La libération de Bruxelles - Extraits du journal de Joseph Pholien
Les jours précédents le 3 septembre 1944
Le quartier de l’avenue de l’Astronomie et du boulevard Botanique avait un caractère infiniment pittoresque. Le charroi était considérable. Il était composé non seulement de voitures et de camions appartenant à l’armée allemande et se dirigeant vers l’est, mais les voitures françaises et belges conduites par des gens dont la conscience politique n’était pas transparente erraient également fiévreusement pour tenter de se mettre à l’abri de la colère des patriotes. Ces voitures automobiles faisaient songer, mais cette fois avec le sourire, au lamentable défilé des réfugiés de 1940. C’était également, comme alors, des voitures pleines de voyageurs, de valises, de colis, de matelas sur le toit etc.
Quant au charroi militaire, certains avaient peut-être abusivement peint la voiture d’une grande Croix Rouge, d’autres avaient orné le toit de branchages. On aurait à certains endroits pu se croire en présence de la forêt de Macbeth. Le magnifique massif de rhododendrons qui était une des gloires de l’avenue Louise avait été saccagé pour fournir aux fuyards un moyen de camouflage. Mais ce qu’il y avait de curieux à observer c’était surtout l’air satisfait et goguenard des promeneurs qui étaient nombreux et qui se rappelaient 1940.
Nous partîmes souper dans un très modeste bistrot « chez Hubert » rue du Progrès. Le spectacle était plein d’intérêt car on discernait les deux courants d’opinion : ceux qui espérait la victoire et la délivrance et ceux qui étaient en passe de s’enfuir vers quelque destin mystérieux, mais certes nullement prometteur.
Le spectacle de l’avenue de Tervuren était plus saisissant encore que celui du Botanique. C’était tout l’écrasement de ce que comportait une armée en retraite qui se dirigeait vers Louvain. On se trouvait en présence d’une véritable cour des miracles : à côté de voitures d’officiers qui avaient évidemment belle allure, se mouvaient avec lenteur et bruit des autos tenant à peine ensemble et dont le radiateur lançait des volutes de fumée. Il y avait du charroi hippomobile traîné par des chevaux fourbus, affamés, ankylosés, presque incapables de plier les genoux. On remarquait que dès qu’une place n’était plus occupée par un militaire, il se trouvait une valise ou même des objets de toute nature servant de butin à l’ennemi. Il y avait aussi pas mal de cyclistes montés sur des vélos de toutes qualités, il en était même qui roulaient sur la jante, le pneu dégonflé. Toute cette troupe circulait à une allure d’enterrement, freinée dans son élan et par les encombrements qui se manifestaient régulièrement et par la pitoyable qualité du charroi.
Dimanche 3 septembre 1944
La radio avait annoncé que Tournai avait été libérée. Revenant avenue de Tervuren, j’appris que le Palais de Justice avait été incendié et l’on pouvait en montant à la mansarde se rendre compte de la gravité du sinistre.
La soirée commençait à tomber. Le défilé de l’ennemi en fuite s’amenuisait. Il était resté devant la maison deux voitures automobiles allemandes avec antenne munies d’appareils d’émission radiophonique. On entendit brusquement un bruit de mitraillage dans le Parc du Cinquantenaire, les voitures allemandes se mirent en marche et disparurent. Ce fut la dernière image de l’ennemi que ma mémoire m’a conservé.
Une vague inquiétude régnait partout et l’avenue de Tervuren était absolument déserte, ni charroi, ni piétons. La nervosité était grande et l’on s’attendait à tout moment à voir apparaître les Alliés. Vers 11 heures du soir surgit une première alerte, mais on s’était trompé.
Lundi 4 septembre 1944
A une heure du matin, on entendit un bruit de moteur venant du boulevard Saint Michel ; en un clin d’œil, tout le monde fut dehors et l’avenue de Tervuren, comme le boulevard Brandt Witlock, étaient noirs de monde. Les premiers chars alliés revêtus d’une étoile peinte en couleur blanche appartenaient à l’armée britannique. Cris de joie, acclamations, baisers, applaudissements, fleurs, cigarettes, chansons populaires anglaises, tout cela témoignait de l’enthousiasme de la population et je crois vraiment que les alliés reçurent à Bruxelles l’accueil le plus délirant qu’ils ont rencontré au cours de tous leurs déplacements.
On a raconté le lendemain qu’à l’avenue des Nations, les scènes avaient été les mêmes mais qu’un individu avait offert un bouquet à un char allié, bouquet contenant une grenade. Celle-ci avait explosé et avait mortellement blessé la femme de mon Confrère Albert Leclecq. Faut-il le dire, on ne dormit guère dans la nuit du dimanche au lundi 4.
Je décidai de rejoindre mon domicile avenue Brugmann. Cela devait prendre un certain temps compte tenu de ce que la circulation des trams était interrompue. J’arrivai place Poelaert. Le Palais de Justice brûlait encore. Je fis une brève incursion dans la salle des Pas Perdus qui était inondée d’une couche d’eau d’une trentaine de centimètres. Je vis une choses surprenante : sur ce mammouth qui paraissait être construit dans des matériaux défiant le temps, des flammes longeaient les murs de soubassement soutenant la coupole, flammes se déplaçant comme des feux follets et qui consumaient vraisemblablement les matériaux de revêtement de qualité médiocre que l’on avait utilisé 50 ans plus tôt. La place Poelaert était noire de monde. On faisait la chaîne pour transporter au ministère de la Justice des livres appartenant à la bibliothèque du Barreau ou des Cours, le public était très énervé, tenait des propos vengeurs destinés à sévir contre ceux qui avaient faillis.
Rentrant chez moi, j’ai eu une nouvelle vision de ce que menaçait d’être la répression. Je vis une voiture automobile montée par trois personnes revêtues de salopettes avec fermeture éclair, armés de fusil mettant en joue, sans l’ombre d’un motif, le paisible passant que j’étais. Ces gens donnaient l’impression d’être haletants et particulièrement énervés.
Avenue Louise, j’ai vu jeter par la fenêtre les meubles appartenant au notaire Brunet qui avait été échevin rexiste, le public y mettait joyeusement le feu et j’entendis une vieille personne des Marolles grondant une de ses compagnes qui voulait emporter l’un ou l’autre objet pour son usage personnel : « Vous ne pouvez pas toucher à cela. Ce sont les effets de collaborateurs », comme si tout ce qu’on avait soumis à l’autodafé était par soi-même corrompu.
On sentait qu’à côté de ceux qui agissaient avec un sentiment de justice, il s’en trouvait d’innombrables qui se laissaient guider par la haine, haine personnelle ou haine de classe. Beaucoup d’ailleurs qui avaient eu pendant la guerre une conduite douteuse profitaient du tumulte des premiers jours pour tenter de se refaire une vertu.
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5 ansBravo ma mere americaine et grecque et resistante m en a parle. Mon pere dans la royal navy et aussi resistant.