La cour des Grandes

La cour des Grandes

C'était il y a un an. Le concours #Sororistas battait son plein et j'étais pleinement concentrée sur l'écriture de mon texte. J'ai toujours aimé rédiger et ce concours représentait une excellente opportunité. "Les femmes écrivent le monde de demain"... Oui j'avoue avoir hésité au départ car pourquoi ne pas laisser place aussi à l'inspiration des hommes ?

Le début a été un peu laborieux pour parvenir à se projeter fin 2030 comme le thème l'imposait. Puis tout s'est accéléré une fois mes personnages installé.e.s dans l'Histoire. Prise dans mon élan, il a fallu que je réduise le texte pour qu'il ne dépasse pas les cinq pages autorisées... Moment le plus délicat!

Je ne fais pas partie des vingt finalistes qui ont vu leurs textes publiés dans le recueil mais qu'importe. L'important aura été de participer. Envie de découvrir ce qui se trame dans La cour des Grandes ? Plonger dans leur univers...

31 décembre 2030, 02:44 - La sonnerie du téléphone me sort du profond sommeil dans lequel j’ai sombré trois heures plus tôt. Emma. Je décroche. « Coucou ma belle, je passe au-dessus de Bordeaux. P… ça fait drôle de se dire que c’est l’un de mes derniers tours en orbite. Dans cinq heures, retour sur la terre ferme et fin de l’aventure pour l’ISS qui va être désintégrée, tu te rends compte… On se voit tout à l’heure ». Je n’ai même pas eu le temps de lui répondre.

L’exploratrice

Emma est comme cela : spontanée et passionnée. « Quand je serai grande, je serai spationaute », n’arrêtait-elle pas de répéter. Ses parents avaient déployé de multiples efforts pour l’en empêcher, à grands renforts de « ma chérie, ce n’est pas un métier pour une fille ». C’était sans compter sur son entêtement.

Après un parcours sans fautes, Polytechnique, le MIT et une année de césure pour aller explorer le pôle Sud, elle avait rejoint l’Agence Spatiale Européenne qu’elle n’a plus jamais quittée. Emma n’aura donc pas été la première mais la dernière astronaute féminine à monter à bord de la station spatiale internationale, avec pour mission d’analyser l’évolution du réchauffement climatique sur les Pôles.

31 décembre 2030, 7:20 - J’ouvre un œil, il est encore tôt mais je n’ai plus envie de dormir. J’ai horreur des 31 décembre, comme de tous les exercices imposés d’ailleurs. Le dernier 31 décembre pour lequel nous étions toutes réunies, c’était en 2019. Quelle ironie ! Cette année-là, mes quatre meilleures amies étaient en France. Le coronavirus commençait à sévir en Chine mais cela restait une épidémie lointaine qui n’allait pas atteindre notre enthousiasme. Nous avions ri, bu et improvisé un karaoké spécial années 80 en nous souhaitant bien sûr tout le bonheur du monde à l’heure fatidique du passage à 2020.

Moins de trois mois plus tard, nous étions confinées. Cette pandémie allait nous forcer à porter un autre regard sur le monde et nous donner à réfléchir sur nos vies et nos envies.

La protectrice

Charlotte avait été la première à entamer cette démarche avant même que surgisse la pandémie. Vétérinaire à Paris, célibataire par choix, elle consacrait sa vie à son travail et à sa passion, les animaux. Une vie relativement classique, jusqu’au jour où tout avait basculé à cause d’une image : celle d’un kangourou carbonisé.

Charlotte nous avait déjà fait part de son envie de s’octroyer quelques mois sabbatiques. Elle avait besoin d’un break « plutôt doigts de pied en éventail sur plage de sable blanc peuplée de mâles séduisants ».

En janvier 2020, deux mois avant la fin des gigantesques incendies qui avaient ravagé l’île-continent, l’ONG Wildlife Australia avait accepté sa candidature. Atterrée par l’ampleur du sinistre, elle s’était investie à fond pour contribuer à sauver les animaux qui pouvaient encore l’être.

En quelques mois, Charlotte avait considérablement changé. Elle, si drôle et parfois insouciante, était devenue sarcastique. Le coronavirus, elle s’en fichait. « Nous sommes trop nombreux sur terre et chaque année des catastrophes nous le rappellent, alors rien ne vaut un bon virus pour réguler l’espèce humaine ! L’Australie vient de perdre des espèces endémiques et celles-ci ne réapparaitront jamais. Réveillez-vous les filles, c’est la planète entière qui est en danger à cause de nous ! ».

Soigner « les toutous à mémères » n’avait plus aucun sens pour elle après ce qu’elle avait vécu. Charlotte s’était établie définitivement à vingt mille kilomètres de nous.

Pendant plus d’un an, elle avait continué à prodiguer des soins aux animaux avant de s’investir dans un projet de ferme pédagogique destiné à rassembler les espèces les plus rares du continent. En mars 2023, nous n’aurions manqué pour rien au monde l’inauguration. Voir Charlotte de nouveau rayonnante avait réchauffé nos cœurs et relancé nos envies de rompre définitivement nos amarres.

L’aventurière

A cette époque, Vanina avait déjà bien avancé sur son projet sénégalais. Vanina a toujours été une aventurière et une femme engagée. Fille d’un pêcheur breton, elle était devenue prof de sport, un bon compromis qui lui permettait d’allier vie professionnelle et personnelle. Tout allait pour le mieux… jusqu’au confinement. Enfermée pendant presque deux mois à Paris avec mari et grands ados dans un petit quatre pièces, elle avait réalisé qu’elle n’était vraiment pas faite pour vivre en ville, elle qui avait obtenu sa mutation un an plus tôt pour rejoindre son mari.

« Fini le port du masque, les embouteillages, les grèves, mon mec et mes fils qui se mettent les pieds sous la table en attendant que je prépare la bouffe. Je vais me casser !». C’était en juin 2021, nous étions toutes connectées via Zoom et, face à nos têtes ébahies, elle avait pris soin d’ajouter, clin d’œil à l’appui « et ma décision est irrévocable ».

Au cours de sa participation à une célèbre émission de téléréalité, Vanina avait sympathisé avec une coéquipière d’origine sénégalaise, Aïssata. L’idée d’un projet singulier avait commencé à germer : créer un élevage d’huitres au Sénégal.

Nous nous sommes retrouvées en mai 2025 à Somone. Sa ferme ostréicole, qu’elle dirigeait avec Aïssata et un collectif de femmes sénégalaises, fonctionnait déjà à plein régime et nous étions les premières à inaugurer ses bungalows destinés à accueillir des voyageuses désireuses de s’initier à l’ostréiculture. Vanina en avait profité pour me remercier de lui avoir soufflé cette dernière idée.

Nous étions vraiment contentes de nous revoir car avec Charlotte en Australie, Vani en Afrique et Emma toujours entre Cologne, Kourou et Paris, ces occasions étaient devenues rares. D’autant que nous limitions volontairement nos déplacements. Seule Marlène était restée en poste à Paris, fidèle à sa banque et moi au Cap Ferret, même si entretemps je m’étais reconvertie.

31 décembre 2030 – 18:00. Nous sommes ponctuelles au rendez-vous malgré les distances, sauf Marlène. Fraichement débarquée de sa capsule, Emma apparait mi-figue, mi-raisin. Vanina est rayonnante et Charlotte tient dans ses bras sa nouvelle mascotte : Fifi, un bébé koala orphelin de deux mois.

Vanina dégaine la première. « Salut les girls. Alors Emma, maintenant que tu as vécu l’expérience de ta vie, c’est quoi la suite ? ». « Les extrêmes comme d’hab ! ». Emma marque un temps d’arrêt avant d’ajouter « ce que j’ai observé d’en haut est terrifiant. L’eau monte inexorablement. Le réchauffement climatique est toujours à l’ordre du jour et ce n’est pas d’avoir ouvert la route maritime du Nord trois-cent-soixante-cinq jours par an qui a amélioré la situation. Avec quelques scientifiques, nous allons partir en mission en Arctique afin d’étudier quelles seraient les nouvelles solutions les plus appropriées pour réduire la fonte de la banquise ».

Charlotte intervient. « On dirait moi il y a dix ans ! Certes les eaux montent et certains humains continuent de faire n’importe quoi, mais regarde ce qui a été accompli au cours de la dernière décennie… Un petit pas pour l’humanité mais un grand pas pour les prises de conscience ! Et à notre échelle, je te rappelle que nous y contribuons ».

L’image de Marlène apparait au beau milieu de notre conversation. « Je profite d’une pause entre deux cours pour vous faire un petit coucou. Alors les girls, ça va ? ». « Nickel, trop contente de te voir » lance Vanina. « Nous aussi », répondons-nous en chœur. Emma enchaîne « Alors quand est-ce que tu nous convies à l’inauguration de ton nouveau centre ? Je rêve déjà d’un bon massage Tui Na ! ». « Dans quatre mois et rassurez-vous, vous serez mes premières patientes VIP. J’ai trop hâte de pouvoir exercer ! ».

L’échappée belle

Marlène est une miraculée. Tout a basculé peu de temps après nos retrouvailles à Somone. Elle menait une vie dont beaucoup auraient rêvé : un poste à responsabilité dans une banque d’affaires internationale, un mari attentionné et deux enfants brillants. Puis le diagnostic terrible était tombé : leucémie. Marlène est une battante que rien ne semble atteindre. Mais son état s’était vite dégradé tout comme sa vie : plus de job, plus de mari – Jean-Pierre l’avait quitté pour une femme de dix ans sa cadette - et des enfants complètement perdus au milieu de la tourmente. Jusqu’à ce jour de printemps 2026 où son médecin lui avait annoncé qu’il ne lui restait que trois semaines à vivre. Nous étions effondrées.

Je suis alors sortie de ma réserve. « Marly, tu ne peux pas abandonner. Ce type est un gros connard et tu vas lui prouver qu’il a tort ». Je suis allée chercher Marlène chez ses parents à Nantes et nous avons fait le voyage jusqu’à Bordeaux pour rencontrer un énergéticien réputé. Elle n’était que l’ombre d’elle-même.

J’ai toujours été très réservée sur l’efficacité de la médecine classique qui, dans bien des cas, ne fait que servir les intérêts financiers des laboratoires. Les débats enflammés sur la chloroquine et la course à un hypothétique vaccin pendant la pandémie de la Covid-19 en avaient été une illustration flagrante.

Un mois plus tard, alors que Marlène aurait déjà dû être morte, je la ramenais pour un second rendez-vous avec l’énergéticien. Elle y reviendrait huit fois et entre temps ferait la connaissance de Karl, un patient zurichois avec qui elle continuerait sa route. Une fois guéris, Karl avait décidé d’investir dans un centre entièrement dédié à la médecine chinoise au cœur des montagnes suisses, tandis que Marlène s’était lancée dans l’apprentissage de cette discipline aux multiples facettes et terminait sa dernière année à Pékin. Elle exercerait dès l’an prochain. Charlène poursuit : « Et toi Eva ? Quel est ton prochain projet ? »

La naturelle

Des cinq, je suis celle qui est restée en France, là où j’ai construit ma vie. J’aime par-dessus tout créer et aller à la rencontre des autres. C’est donc tout naturellement que j‘avais choisi la communication. En trente ans d’expérience j’avais acquis une parfaite connaissance de ce métier. Jusqu’au jour où la Covid-19 s’invita sur ma trajectoire. Pour la première fois de ma vie, je me retrouvais du jour au lendemain en chômage partiel car je combinais alors deux handicaps de taille : être responsable de l’événementiel dans le secteur aéronautique.

De toute façon la communication, telle qu’elle était devenue digitale et déshumanisée, me m’intéressait plus. Lorsque j’ai repris six mois plus tard, je savais déjà que ce ne serait que temporaire.

Aujourd’hui je dirige SoNatCamp, un concept d’hébergement pour voyageurs en quête d’un tourisme écoresponsable et de moments de partages authentiques. Dans mes cabanes du Cap Ferret, en pleine nature, je les initie à la sylvothérapie. A Somone au Sénégal, les ostréicultrices de Vanina sont heureuses de partager leur savoir-faire avec d’autres femmes néophytes. Ses bungalows font fureur. Quant aux éco-lodges de Charlotte, implantés dans le Dunggir National Park, ils ne désemplissent pas. Petits et grands viennent découvrir des espèces inédites et apprennent à respecter l’environnement dans lequel ils évoluent.

Sourire en coin, je réponds à Charlène. « Ce n’est pas demain que je vais pouvoir prendre ma retraite, avec vos futurs igloos écolos sur la banquise et vos bulles transparentes dans les alpages… Sans oublier mon nouveau roman !».

« Tu t’es remise à écrire ? C’est quoi le thème cette fois ? » demande Charlotte. « Il s’agit du portrait de cinq amies inséparables au caractère bien trempé qui, dans les années 2020, vont chacune se remettre en cause avec pour objectif de donner un vrai sens à leur vie tout en apportant une pierre à l’édifice de la sauvegarde de notre planète. Il s’intitulera la cour des Grandes ».



Agnes Martin

Communications Director GBU Avionics, Executive Committee Member Thales Avionics

3 ans

Quelle belle découverte ! Un vrai plaisir de te lire !

J’aime bcp bcp ! Merci Jocelyne pour ce partage !

Identifiez-vous pour afficher ou ajouter un commentaire

Plus d’articles de Jocelyne Amoros

Autres pages consultées

Explorer les sujets