne puisse s'en défendre, elle manie un registre érotique et prête des désirs sexuels à un homme autiste non-verbal de 44 ans, qui a bavé sur sa clef. Ce texte humiliant, paru en 2004 dans la revue Cliniques méditerranéennes, relève moins de l'analyse thérapeutique que de l’œuvre pornographique :
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Bernard Touati, autre enseignant pressenti de ce DU (dernier dans l'ordre alphabétique sur la plaquette), croit lui aussi en "l'autoérotisme" des bébés autistes, et n'hésite pas à décrire ces bébés en usant de vocabulaire sexuel :
Bernard Golse est probablement l'un des enseignants les plus connus. Dans son livre Mon combat pour les enfants autistes (2012), il prétend que l'autisme "typique" ne concernerait qu'un ou deux enfants sur 10 000... des chiffres loin, très loin du consensus international en matière de prévalence des TSA, même à l'époque de cette publication.
On se souvient aussi de son intervention à Paris-Descartes en 2013 lorsque, répondant à Josef Schovanec, il avait expliqué que les enfants autistes qu'il suit "ont une pathologie autistique qui les empêche d'être une personne" (voir la vidéo à 1h 03 m 30 s).
Dans cette présentation vidéo de 2016, il insiste fortement sur une souffrance psychique importante ressentie du seul fait d'être autiste, là aussi en contradiction avec la majorité des récits de personnes concernées. Bernard Golse semble regretter (dans cette même vidéo) que notre époque soit si focalisée sur les abus sexuels commis contre les enfants.
Mais justement, pourquoi nous focaliser là-dessus ? ~40 % d'entre nous subissent des violences sexuelles au cours de leur vie, d'après cette méta-analyse de 2022. L'étude de Fabienne Cazalis et al., menée sur une population de femmes autistes françaises et verbales recrutées en association (2022), conclut qu'une femme autiste sur deux a été victime d'agression ou de crime sexuel avant ses quinze ans. Dans notre seule association, leur nombre est massif. Très peu parviennent à se faire reconnaître dans un cadre judiciaire, qu'il s'agisse d'hommes ou de femmes. Nous attendons d'un DU autisme qu'il forme des personnes capables d'aider ensuite nos pairs à vivre dignement et de manière autonome, pas qu'il leur enseigne les croyances de France Tustin entre deux études de cas humiliantes.
Psychanalyse : entre adultes consentants
Hugo Horiot, adulte autiste, disait en réponse à Bernard Golse que la psychanalyse, c'est comme une partouze.
Tant qu'elle se pratique entre adultes consentants (croyants), nous n'y voyons aucun problème. Lorsque ses dogmes (Œdipe, autoérotisme, sexualité infantile...) prétendent s'appliquer à des enfants ou des publics vulnérables et captifs (victimes de crimes sexuels ou de dérives sectaires à l'expertise judiciaire, par exemple), nous sommes face à un gros problème.
Sur la base des publications de ses enseignants, ce DU enseignera que les bébés autistes ont des pensées sexuelles, qu'il est possible d'infléchir la trajectoire développementale d'un bébé autiste à l'aide de psychanalyse, et que les autistes pratiqueraient des "autoérotismes" grâce à leurs propres sécrétions corporelles. Pire, il prétend appliquer cette grille analytique à des autistes non-verbaux, en incapacité de se défendre contre ce type d'interprétations.
Les personnes qui suivent ce DU seront-elles correctement formées à identifier et aider une victime d'agressions sexuelles en institution ? Y a t'il trop de focalisation sociétale sur les risques d'agressions sexuelles, comme semblait le dire Bernard Golse en 2016 ? Sur la base de notre expérience associative et de la littérature scientifique, nous concluons que non.
Malgré les chiffres effarant d'abus sexuels solidement attesté en littérature scientifique que nous venons de citer, le DU autisme de Paris Descartes ne comporte aucun cours permettant la prévention d'abus sexuels en institution. Des affaires judiciaires récentes d'agression de mineurs autistes par le même public que celui du DU, à savoir des éducateurs spécialisés et des médecins, sont pourtant connues en presse locale.
Manque d'enseignement des techniques de communication non-verbales
En parallèle, le DU de Paris Descartes brille par l'absence d'enseignements cruciaux pour l'autonomisation des personnes autistes. Des enseignements pourtant identifiés dans la stratégie nationale des troubles du neuro-développement comme nécessaires pour permettre l'expression de leur pensée et de leurs besoins réels.
Il n'aborde pas les techniques de communication non-verbales (PECS, Makaton, etc). Seule l'interprétation (psychanalytique, bien sûr) du comportement et des réactions sensorielles des personnes autistes est prise en compte, plaçant l'éducateur ou médecin en position de toute-puissance face à son "sujet" autiste.
Cette absence, doublée d'absence de sensibilisation aux violences sexuelles et de l'usage d'un vocabulaire sexuel pour décrire la vie intérieure des autistes, constituent un cocktail explosif pour exposer les enfants et adultes autistes institutionnalisés aux violences sexuelles, sans leur offrir en parallèle de moyen de communiquer ce dont ils sont victimes.
Nous espérons vivement que les établissements spécialisés autisme considèreront ce DU de Paris Descartes comme un red flag au recrutement.
Coordinatrice GEM TSA 85 et référent culture Fondation OVE
3 moisFadila Khattabi Etienne Pot nous sommes en 2024 ! On en est encore là ????
Directeur ESMS
3 moisL'entrisme de cette secte dans le milieu universitaire en 2024 me sidère Etienne Pot
Expert Autisme - Formateur et Coach - Son Rise Program
3 moisMerci pour cet avis bien étayé sur cette formation DU Autisme qui balaie encore le consensus international sur la non-validité des hypothèses psychiatriques dans l'accompagnement de l'autisme. Tous les parents d'enfant autiste ont fait la triste expérience s' il a fallu hospitaliser leur enfant dans un état de crise de la non réponse et de l'incompétence des psychiatres dans cet accompagnement. Offrant en retour dans les familles un enfant méconnaissable car lourdement sédaté. Ainsi comme il est bien logique, les services hospitaliers n'ont pas été débordés par les demandes. Accentuant pour les psychiatres l'incapacité à accompagner de façon respectueuse et positive le développement des enfants, jeunes ou adultes autistes. Et le fossé devenu infranchissable entre les parents accompagnant une personne autiste et la psychiatrie.
Merci à La Neurodiversité-France pour cet article très fouillé. Avec le temps qui passe, les nouvelles générations qui arrivent, on s’imagine que le monde va enfin tourner la page du courant psychanalytique et réaliser les inepties absolument ridicules qu’il véhicule mais… NON. Comment expliquer que des jeunes se sentent encore séduits par la démarche psychanalytique? Qui en plus n’apporte ni solution ni preuve. À l’Université de Genève, Freud et sa bande sont encore à l’ordre du jour (alors que Freud, lui-même, de son vivant, a remis en cause ses propres travaux!). A mes yeux (comme si mon avis importait!), la psychanalyse a sa place au rayon philosophie, si vous y tenez tant, elle n’apporte aucune aide aux patients.
Déléguée Ile de France pour Autisme France
3 mois😡