La croustillante révolution insectivore

La croustillante révolution insectivore

    Pendant longtemps, dans mon esprit, les insectes ont rimé avec symphonie sauvage [imaginer ici une petite mélodie bucolique], celle d’une belle fin d’après-midi d’été, celle qui nous berce d’un certain dolce farniente et contribue à un moment de communion totale avec la nature. La nuit, rien de plus exaltant que de s’endormir en entendant les grillons chanter les étoiles… [arrêt de la mélodie bucolique ; début de musique sinistre] Cela dit, loin de cette vision romanesque, certains entretiennent des relations pour le moins compliquées avec le monde grouillant des insectes sous toutes ses formes, l’assimilant à une nuisance aux airs de cauchemar, surtout quand l’on se pose en citadin irréductible !

    J’ai donc longtemps aimé les insectes musiciens de la nature. Puis, le Mexique apparut dans ma géographie personnelle. Le pays a le don de s’emparer de vos sens, de faire chavirer vos certitudes, vous obligeant parfois à remettre en question tous vos paradigmes de vie. Y compris, bien entendu, la question culinaire. En effet, avant, mes papilles gustatives se portaient fort bien, savamment dressées suivant des normes gastronomiques bien précises, legs d’une tradition qui n’avait plus à faire ses preuves. En effet, la cuisine française n’a-t-elle pas toujours été une valeur sûre et LA référence à niveau mondial ? Eh bien, les saveurs mexicaines ont fait voler en éclats cet establishment alimentaire en apportant un exotisme parfois audacieux en termes d’ingrédients. Et dans cette catégorie-là, les insectes se hissent au tout premier rang.

    Parce que j’ai toujours été adepte de me « perdre » dans d’autres cultures pour mieux retrouver mon identité, voici mon humble parcours initiatique avec au menu des insectes comestibles. Etonnamment, au-delà de la perspective gastronomique, s’est profilé une écologie d’avant-garde, le tout imprégné de culture et même, pourquoi pas, d’un brin de spiritualité. Mettons-nous donc à table, l’esprit ouvert, l’estomac courageux !

L’entomophagie : un ingrédient d’avenir qui nous relie au passé

    Grâce à la diversité des écosystèmes du Mexique, les insectes sont au menu depuis quelques millénaires déjà, à l’image d’autres peuples d’Asie, d’Afrique et d’Amérique Latine. Le Codex Florentin (1558-1577) répertoriait déjà 96 espèces comestibles, abondantes et faciles de se procurer, contre plus de 300 aujourd’hui, ce qui place le Mexique à la pointe en termes de consommation d’insectes. Les cultures préhispaniques non seulement les savouraient quotidiennement, mais les utilisaient également pour soigner divers maux d’ordre respiratoire, nerveux, circulatoire et même osseux.

    Les états du sud, centre et sud-est, descendants des peuples zapotèques, mixtèques et mayas sont aujourd’hui les principaux producteurs et consommateurs d’espèces qui comprennent entre autres pucerons, scarabées, papillons, mouches, sauterelles, vers, punaises et œufs ou larves. Leur consommation, loin d’être considérée comme un « dernier recours », obéit à des goûts et à des coutumes vernaculaires.

    Petit plaidoyer en faveur de l’intégration des insectes dans un régime alimentaire : en plus d’être goûteux, la saveur et texture de chaque variété est particulière. Les insectes sont nourrissants et sains, propres et abondants, possédant un taux élevé de (bonnes) graisses, protéines, vitamines, fibres et minéraux. D’un point de vue strictement écologique, ils sont une source alimentaire renouvelable qui se reproduit facilement, mange moins que les vaches, porcs ou moutons, ne provoque pas d’effet de serre, occupe moins d’espace. La disponibilité des insectes dépend de la saison et du lieu, dans une symbiose avec les écosystèmes et les cycles naturels tels ceux de la lune, de la floraison d’une espèce ou la migration d’un animal. D’après la FAO, l’entomophagie est l’une des solutions viables pour la survie alimentaire de l’humanité…

    Il ne reste donc plus qu’à dépasser tout préjugé, se mettre à table et faire son choix pour s’initier à l’entomophagie…

 Chapulines: les petites bêtes les plus célèbres du Mexique

    Les sauterelles, communément connues sous l’appellation de chapulines (littéralement « bestiole qui sautille comme une balle de caoutchouc » en nahuatl), sont un bon point de départ pour l’insectivore néophyte. Ils peuplent surtout les états de Oaxaca, Chiapas, Hidalgo et les vallées centrales. Servis en botanita hors-série, ils sont généralement grillés puis salés et saupoudrés de piment piquin et de quelques gouttes de citron, préparés en quesadilla, ou encore mélangés à un guacamole. Afin de pleinement apprécier leur saveur végétale (sans la distorsion du piment), on les consomme nature. Les âmes sensibles opteront pour les insectes plus petits, afin de ne pas se laisser impressionner par leur aspect. Dans un registre innovateur, réduits en poudre, les chapulines constituent une base idéale pour confectionner du pain ou même des biscuits.

Où s’en procurer : Très communs sur les étals des marchés, les chapulines sont également vendus en vrac dans les camionnettes de Oaxaca qui jalonnent les rues de Mexico et dans la rue. Pour un touch gourmet, on les retrouve facilement au menu de plusieurs restaurants, parés de créativité. La farine de chapulín peut être commandée auprès de www.griyum.com.mx Saison : juin à août

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Axayácatl et ahuautle : comme une mouche dans la soupe

   Les chroniques des conquistadors faisaient déjà état de l’existence de la mouche aquatique axayácatl, péchée sur les rivages du lac de Texcoco. Elle était non seulement offerte à la divinité du feu Xiuhtecutli, mais aussi consommée par Moctezuma en guise de petit déjeuner. Les Espagnols l’adoptèrent pour le jeûne des vendredis de Carême. L’on disposait sur les berges du lac des feuilles de maïs pour récolter les œufs d’axayácatl appelés ahuautle (« amarante de l’eau ») consommés eux aussi grillés.

    Malgré la pollution actuelle du lac de Texcoco et l’épuisement de l’eau qui en font une espèce en voie de disparition, axayácatl et ahuautle sont tous deux encore prisés de nos jours. Leur odeur est plutôt pénétrante et leur goût semblable à celui de la crevette. Ainsi, ils agrémentent les romeritos du Carême et de la Saint Sylvestre.

Où s’en procurer : Au Mercado San Juan, au marché de La Merced et dans divers petits restaurants de spécialités à Mexico : Ayluardo’s à Iztapalapa, Bar Chon, dans le Centro. Saison : de juillet à octobre

Chinicuiles ou gusanos de maguey : croustillants et goûteux

   Lorsqu’on salive en pensant à des tacos, c’est rarement des vers qui nous viennent à l’esprit. Pourtant un taco de chinicuiles (« ver de piment » en nahuatl) nappé de salsa molcajeteada est irrésistible ! Il s’agit des larves d’un fléau qui s’attaque au maguey, récoltées au cours de la saison des pluies. Si les chinicuiles sont populaires principalement dans la Vallée del Mezquital (Hidalgo), ils se retrouvent souvent au fond de bouteilles de mezcal et ou broyés avec du sel pour assaisonner les sauces. Ils font l’objet (involontaire) d’une sympathique expression pour qui n’arrive pas à rester en place : Pareces chinicuil en comal (« Tu ressembles à un chinicuil sur une plaque de cuisson »).

Où s’en procurer : Au Mercado de San Juan (Mexico), mais aussi dans les marchés d’Hidalgo et de Tlaxcala. Les sels de la marque « Sal de aquí » sont un excellent moyen d’initiation, l’air de rien. Saison : août et septembre (frais), mais aussi déshydratés le restant de l’année

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Escamoles : le summum

   Les larves de la fourmi güijera sont à la gastronomie mexicaine ce que les escargots sont à la gastronomie française. Pour dénicher ce mets délicat qui gît à 2 ou 3 mètres sous terre dans les états d’Hidalgo, Tlaxcala et Guanajuato, il faut affronter la féroce combativité de l’insecte ! Ceci en limite la production et fait grimper son prix, d’où son appellation de « caviar » local. D’apparence laiteuse, les escamoles ont une saveur subtile et légèrement sucrée, qui épousera celles de la sauce avec laquelle on les prépare, généralement du beurre et de l’herbe epazote

Où s’en procurer : sur toutes les bonnes tables de la ville de Mexico Saison : mars et avril, les mois les plus chauds

Jumiles : recherchés morts ou vifs

   Plus grands qu’une fourmi, mais plus petits que leurs congénères sautillants, les jumiles sont un élément identitaire dans le Guerrero et le Morelos. Ces punaises seraient originaires de l’inframonde, une croyance qui remonte aux peuples préhispaniques chontales et tlahuicas. En effet, elles incarnent les âmes des défunts qui viennent rendre visite à leur descendance. D’ailleurs, dès la fête des morts en novembre, il est commun de voir les habitants de Taxco redescendre du temple dédié exclusivement au jumil sur le Cerro del Huixteco en portant dans un petit sac en plastique aéré toute la « famille » qui, soit dit au passage, sera ensuite consommée (…).  Mais ne nous encombrons pas de scrupules au risque de ne rien goûter ! Une fois grillées, les petites bêtes atterrissent soit dans un taco, soit dans un comal sur le feu afin de condimenter les plats. D’autres seront dûment assommées dans le molcajete pour agrémenter une sauce de leur saveur proche de la menthe et de la cannelle. Pour qui se sent une âme d’aventurier (et un estomac blindé), il est tout à fait possible de consommer les jumiles crus, auquel cas il faut savoir être plus rapide que la bête et croquer dedans d’un franc coup de mâchoire.

Où s’en procurer : sur les étals des marchés de Taxco, au marché de San Juan à Mexico Saison : de novembre à février

Ver cuchamá : un rêve inachevé de papillon

   La région de Zapotitlan Salinas, nichée au cœur de la réserve de la Biosphère de Tehuacán-Cuicatlán (Puebla), possède une splendeur minérale et végétale depuis des temps immémoriaux. A l’ombre des palo verde, entre serpents et scorpions, depuis des siècles se cueillent par centaines les larves du papillon, juste avant les grandes pluies. De récentes études agroalimentaires leur ont trouvé des propriétés nutritionnelles intéressantes en particulier sous forme de farine. Mais actuellement, leur consommation est strictement locale, que ce soit en friture, au mojo de ajo (« à l’ail ») ou bouillies avec du piment chiltepín. On trouve également du cuchamá déshydraté, mélangé à du sel de la région pour une meilleure conservation. On en profitera aussi pour goûter la punaise cocopache, autre spécimen du coin ayant survécu à l’époque Jurassique, et qui vit désormais sur l’arbre mezquite

Où s’en procurer : sur les puestitos (« étals ») des restaurants à Zapotitlán Salinas Saison : juillet à septembre

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Fourmi chicatana : un croustillant régal

   Attraper une chicatana n’est pas une mince affaire, sa morsure étant douloureuse… pourtant cela ne l’empêche pas grands et petits d’attraper la reine des fourmis cuatalatas lorsqu’elle s’aventure hors du nid dès les débuts de la saison des pluies dans la région mixtèque (Puebla, Guerrero, Oaxaca). Jadis, son apparition était une funeste prémonition, surtout lorsqu’on la retrouvait près d’une flamme de foyer. Aujourd’hui, appréciées non seulement salées et fumées pour accompagner un verre de mezcal, les chicatanas se servent aussi en sauce, en tamales, ou dans un bouillon. Grâce à leur goût corsé, elles s’invitent là où on ne les attendait pas vraiment. En effet, je garde en mémoire le dessert le plus insolite, succulent et divin qui m’ait été donné de goûter, à base de chicatanas au subtil goût de grains de café torréfié, mélangées à des éclats de fèves de cacao et du sorbet de banane. L’imagination culinaire se débride…

Où en trouver : au marché San Juan à Mexico, mais aussi et surtout à Hidalgo, Chiapas, Oaxaca et Veracruz. Saison : à partir de la fin juin, autour de la festivité de la Saint Jean

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Scorpion : la délicatesse du désert

   Dernier élément d’un courageux baptême du feu, et non le moindre : le scorpion. Il faut certainement dépasser les préjugés, s’armer de courage (et peut-être d’un petit verre de mezcal ou de tequila) pour trouver les qualités gustatives de ce redoutable arachnide… Les habitants de Durango ont apprivoisé toute appréhension en l’enveloppant d’un simple taco. Il peut aussi se déguster pané, frit ou au beurre. Et pour adoucir la chose, il est même proposé enrobé de chocolat ou en sucette. Les interprétations sur sa saveur sont plutôt partagées suivant les sensibilités gustatives. Cela va d’un vague goût au poulet jusqu’au crabe en passant par un arrière-goût de bacon. Pour ma part, je penche pour la graine de pop-corn qui n’a pas pu éclater… 

Où s’en procurer : à Durango, dans les restaurants. A Mexico, dans les marchés de Coyoacán et de San Juan Saison : mars et avril, les mois les plus chauds

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