Enjeux qui fondent une nouvelle pratique de l'urbanisme de projet

Un urbaniste en exercice constate que l’urbanisme souffre de nombreux maux. L’urbanisme opérationnel semble aux premières loges de ces dysfonctionnements qui appellent en réponse une autre pratique du projet.

Postures dysfonctionnelles

Le déroulement d’un projet d’aménagement de l’espace est révélateur des dysfonctionnements de nos sociétés et puisque nous sommes dans le monde de l’action, ici de la transformation de l’espace, les acteurs excellent souvent dans un déni proportionnel aux inquiétudes que suscitent l’entrée dans la sphère opérationnelle. Cette dernière impose sans retour l’acte tranché de transformation de l’espace à assumer avec en sus, les conditions complexes de sa mise en œuvre (financement, délais, ...). Ce stress opérationnel contribue à fermer les œillères des acteurs impliqués qui se centrent alors sur la performance.

Dysfonctionnements et nouveaux paradigmes

Plusieurs constats peuvent être remontés.

D’abord l’approche instrumentale qui caractérise de nombreuses gouvernances de projet. La décision, qu’elle soit politique ou technique, est trop souvent descendante en aménagement. Les « habitants » sont cantonnés à n’être que « destinataires » ou « clients » et non parties prenantes. Le contexte est négligé.

Ensuite l’approche conceptuelle qui caractérise souvent les pratiques du projet pour imposer efficacement ses intérêts par la séduction ou l’intimidation. Ainsi l’aménagement est source de nombreuses formes rhétoriques qui nuisent à la cohésion du projet. Rhétorique politique où le discours, notamment les promesses électorales, devient cahier des charges. Rhétorique du concepteur, où l’architecte ou le paysagiste subissent cette commande politique et sociale d’un projet architectural ou urbain qui doit briller, marquer sa différence. Rhétorique des opérateurs enfin, aménageurs ou promoteurs, où le projet, soluble dans le tableur, caractérise trop souvent l’aménagement par une entrée financière quasi exclusive.

Au travers de ces deux approches, ce sont les logiques expertes et productivistes qui dominent.

Enfin, l’approche divisée, qui apparaît souvent comme la règle pour des acteurs qui agissent selon leurs sphères d’intérêts, avec en conséquence des pratiques séparées où élus et services fonctionnent en silo. Cette approche occasionne une atomisation de la sphère de décision et un manque de cohérence dans l’instruction des dossiers, notamment dans le champ des politiques publiques. Globalement, ce sont les processus et les relations entre les échelles qui sont malmenés au profit de discontinuités dans l’action, préjudiciables également à la cohérence. Trop souvent, procédures et fonctions isolent les acteurs et leurs actions et ramènent les finalités d’une opération à des cadres déconnectés et figés.

Au-delà des maux, ce sont tous les sujets laissés sous silence ou traités à part, alors même qu’ils devraient être mobilisés dans la construction du projet. Ce sont notamment : les questions environnementales, les enjeux autour de la précarité, de l’accueil des migrants ou de la transition numérique. Ce sont aussi la raréfaction des finances publiques, la défiance pour le politique, la demande sociale à plus de participation pour les décisions.

Nouveaux enjeux de la pratique

Face à ce qui caractérise les difficultés rencontrées sur le terrain, une autre manière de faire est possible.

D’abord, face à l’approche instrumentale, une démarche politique et relationnelle s’impose. Elle se fonde sur la coproduction du champ politique, et des ambitions qui en découle, crédibilisée par une dialectique continue entre élus et citoyens. Le débat est souhaitable mais s’inscrit dans un cadre opérationnel qui implique de partager efficacement les mêmes finalités.

Ensuite, face à l’approche conceptuelle, une démarche territoriale permet d’investir la profondeur de champ nécessaire à une prise avec le réel. Il s’agit d’appréhender et d’inclure dans le projet urbain spatial, les enjeux du territoire politique et habité dans lequel il s’inscrit. L’élaboration des contenus, c’est à dire préciser ce qui va habiter l’espace et avec quelles conditions, donne le change aux incantations. Le sens qui préside à la création d’espaces devient alors déterminant. On a changé de paradigme.

Face à la division, une démarche transversale est souhaitable pour assurer une continuité scalaire et processuelle, et la mise en œuvre de démarches intégratrices des acteurs. Elle peut se mettre en œuvre par un processus critique de réflexion, de délibération et de décision qui clarifie un chemin critique fédérateur de l’ensemble du système d’acteur de l’aménagement. Inscrits dans une démarche collaborative, les acteurs qui représentent le territoire clarifient les ambitions et le sens à assigner au projet et portent une responsabilité forte vis à vis des citoyens (élus, services). D’autres acteurs, société civile et citoyens, qui habitent et sont concernés par le territoire, contribuent au contenu du projet. Les opérateurs, aménageurs, promoteurs ou exploitants, doivent intervenir le plus en amont possible également parce qu’ils contribuent à la faisabilité financière du projet. Enfin les ingénieries, AMO ou maîtrise d’œuvre urbaine et autres ingénieries supports (relevés, sondages, ...), sont déterminantes pour accompagner, qualifier et assurer la faisabilité du projet si toutefois le cadre de commande dans lequel elles s’inscrivent est clair.

Enfin, face aux évolutions et aux complexités inhérentes aux territoires, une approche résiliente est nécessaire. Moins de moyens, c’est mettre les richesses humaines du territoire au cœur du processus de transformation de l’espace comme intelligence collective que nous pensons aptes à « déplacer des montagnes ».

 

 

Sylvain BRILLET

Directeur général chez Établissement Public Foncier (EPF) de Nouvelle-Aquitaine

5 ans

La perfection en matière de projets urbains n’existe pas. Ils ne peuvent se développer qu’à partir de négociations complexes (intérêt général vs intérêts privés / micro-local vs global / équilibre économique vs performances ...). Des compromis sont donc obligatoires. Le meilleur projet urbain est donc celui qui sort de terre !

Véronique LANG

Avocate DROIT PUBLIC IMMOBILIER - Associée AARPI LIBRAE AVOCATS

5 ans

Merci pour cette analyse qui invite au changement de paradigme;  l'association de la société civile , des habitants est bien sûr souhaitable mais j'y vois une difficulté en ce qui concerne la maîtrise du foncier à aménager: quid des propriétaires privés qui se trouvent inclus dans le périmètre à aménager? le droit de propriété d'une part  comme l'expropriation d'autre part sont pensés au service d'une seule partie prenante à l'aménagement. Au regard de cet exemple, votre analyse pose la question de la révision des outils de l'aménagement et de l'appropriation du sol. 

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