Gouvernement CHAHED
Ce vendredi 26 Août, le gouvernement d’union nationale sous la présidence du jeune Youssef CHAHED (le 7ème depuis le soulèvement populaire de 2011) a eu l’approbation de l’ARP, bouclant ainsi deux mois de tractations et d’une certaine inquiétude au niveau de l’opinion publique.
Mon constat est double :
Sur le plan politique et forme, cette nouvelle expérience nous a donné l’occasion, encore une fois, de constater certaines « … » :
Un député a déclaré « je jure que même si certains ministres sont ramenés de l’hôpital Razi, ce gouvernement sera approuvé car les deux « cheikhs » ont décidé ainsi » ... C’est l’évidence même des règles du jeu démocratique que de ne rien laisser au hasard et que c’est la volonté des majoritaires et/ou alliés à l’ARP qui décide. D’ailleurs, malgré les 140 interventions lors de la plénière, le score (167/194 : 86%) obtenu par le nouveau gouvernement relate bien les accords préalables des partis de poids. Seuls les profanes et/ou novices auraient attendu autre chose. Les minoritaires doivent se regrouper, s’unir pour avoir un poids et une voix entendue ...
Une députée a répondu au micro d’un journaliste « je ne peux donner mon approbation à ce gouvernement qu’après avoir vu les réalisations » ... Peut-on lui expliquer que c’est un vote d’investiture et non pas de bilan ! D’après elle, le gouvernement doit entrer en fonction et faire des réalisations sans lui donner mandat ! Une certaine formation est urgente pour des députés du genre …
Un autre député a annoncé « si vous entrez au souk avec le bâton, votre gouvernement échouera ». Ce commentaire, au titre de la volonté du gouvernement d’arrêter les sit-in et grèves anarchiques paralysant la production du phosphate, est étonnant quand on rappelle que le même député accusait le gouvernement ESSID de laxisme dans d’autres dossiers …
Une autre députée a utilisé un jeu de mot … « vous serez témoin de la vente de la Tunisie ». Pourquoi elle n’évoque jamais le dossier des nouveaux richissimes (politiques et fonctionnaires) et le financement des partis !
Des experts ont accusé la proposition du nouveau chef de gouvernement, par le président de la république, de non respect de l’article 89 de la constitution pour non association de certains partis dans les négociations. Une relecture méditée de l’article atteste bien qu’il n’oblige pas à associer « tous les partis à l’ARP » mais plutôt « les parties à l’ARP », donc ceux qui ont un poids. Déjà, avec les décideurs, on a perdu deux mois … il faut rappeler que la démocratie est basée sur la majorité et non pas l’unanimité.
Avec les CV, on aurait tout vu : du CV sans aucun diplôme à celui retraçant l’historique des études primaires, oubliant la maternelle …
Sur le plan contenu, le discours d’investiture, est plutôt bon en présentant un diagnostic clair et franc loin des « mensonges » de certains politiques …
En résumé, les querelles politiques « égoïstes » ont impacté négativement l’économie.
Le tunisien ne travaille plus, n’investit plus. L’incompréhension de la liberté nous a amené à l’anarchie, aux abus et à la propagation de la corruption.
A cause des « bras de fers » la production du phosphate a chuté de 60% (on est revenu au niveau de 1928).
A cause du terrorisme, le tourisme a perdu sa contribution importante dans l’économie.
Ainsi le taux de croissance moyen ces dernières années est d’environ 1,5%, loin des espoirs (exigences) de 6%. Les 650.000 demandeurs d’emplois en est l’illustration.
Le déficit du budget 2016 a atteint 6.5 MDT soit 2.9 MD de plus. Les 112.000 recrutements dans la fonction publique réalisés par la troïka, sans productivité en contre partie, l’expliquent en grande partie. De ce fait, la masse salariale (13.4 MD) a doublé.
Pour couvrir ce déficit, on est entré dans une spirale d’endettement extérieur (56 MD en 2016, contre 25 MD en 2010 : 62% du PIB avec une aggravation de 21% en 5 ans).
A cause de la faiblesse de notre économie, le dinar continu à perdre de sa valeur.
Le déficit des caisses sociales a atteint 1.648 MD mettant en péril les prestations sociales au profit des nécessiteux.
Le chef du gouvernement a bien tiré la sonnette d’alarmes pour agir d’urgence. Pour une situation exceptionnelle il faut des cadres adéquats et des solutions exceptionnelles. Sinon, en 2017 les défis seront énormes et une politique d’austérité s’imposerait, avec des conséquences néfastes sur les emplois publics, les services sociaux et le développement régional.
A mon avis, il faut que chaque tunisien prenne bonne conscience des défis et assume sa responsabilité dans sa fonction.
Dire qu’on doit commencer l’austérité dès maintenant est un discours défaitiste troublant. Il faut, plutôt, adopter un budget complémentaire 2016 pour combler les 2.9 MDT et bien préparer celui de 2017.
Recourir à la police fiscale et au levé automatique du secret bancaire sont des mesures contreproductives en économie. Un bon économiste sait très bien que l’investissement redoute les mesures judiciaires qui ne font que paralyser l’initiative privée. Souvent les experts en économie recommandent des mesures de souplesse pour réinstaurer la confiance de l’investisseur, allant parfois, jusqu’à l’amnistie. Les pays qui ont les lois les plus sévères n’ont pas pu faire reculer la délinquance et/ou criminalité, bien au contraire.
A mon avis les grandes échéances à venir sont : le budget complémentaire 2016, le budget 2017, les élections régionales et municipales puis le budget 2018. Entre temps certaines mesures sont à prendre dans le dossier sécuritaire, social et économique. Ainsi, le gouvernement CHAHED arrivera aux termes du premier mandat légitime de la 2ème république et veillera à la bonne réussite des élections 2019. Le bilan fera état de certaines améliorations sur tous les plans pour passer le flambeau au gouvernement suivant. Il l’a bien annoncé dans son discours.
Mohamed JARRAYA
Expert en économie
Président de l’Observatoire Tunisia Progress.