La Fed et ses privilèges de Banque Centrale de première puissance mondiale

La Fed et ses privilèges de Banque Centrale de première puissance mondiale

Les mesures annoncées par la Réserve Fédérale (Fed) vont être indispensables à court et moyen terme pour permettre aux marchés financiers et à l’économie américaine de passer le choc sanitaire. Mais les conséquences à long terme de ce soutien hors normes risquent de durablement déstabiliser la première puissance mondiale. Explications.

La Fed a pris une nouvelle fois la décision de monétiser la dette américaine. En d’autres termes, toutes les mesures de prêts lancées par le gouvernement américain pour faire face à la crise sont assumées par la banque centrale. En achetant sur le marché obligataire des dettes d’Etat ou en finançant à hauteur de $600 mds les PME et de $500 mds les collectivités locales, l’institut monétaire finance l’ensemble des mesures mises en place par le trésor américain.

Ainsi, la Fed, en prêtant à l’Etat de manière directe ou indirecte, augmente de facto la base monétaire. C’est donc une monétisation que la Fed mène pour faire face au risque économique qu’engendre le choc sanitaire. La mesure n’est pas récente, déjà fin 2008, elle lançait un vaste programme d’assouplissement monétaire en récupérant des dettes publiques.

Le risque théorique de ce type de mesures est de pousser les pressions inflationnistes à la hausse et de faire apparaître une réelle menace sur le change déclenchant la dépréciation de la devise du pays concerné. Mais, concrètement, on a vu que lors de la précédente crise financière, l’inflation n’est pas repartie et que le dollar n’a subi aucune tension particulière sur le marché des changes, bien au contraire.

L’intervention indispensable de la Fed …

Mais, rappelons-nous, que ces mesures dites non conventionnelles, avaient été rendues possible par la contrainte indispensable de leur caractère exceptionnel. Le risque sous-jacent de dérives budgétaires avait été clairement identifié. Les Etats risquaient d’avoir un recours massif à l’emprunt si les banques centrales monétisaient systématiquement les dettes publiques. Ces actions se devaient donc d’être rares et transitoires. A ce stade, il convient de reconnaître que le choc sanitaire peut être interprété comme un cygne noir. Le Covid 19 a été, en effet, un événement imprévisible avec des conséquences considérables et exceptionnelles. Dans ce contexte, l’ensemble des pays développés a réagi rapidement en lançant des mesures de grande ampleur. A court terme, ces actions collectives en matière de policy mix semblent indispensables pour éviter le pire et répondre à l’urgence.

Mais, il demeure un risque à plus long terme qui ne peut être négligé. La Fed va de nouveau accroître de manière exponentiel son bilan. Actuellement, elle le remplit de tous types de créances d’entreprises, publiques et privées, de grandes firmes mais aussi de PME, disposant de structures solides pour la plupart mais aussi de structures financières plus fragiles (high yield).

Ce mécanisme qui vise à soutenir l’économie dans cette phase inédite, va aussi détériorer, de facto, le déficit public et la dette américaine. Pour 2020, le consensus sur la croissance américaine n’est guère réjouissant. Les Etats-Unis seront en récession enregistrant une forte contraction du PIB. Or, dans ce contexte, le risque de faillites va croître. Les aides de l’Etat ne pourront rien face à un chiffre d’affaires qui s’effrite invariablement. Déjà 17 millions d’américains ont fait une demande d’allocations chômage en moins d’un mois. Nombreuses vont être les entreprises américaines à devenir insolvables. Au niveau macroéconomique, le risque de pertes en chaîne va se traduire par une destruction de capital pour les détenteurs de ces actifs. Rappelons que les ménages américains sont très investis en bourse.

La Fed, en achetant tous types d’actifs, va se retrouver aussi avec une hausse du taux de défaut dans son bilan. Toutefois, étant à la tête de la politique monétaire de la première puissance mondiale, elle peut se permettre d’effacer ces dettes pour soutenir l’économie.  Mais en théorie, elle prend aussi le risque de décrédibiliser sa monnaie. Elle ne peut indéfiniment procéder à ce type de mécanismes sans finir par perdre en crédibilité et subir l’ire des autres banques centrales, notamment celles qui respectent les règles de politique monétaire.

… réveil douloureux à la clé

En outre, la monétisation de la dette rend indispensable la crédibilité de la politique budgétaire. Les mesures prises par le gouvernement américain doivent permettre de remettre les acteurs économiques sur pied pour que les entreprises et les ménages soient à même de payer leurs impôts. Ces recettes fiscales sont indispensables pour financer les dettes contractées.

Les marchés financiers vont alors à terme évaluer l’efficacité de ce policy mix à l’américaine. Il ne serait pas surprenant, que les agents économiques dits rationnels, finissent par remettre en cause l’insoutenable déséquilibre du modèle économique américain qui repose significativement sur une dette financée par sa banque centrale. Jusqu’à aujourd’hui, le système tient bon, faute de concurrents de taille. Mais, la Chine est entrée dans la course. La guerre économique et financière sera sans doute longue, les américains disposent encore de quelques cartouches.

Pour autant, il ne faut pas perdre à l’esprit que le financement de la première puissance mondiale repose sur la confiance que le reste du monde lui accorde et lui envie. 


T. Romaric ZEIDA

Contrôleur Financier Régional chez JA Delmas

4 ans

Article très intéressant mais je pense qu'il en est de même pour la BCE, la Banque de Japon etc qui procèdent a des achats massifs de dettes publiques. Je partage votre avis tant que le dollar constituera une valeur refuge pour le reste du monde, les américains n'auront pas de soucis pour leurs dettes et continueront a financer leurs déficits publics par de la dette. D'ailleurs quand est il du Japon qui a fin 2019 a une dette qui représente plus de 240% de son PIB et qui a lancé récemment son plan de relance a plus de 900 milliards d'euros qui sera financé presqu'a 100% par de la nouvelle dette. Je crois que les autres pays développés exception peut être de l'Europe s'inspireront des USA et du Japon pour financer leurs déficits et plans de relance économique par leurs banques centrales !!!! Ne sommes nous pas dans ce cas "dans du deux poids deux mesures"? Là où certains luttent avec des plans d'austérité imposés qui mettent à mal leurs économies d'autres se permettent allègrement d'augmenter de façon exponentielle leurs dettes???

Salim Ouar

Relationship Manager I Deutsche Bank Wealth Management

4 ans

Je pense que les mesures non conventionnelles deviendront bientôt le nouveau conventionnel sur l'ensemble des pays développés, où les poussées ont plus tendance à être désinflationnistes voire déflationnistes. Par ailleurs comme vous l'avez mentionné, pour l'instant rien ne peut détrôner la confiance des investisseurs en l'économie US. Après tout, tant que le dollar restera la monnaie du libre échange les Etats-Unis pourront continuer de monétiser selon leur bon vouloir.

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