Inutile d'appeler à la cause l'assuré pour agir contre son assureur dans le cadre d'un recours en garantie (Civ3, 01/02/2024, n°22-21025)
L’entreprise responsable et son assureur n’ont pas l’obligation de mettre à la cause l’assuré pour agir contre l’assureur de celui-ci dans le cadre d’une action en garantie / l’exploitant des grandes surfaces ne pouvait rechercher la garantie de l’assureur RCD n’étant pas le maître d’ouvrage (C.Cass., Civ. 3ème, 1er Février 2024, n°22-21025)
Instrument précieux pour garantir l’efficacité des recours, l’action directe est prévue à l’article L. 124-3 du Code des assurances. Elle permet d’agir directement contre l’assureur du responsable pour tenter d’obtenir une prise en charge totale ou partielle des préjudices allégués.
Initialement, la jurisprudence avait exigé de la victime qui entendait exercer l’action directe, qu’elle mette à la cause le responsable lui-même (C.Cass., Civ. 1ère, 13 novembre 1991, n°88-20220). Cela pouvait générer des difficultés et une lourdeur procédurale, y compris pour l’assureur subrogé dans les droits de la victime.
La Cour de cassation a alors opéré un revirement de jurisprudence par un arrêt de la 1ère Chambre civile du 7 Novembre 2000 (C.Cass., Civ. 1ère, 7 Novembre 2000, n°97-22582), en énonçant que :
« Vu l’article L. 124-3 du Code des assurances ;
Attendu que la recevabilité de l’action directe n’est pas subordonnée à l’appel en la cause de l’assuré par la victime ;
Qu’encourt dès lors la cassation l’arrêt attaqué qui a déclaré irrecevable l’action directe dirigée par la société Thomson-CSF contre la société Préservatrice Foncière assurances, assureur de la société Tailleur industrie, au motif que cette assurée n’avait pas été attraite en la cause devant la Cour de manière régulière »
Cette jurisprudence a été
En conséquence, par exemple :
La solution est bien établie et suivie par :
Encore récemment, la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation a pu confirmer sa jurisprudence par un arrêt en date du 11 Mai 2022 (C.Cass., Civ. 3ème, 11 mai 2022, n°21-12478).
Le schéma est donc bien établi en ce qui concerne les rapports maîtres d’ouvrage victime contre assureur du responsable, mais qu’en est-il dans le cadre des recours en garantie qui sont (fréquemment) formés du côté des défendeurs ?
C’est précisément l’objet et l’intérêt de l’arrêt prononcé le 1er Février 2024 par la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation (C.Cass., Civ. 3ème, 1er Février 2024, n°22-21025).
Sur le plan factuel et procédural, il convient de retenir que
Par un arrêt en date du 5 Juillet 2022, la Cour d’appel de POITIERS a déclaré irrecevable l’action en garantie exercée par les sociétés MMA contre la société AXA, assureur de la Société BTI, au motif que l’appel en garantie, distinct de l’action directe prévue par l’article L. 124-3 du code des assurances, requiert la mise en cause de l’assuré pour que sa responsabilité soit établie.
Les MMA ont formé un pourvoi.
La 3ème Chambre civile de la Cour de cassation va retenir une motivation enrichie, sous le visa de l’article L. 124-3, alinéa 1er du Code des assurances, et de l’article 334 du Code de procédure civile, en rappelant dans un 1er temps
Puis, dans un 2ème temps, elle formule la question de droit pertinente, à savoir « si la même règle doit s’appliquer lorsque l’action exercée n’est pas l’action directe du tiers lésé mais un appel en garantie formé par le responsable des dommages« . Elle distingue donc entre action
Elle développe dans un 3ème temps son analyse en indiquant :
pour déduire que
La 3ème Chambre civile de la Cour de cassation conclut donc :
« Il y a donc lieu de juger que, comme en matière d’action directe du tiers lésé, la recevabilité de l’action en garantie dirigée contre un assureur n’est pas subordonnée à la mise en cause de son assuré »
Elle censure donc l’arrêt de la Cour d’appel de POITIERS pour avoir déclaré irrecevable l’action en garantie exercée par les MMA contre l’assureur de la Société BTI.
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Ainsi, la Cour d’appel de renvoi devra se prononcer sur la faute de celle-ci pour envisager ensuite la garantie de l’assureur.
Il faut rappeler au passage que, si
pour rechercher l’identité de l’assureur en garantie (assureur RCD à la DOC ou assureur RC à la date de la réclamation), il faut prendre « en compte, non la nature des désordres, mais le fondement juridique de la responsabilité de l’assuré« , de sorte que la garantie de l’assureur décennal est mobilisable pour les désordres relevant de la garantie décennale (C.Cass., Civ. 3ème, 8 novembre 2018, n°17-13833 ; confirmation par C.Cass., Civ. 3ème, 11 Mai 2023, n°22-13182).
Dans cette configuration, l’action directe contre l’assureur suppose préalablement une déclaration de responsabilité de l’assuré.
Ainsi, l’assureur pourra se prévaloir d’une décision du Juge administratif mettant hors de cause son assuré, pour faire échec à l’action directe, comme l’a statué la Cour de cassation dans son arrêt du 14 Juin 2012 (C.Cass., Civ. 2ème, 14 juin 2012, n°10-17239) :
Le Juge judiciaire ne peut donc pas se prononcer sur la responsabilité d’un constructeur titulaire d’un marché public (C.Cass., Civ. 1ère, 9 juin 2010, n°09-13026).
Le Juge judiciaire retrouve par contre sa compétence pour apprécier l’éventuelle prescription de l’action directe contre l’assureur (C.Cass., Civ. 3ème, 21 Novembre 2019, n° 18-21931).
Cette confirmation de jurisprudence est favorable au maître d’ouvrage qui doit cependant faire preuve de prudence et de vigilance puisque
Cet arrêt est aussi l’occasion d’un rappel intéressant concernant la qualité nécessaire pour rechercher la garantie de l’assureur RCD.
En l’occurrence, l’exploitation des grandes surfaces avait formulé une demande de provision contre les MMA, assureur RCD du carreleur, au motif qu’au jour de l’ouverture du chantier, la société Parvaud céramique était assurée auprès de ces assureurs au titre de sa responsabilité civile décennale.
Les MMA ont formé un pourvoi.
Sous le visa des articles
la Cour de cassation rappelle que
avant de censurer l’arrêt d’arrêt en lui reprochant une méconnaissance des dispositions susvisées, puisqu’il avait retenu que la société Sodibelleville n’était pas le maître de l’ouvrage et qu’elle ne pouvait agir contre les locateurs d’ouvrage que sur le fondement de la responsabilité délictuelle.
Ainsi, si le constructeur, au titre de sa responsabilité décennale, doit supporter l’entier préjudice en lien sur fondement, il faut veiller à maîtriser les notions assurantielles de base pour bien diriger les recours.
En application de l’article L. 241 et de l’Annexe n°II de l’article A. 243-1 du code des assurances, l’assureur à la date des travaux doit sa garantie pour toute condamnation au titre des travaux de reprise, sur le fondement décennal.
En outre, en vertu de l’annexe 1 à l’article A 243-1 du Code des assurances, l’assureur décennal doit garantir les dommages matériels liés aux travaux de réparation réalisés sur l’ouvrage affecté de désordres.
En effet il ressort des dispositions de cet article que « le contrat garantit les travaux de réparation de l’ouvrage à la réalisation duquel l’assuré a contribué (…), (lesquels) notamment en cas de remplacement des ouvrages comprennent les frais de démolition, déblaiement, dépose ou démontage éventuellement nécessaires« .
Les travaux de reprise s’entendent donc des travaux de reprise de l’ouvrage ainsi que ceux travaux nécessaires pour permettre la reprise de l’ouvrage.
En dehors de ces hypothèses, seule l’éventuelle garantie responsabilité civile souscrite le cas échéant par un constructeur peut entrainer la mobilisation de la garantie de l’assureur à la date de la réclamation (et non à la date des travaux ou DOC).
C’est ainsi que ne peuvent être garantis par l’assureur décennal
Il en va également de même concernant les désordres susceptibles de relever de la garantie des vices intermédiaires (régime de responsabilité pour faute prouvée, exclusif de toute obligation de résultat, pouvant concernant les désordres qui n’atteignent pas le critère de gravité décennale).
Sauf exceptions, le titulaire d’un bail commercial ne peut pas disposer de la qualité de maître d’ouvrage (C.Cass, Civ. 3ème, 1er Juillet 2009, n° 08-14714 ; C.Cass., Civ. 3ème, 23 Octobre 2012, n° 11-18850).
L’exploitant devra donc diriger ses réclamations contre l’assureur RC.