La passion de la complication
Simplification de l'administration, des procédures, de notre expression, de notre vie, de nos besoins, de nos désirs, de nos relations...si nous souhaitons autant simplifier c’est bien parce que tout est compliqué, surtout en France, le pays du millefeuille administratif, de l’orthographe dont la règle est l’exception, des acronymes pour tout et n’importe quoi, de l’empilement incessant des lois, des niches fiscales et autre comités Théodule…
La simplicité a ainsi ce statut paradoxal d'être repoussante pour nous-même mais recherchée chez les autres
Il semblerait que nous goûtions peu aujourd’hui cet appel à la simplicité : c’est qu’en effet pour nous “l' homme simple” est peu cultivé, a des centres d’intérêt limités et des manières rudimentaires. Quand nous disons « ce sont des gens simples » nous ne sommes pas loin de dire qu’ils sont stupides et ignares.
Dire de personnes qu’elles sont « simples » permet sans frais de nous hausser à un niveau de sophistication plus élevé. La simplicité a ainsi ce statut paradoxal d'être repoussante pour nous-même mais recherchée chez les autres : nous aimons les gens simples parce qu'ils sont faciles à comprendre, faciles à vivre, à manipuler et contrôler aussi probablement, prévisibles et inoffensifs.
Mais nous, nous ne voulons pas être simples : nous voulons être "complexes" car cette complexité est synonyme de sophistication, d'intelligence, de paradoxes, de subtilité et donc de soi-disant profondeur.
Ascèse de la simplicité
La simplicité relève pourtant d'un idéal d'ascétisme, d'un effort pour supprimer ce qui dépasse, ce qui est en trop. Dans la tradition chrétienne, la simplicité est liée à la pureté, à l'unicité, à l'innocence. "Heureux les pauvres d'esprit car le royaume des cieux est à eux" (Matthieu, 5).
"Rien de trop" est la deuxième maxime apparaissant au fronton du temple de Delphes, après le "connais-toi toi-même", paraît-il. L’expression est en tous cas avérée et reprise dans la Grèce antique dans plusieurs textes, condamnant l’excès sous toutes ses formes.
Spontanément, donc sans travail, les choses vont plutôt vers le désordre, vers l'entropie et la multiplicité alors que la simplicité à l'inverse est un principe d'organisation, d'unification. Simplifier c'est donc lutter contre une tendance naturelle au chaos, à la profusion, à la dispersion, à l’éparpillement “façon puzzle”.
Il en va de la nature comme de l’esprit : si nous n’organisons pas nos idées, elles menacent de se bousculer au portillon de la conscience et de saturer notre esprit.
Simplifier un discours c’est le synthétiser, le clarifier, le déterminer, donc in fine permettre de le partager et de l’examiner afin de l’approfondir
La complication permet de se cacher en se drapant sous les oripeaux de l’intelligence
Un discours compliqué est difficilement critiquable car on ne sait pas par quel bout le prendre, on ne sait pas ce qu’il dit, quelle est son essence ou l’intention de son auteur, ce qui revient au même. C’est pour cela que les sophistes et leurs avatars modernes, les politiciens en tous genre (et il n’y a pas que des hommes politiques dans cette catégorie), i.e. les individus dont le pouvoir repose sur la parole, valorisent la complication. Elle permet de se cacher, de se draper sous les oripeaux de l’intelligence, au risque de s’y perdre soi-même et toute crédibilité il est vrai, ce qui en reste l’écueil principal.
Simplifier c'est bien souvent supprimer, éliminer, trier, donc choisir, donc renoncer et donc aussi élaborer des critères de sélection que l’on peut aussi nommer « valeurs ».
Cela n'a l’air de rien comme cela mais simplifier peut devenir très compliqué : c'est revenir à l'essence de la chose alors que nous avons tendance à nous perdre et nous noyer dans les détails.
Confort de la complication
Cette perte a ceci d'ailleurs de confortable qu'elle nous permet de nous cacher, de ne pas prendre position et d'apparaître de surcroît comme riche, généreux, complexe voire profond et brillant. Et ceci rien qu'en suivant une pente naturelle du moindre effort. La complication est une forme de paresse intellectuelle de celui qui “multiplie sans nécessité les concepts” et viole la loi du Rasoir d’Ockham, car il ne sait pas les distinguer, les comparer, les classer. C’est “le compliqué” que l’on devrait prendre pour un idiot, pas “le simple”.
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Les philosophes en particulier rebutent le grand public, à juste titre la plupart du temps, car leur discours est compliqué, alambiqué voire impénétrable et jargonnesque par exemple des auteurs tels Heidegger ou Hegel. Ce dernier pourrait d'ailleurs avoir la palme de la pensée absconse. Un philosophe aussi et surtout devrait œuvrer à la simplicité de son discours s'il prétend à l'utilité de sa parole… Si certains philosophes pensent qu'il faut inventer de nouveaux concepts et n’hésitent pas à abuser de néologismes, d'autres pensent heureusement que la philosophie ne consiste qu'à démêler l'obscur du clair afin de ne pas se "laisser impressionner" par la pompe du jargon technique. Wittgenstein était de ceux-ci, qui dénonçait les élucubrations de la métaphysique et voyait le travail du philosophe comme celui d’un « démêleur des nœuds de l’esprit ».
Socrate, qui pour le coup se retournerait dans sa tombe en voyant tous ceux qui, se réclamant de son héritage, font pourtant le contraire de ce qu’il prônait à longueur de journée, irritait au plus haut point les “beaux parleurs” parce qu'il les interrogeait sur un seul mot de leur discours et leur demandait d’être concis dans leur réponse. Ils ne pouvaient alors plus s'échapper et se plaignaient d'être pris dans les rets de ces questions qui « déchiquetaient » leur discours. Socrate les forçait à la simplicité et au positionnement clair de leur pensée, les dépossédant de leur pouvoir d’éloquence.
Mais quel plaisir pour le lecteur qui arrive enfin à y voir clair et à séparer le bon grain de l'ivraie. Socrate était un homme simple dans le bon sens du terme : sans chichi, sans amour de la nuance, sans duplicité mais non sans ambiguïté puisqu'il maniait l'ironie avec brio.
Simplifier sa pensée
Qu'en est-il alors de notre pensée ? Est-il souhaitable d'avoir une "pensée simple", de « penser simplement » ?
Dans la tradition philosophique on aime bien partir du “sens commun”, donc en général simple car compréhensible par tout un chacun. C'est en partant d'une réflexion simple que l'on pose des questions et aperçoit les problèmes que l'idée initiale recèle. Cela nous conduit à de nouvelles questions et des réponses que nous étayons par des arguments. Ces réponses sont liées entre elles par des concepts et des connecteurs logiques. L'ensemble doit procéder d'une construction rationnelle ce qui ne veut pas nécessairement dire objective. Si on y va doucement et méthodiquement il n'y a pas de raison que l'ensemble soit compliqué. La complication s'invite subrepticement à mesure que les abstractions s'empilent les unes sur les autres sans exemple concret pour les arrimer à la terre ferme de l’expérience : l'ensemble s'envole alors dans l'éther et ne parle plus qu'à quelques initiés déconnectés. Elle survient également lorsque des associations d’idées se font gratuitement, sans être mises à l’épreuve de la preuve et amènent la pensée à glisser, à dévier jusqu’à perdre le lien avec l’idée initiale.
Dans la consultation philosophique nous n'avons pas le loisir de nous envoler si haut car la question du béotien nous rappelle toujours à l'exigence de simplicité. Il s'agit que chacun comprenne, au moins une partie de ce qui est avancé.
Voici quelques raisons pour lesquelles nous recherchons la simplicité dans ce type du dialogue :
- les questions simples sont efficaces car on peut y répondre sans apport de connaissances extérieures et laissent un champ ouvert pour diverses perspectives de réponses, y compris lorsque la réponse est de type oui/non (questions alternatives).
- la simplicité oblige à revenir à l’essentiel au détriment de l’accessoire en décomposant une idée complexe en ses constituants élémentaires. Si un des éléments n'est pas clair ou faux alors il est inutile d'examiner la totalité.
- la simplicité est un point de départ nécessaire pour toute élaboration ultérieure qui peut ajouter de la complexité à une idée : des détails, des approfondissements sur les causes ou les conséquences, des liens avec d'autres idées, des objections.
- simplifier c’est opérer des choix et accepter de renoncer à notre avidité naturelle qui nous pousse à vouloir « tout dire » et rend notre discours confus.
- la simplicité prend la forme d'un concept synthétique qui exprime l'essence d'une idée et reconstitue l'unité d'un discours et donc l'intention de celui qui le prononce. En simplifiant on retrouve l’idée de l’auteur.
La simplicité agit ainsi dans cette pratique comme un idéal régulateur : elle traduit le souci que nous avons de constamment produire une pensée claire pour autrui, déterminée et authentique.
Et si vous voulez simplifier votre pensée, essayez une consultation philosophique (lien en commentaire).
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1 ansJ'avais fait mien ce constat d'Antoine de St Exupéry : "“La perfection est atteinte, non pas lorsqu'il n'y a plus rien à ajouter, mais lorsqu'il n'y a plus rien à retirer.” Et éprouvé la difficulté de la mettre en application par moi-même. Une consultation philosophique avec Jérôme LECOQ vous amène "tout simplement" à aller à l'essentiel vous concernant. Pas toujours confortable, mais terriblement efficace. J'en avais même fait un article de blog : Le coaching philosophique, plus fort qu’un RV chez le psy ! % (moniquepierson.com)