La théorie du ruissellement

La théorie du ruissellement

Les inondations de Juillet 2021 en Belgique, Allemagne et Chine mais aussi en Angleterre et en Inde ont provoqué des dizaines de milliards d’euros de dégâts. Ces ruissellements pluvieux ont aussi fait des centaines de victimes. Ces dommages sont-ils évitables ?

On accuse facilement le dérèglement climatique. Mais le principal responsable de ces inondations dramatiques n'est il pas le dérèglement du ruissellement, également provoqué par l’activité humaine?

Le dérèglement climatique est un coupable parfait pour celui qui ne veut rien changer à court terme. Ce n’est la faute de personne en particulier mais de tout le monde en général et qui peut aujourd’hui quantifier l’incidence du dérèglement climatique sur les événements pluvieux extrêmes qui se produisent régulièrement sur la planète? 

Les pluies de juillet 2021 observées en Europe et en Asie, n’ont, à priori, rien d’anormal au regard des chroniques historiques. On observe des évènements climatiques comparables depuis plusieurs siècles. Par contre, l’occupation des sols a été significativement modifié ces dernières années avec des conséquences directement appréciables sur les ruissellements:

  • Au niveau des bassins versants : Imperméabilisation, drainage agricole, suppression des zones humides et assainissement pluvial,
  • Au droit des champs d’inondation et des zones de divagation naturel des cours d’eau : Remblaiement des zones d’expansion des crues et construction de bâtiments et d’infrastructures sensibles dans les vallées.

L’homme a perturbé le ruissellement naturel amont et il s’est logiquement établi, à l’aval, dans les vallées et les zones littorales plus plates, et plus facilement constructibles. Les événements climatiques extrêmes mettent en évidence la précarité de certaines de nos infrastructures modernes et notre méconnaissance des risques.  

 Réduction de la vulnérabilité vs réduction de l’aléa

Le risque est un croisement entre un aléa (artificiel ou naturel) et la présence d’enjeux (humains ou matériels).

Pour réduire le risque, on peut et on doit agir sur ses deux composantes:

  • Pour réduire l’aléa inondation, il conviendrait de restaurer le cycle naturel de l’eau mais ce travail sera très progressif compte tenu des préjudices durables provoqués par l’aménagement des territoires ruraux et urbains.
  • Pour réduire la vulnérabilité, il faut sortir les infrastructures sensibles des zones inondables. C’est techniquement plus simple car cela ne concerne qu’une petite partie des zones aménagées (Les fonds de vallée inondable ou les axes drainant préférentiels dans les zones densément urbanisés). 

Avant aménagement de nouvelles infrastructures, il faudrait comprendre le fonctionnement du ruissellement, de l’infiltration et des débordements (Diagnostic de l’Aléa) puis rendre compatible le projet avec les processus de ruissellement naturel (Réduction ou adaptation de la vulnérabilité). 

Quelle est le plus difficile à porter politiquement : La réduction de l’aléa ou la réduction de la vulnérabilité ?

La promesse de la réduction de l’aléa inondation par création d'ouvrages de protection (digues, bassins de rétention, enrochements des berges, batardeaux géants) est politiquement porteuse. Cela génère une économie pour les entreprises de travaux publics et les grands projets structurants sont ostentatoires.

Il est par contre délicat de mettre en œuvre des programmes de suppression/ déplacement de bâtiments ou d’infrastructures hors zones inondables ou de désimperméabilisation des sols. Rien de moins visible politiquement que la reconstitution ou la conservation d’une zone humide naturelle!

Et pourtant en terme d’efficacité économique, les stratégies de réduction de vulnérabilité sont souvent beaucoup plus rentables. En moyenne et d’après les compagnies d’assurance, les investissements dans la Prévision et la Prévention permettent des retours sur investissement 5 à 10 fois supérieurs aux travaux de Protection lourde.

Il faudrait donc sérieusement réévaluer les solutions de réduction de l’aléa qui consistent à renvoyer le problème chez le voisin ou le reporter plus à l’aval en perturbant encore plus les dynamiques naturelles de transport liquide, biologique et solide. Nous avons les outils pour mesurer ces impacts : Simulations hydrauliques, sédimentaires et biologiques mais aussi retour d’expériences nombreux.  

A l'instar des crash tests pour les véhicules, des "dry tests" et des "flood tests" pour les infrastructures, permettraient de mesurer à la fois leur résistance et leur incidence.

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 Le retour de la culture du risque

Pour sortir des cercles vicieux provoqués par les grands projets d’aménagement qui perturbent au final de plus en plus le cycle de l’eau, la culture du risque est primordiale. Chaque élu, chaque aménageur mais aussi chaque riverain doit avoir conscience du risque inondation comme du risque sécheresse. On doit collectivement et individuellement modifier nos comportements pour mieux prévoir et anticiper les crises : Respecter le fonctionnement naturel des cours d’eau et mieux connaitre son environnement. Réapprendre les gestes qui sauvent pendant les crises : Ne pas prendre sa voiture, rester à l’étage, fermer l’électricité…

La culture du risque permet de se reconnecter à la nature. Respecter les zones de débordements naturels et arrêter désespérément de les contraindre.

 Le ruissellement solide

Même si elle est chère à notre président, la théorie du ruissellement n’est pas qu’économique, le ruissellement est évidemment liquide mais le ruissellement est aussi solide. Comme en témoigne les dernières inondations en Allemagne ou les glissements de terrain en Inde, les cours d’eau et les pluies transportent aussi des quantités colossales de matières solides. L’activité humaine a également modifié de très anciens équilibres morphologiques en créant des barrages, en creusant des gravières ou en remblayant les zones d’atterrissement. Comme en témoigne les images venues d’Allemagne ou d’Inde après le passage de crues morphogènes, les conséquences peuvent être dramatiques : Érosion brutale, glissement de terrain.

Il faudra certainement introduire les « espaces de divagation ou liberté morphologique » dans les futures Plan de Prévention des Risques Naturels car ces phénomènes prévisibles sont trop souvent oubliés.

 La fin de l’expertise cloisonnée pour mieux comprendre le ruissellement?

Malgré le progrès scientifique, on ne maitrise pas les effets dominos causés par l’activité humaine sur les équilibres naturels. Il est nécessaire d’être humble car les déréglements des équilibres naturels (Climat, ruissellement, bio-diversité) et leur évolution sont imprévisibles.

Nous avons longtemps cru pouvoir adapter la nature à notre développement économique or on s’aperçoit chaque jour un peu plus qu’il faut faire l’inverse : Dans un premier temps comprendre la nature, puis nous adapter à son fonctionnement.

Quand on aménage une route : On augmente le ruissellement qui va aggraver les inondations, on supprime l’infiltration qui va favoriser les sécheresses, on facilite la circulation de véhicule et indirectement le rejet des gaz à effet de serre, on crée un obstacle à la continuité écologique, on génère des nuisances sonores, …   Pour connaitre la rentabilité réelle de cette route, il faut intégrer sa "dette environnementale" dans l'approche financière du projet.

Les nouveaux outils numériques utilisant les technologies LIDAR, les couches d’information SIG et les retours d’expériences de terrain peuvent nous aider à évaluer les impacts transversaux et globaux du dérèglement du ruissellement.

Comme en témoigne les derniers travaux du GIEC, il sera délicat d’enrayer rapidement le dérèglement climatique. On peut par contre immédiatement enrayer le dérèglement du ruissellement et limiter son incidence négative.

Thomas ADELINE

consultant-fondateur @taconseils.fr #tac

3 ans

Jean-hugues Juillard A la suite des "économistes atterrés" je propose de créer le cercle des "hydrauliciens atterrés". Le but : promouvoir l'idée d'une réduction du risque inondation sans tomber dans la facilité (et l'erreur) du "c'est la faute du dérèglement climatique".

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