Innover, c'est savoir inventer des choses qui se servent à rien

J'ai hésité à appeler cet article "Innover, c'est savoir se sortir les doigts au bon moment", et en fait j'ai réalisé que c'était un corollaire à l'axiome du titre. Autrement dit, il faut savoir se perdre pour trouver son chemin. Ca vous parait obscur ? Lisez la suite.

Vous connaissez le Post-it, l'outil de travail indispensable de toute salle de réunion qui se respecte (et qui a donné lieu à une grosse colère de Julia de Funès à l'encontre de mon ami Cyrille de Lasteyrie). Mais connaissez vous sa genèse, par delà le Storytelling ?

L'histoire est née d'un paradoxe : en cherchant dans les années 60 à développer une colle extra-forte, Spencer Silver de la R&D de 3M trouva une colle... qui ne collait pas. Et bien sur, personne chez 3M - ni même le chercheur - ne pensa quoi faire de cette invention inutile, qui ne servait à rien. Fort heureusement, son invention resta sur une étagère de l'inventeur du Scotch™et fut même breveté comme l'adhésif n° 3 691 140.

10 ans plus tard, un autre chercheur de 3M, Art Fry, cherche à faire tenir ses marque-pages dans son livre de chant liturgique. Et comme il a une bonne mémoire, il se rappelle de cette colle qui ne collait pas. En allant farfouiller dans les archives, il va retrouver la formule de celle-ci, enduire des bouts de papiers de celle-ci et les coller dans son ouvrage. Le Post-it® était né, et deviendra une des plus rentables diversifications de la société (après quelques déboires pour bien positionner le produit).

Cette histoire est assez connue. Elle m'est revenue en écoutant l'anecdote beaucoup plus méconnue de Jeff Williams d'Apple (qui supervise aujourd'hui le design de la firme à la Pomme après le départ de Jonathan Ive) quand il était en charge du développement de l'iPhone en 2007.

En 2007, l'iPhone qui est démontré sur scène par Steve Jobs n'est pas totalement fini. Et la vitre utilisée est en plastique. Jobs, qui teste à fond son produit, remarque que cette vitre a tendance a se rayer très vite au contact d'objets du quotidien comme des clés dans une poche. Lui qui n'est pas du genre à transiger (euphémisme), intime à son responsable technique de trouver une solution en utilisant une vitre en verre.

Problème : Williams est convaincu que cela n'existe pas et que cela ne sera pas disponible avant 4 ou 5 ans ! Jobs s'en fout, il veut du verre. Ça lui parait évident : sans cela, l'appareil sera rapidement inutilisable dans des conditions réelles d'utilisation. Et il a raison. Il va donc tout simplement appeler son fournisseur pour tout simplement lui dire qu'il faut trouver autre chose.

Et là, l'effet Post-it® agit à nouveau : en recherchant dans les innovations passées qui n'avaient eu aucune application concrète, Corning va trouver une technologie lui permettant de développer le Gorilla Glass, le verre qui deviendra le plus utilisé au monde sur les smartphones.

Qu'en conclure ?

• Qu'une innovation peut-être totalement inutile au moment où elle est développée, car le contexte dans lequel apparait n'a pas de sens avec son application.
• Une innovation inutile peut devenir un best-seller à partir du moment où un usage se fait jour. Et cela peut-être 10 ans après sa découverte !
• Sérendipité et mémoire sont indispensables une entreprise. Or très souvent - hormis via les brevets - les entreprises ont tendance à ne pas garder de trace fiable des projets passés. Elles ne s’appesantissent sur ce qu'elles ont pu développer, préférant penser à l'application immédiate sous couvert de "pression de marché". C'est peut-être là que réside le secret de l'innovation : le temps long.