La guerre juste, hélas.
La guerre juste est un vieux concept, souvent vilipendé. A revisiter aujourd’hui, sans joie, mais sans faux semblant. Ne pas assumer la situation de guerre dans laquelle nous sommes c’est encourager l’agresseur. N’est-ce pas ce que nous faisons ?
Poutine pense que l’Occident lui a déclaré la guerre depuis longtemps. À lui personnellement ainsi qu’à la Russie, ce qui revient au même à ses yeux. Dans sa vision paranoïaque du monde le soutien occidental aux manifestants de Maidan a été le déclencheur de son délire sur les complots de l’Occident. Dans ce contexte la recherche d’un apaisement avec lui est non seulement immorale mais aussi impossible. Comment des dirigeants démocratiques ont-ils pu se discréditer en essayant de dialoguer avec un dictateur qui met son pays en coupe réglée et qui fait assassiner ses opposants politiques ? Comment ne pas voir que dans sa pathologie le peuple ukrainien n’est qu’un vassal, comme hier la Tchétchénie ou la Géorgie et peut-être demain les pays baltes.
Pour lui le monde est un endroit où seuls les plus forts doivent régner. Les seules règles du jeu qu’il acceptera sont les siennes, celles que ses soudards ont imposées à Butcha. Voilà un illuminé qui se prend pour Pierre le Grand et qui veut mener au 21ème siècle une guerre du 20ème avec des objectifs du 19ème. Aucune concession, aucune ouverture diplomatique, aucun compromis diplomatique ne l’arrêtera. Il joue sur le temps long. Hier en doublant son armée de milices sanguinaires, aujourd’hui en stoppant l’exportation de céréales indispensables à la sécurité alimentaire mondiale, demain en usant de l’arme nucléaire tactique. Ce risque-là fait peur, j’en conviens. Mais faut-il pour autant jouer les autruches : je parierais que l’arme nucléaire sera bientôt utilisée sur le terrain. Quand serons-nous prêts à regarder ça en face ? A trop finasser, en combattant par personne interposée, en livrant de façon très sélective des armes indispensables, en évoquant à voix basse les concessions que l’Ukraine devra faire le jour venu, comme l’a fait l’illustre Kissinger… nous encourageons le délire impérial du nouveau tsar. Comment ne pas méditer le fiasco des accords de Minsk en 2015 : combien furent ridicules ceux qui ont cru alors à la bonne foi du Kremlin ! Les Allemands en tête, si longtemps biberonnés au gaz russe. Quant à La Chine, de son côté, elle est en embuscade : toute faiblesse en Ukraine sera exploitée pour attaquer Taïwan. Elle a compris ce que valent les Tartarin occidentaux quand elle a réussi à étrangler Hong Kong sans réaction internationale.
Le moment viendra ou les responsables devront rendre des comptes. Le crime d’agression, hélas oublié depuis Nuremberg, devrait être revisité : non seulement cela serait légitime dans le cas présent mais essentiel pour l’avenir de la paix. Car en matière de crime contre l’humanité celui-là les contient tous.
Le peuple russe est sous le joug d’une clique mafieuse qui n’est pas sans rappeler Arturo Ui. Tant qu’il n’en sera pas libéré il sera perméable au messianisme imbécile et agressif de la pire des propagandes. Nos dirigeants, engoncés dans une paresse induite par une longue période de paix ne voient pas que seule une défaite militaire de Poutine pourra ramener un semblant de sécurité en Europe[1]. Ils devraient se poser une seule question : à quoi ressemblera le monde si demain la Russie gagnait cette guerre !
Comment ne pas voir que l’avenir de l’Europe se joue sur le Niepr ? Et qu’il est sombre. À quoi sert en effet la construction de l’Union Européenne si elle s’avère incapable de parler d’une voix unique dans ces circonstances dramatiques ? À quoi servent ces institutions, ces diplomates, ces tsunamis règlementaires et ces beaux discours si l’Union n’a pas la force nécessaire pour donner un coup d’arrêt à la menace d’un dictateur illuminé ?
Recommandé par LinkedIn
Mais pour rompre l’escalade il faudrait encore s’en donner les moyens, parler franc, ne plus tergiverser et reconnaître la triste vérité : nous sommes en guerre. Et même si nous ne voulons pas nous l’avouer : il y a des guerres justes. Le reste ne sera que bavardage et capitulation.
Bernard ATTALI.
[1] Jonathan Little. Tract. De l’agression russe. Gallimard.
PDG Cassegrain Paris / Pilote FALCON
1 ansBelle démonstration !!! Malheureusement…
Arbitrator FCIArb. and Mediator / Attorney-at-Law (New York), Adv. E. (Paris)
1 ansTotalement d’accord avec cette analyse, qui rejoint celle faite par Nicolas Tenzer il y a dix ans, et qu’il prêchait alors dans le désert.