L'article 47-1 de la constitution : que vaut la nouvelle arme du gouvernement ?
À l’heure où la réforme des retraites attise les tensions, entre l’ardeur des manifestants et des agissements outranciers de députés, une curiosité institutionnelle pose question. Dans cet imbroglio politique et médiatique, l’article 7, l’article central de la réforme qui repousse l’âge de départ à la retraite, n’a pas pu être discuté à l’Assemblée nationale ! L’examen s'est arrêté avant la lecture de l’article 3, après deux semaines de débats. Le texte n’a pas été voté par les députés mais il est passé au Sénat. Les discussions y débuteront le 28 février en commission et le 2 mars en séance publique.
Si les débats se sont arrêtés là, sans vote de la part des députés, c’est en vertu de l’article 47-1 de la Constitution invoqué par le gouvernement.
Que dit la Constitution ?
“Article 47-1
Le Parlement vote les projets de loi de financement de la sécurité sociale dans les conditions prévues par une loi organique.
Si l'Assemblée nationale ne s'est pas prononcée en première lecture dans le délai de vingt jours après le dépôt d'un projet, le Gouvernement saisit le Sénat qui doit statuer dans un délai de quinze jours. Il est ensuite procédé dans les conditions prévues à l'article 45.
Si le Parlement ne s'est pas prononcé dans un délai de cinquante jours, les dispositions du projet peuvent être mises en œuvre par ordonnance.
Les délais prévus au présent article sont suspendus lorsque le Parlement n'est pas en session et, pour chaque assemblée, au cours des semaines où elle a décidé de ne pas tenir séance, conformément au deuxième alinéa de l'article 28.”
Concrètement, que veut dire cet article ?
L’article 47-1 décrète qu’un projet de loi de financement de la sécurité sociale est un texte de loi organique, cela implique des dispositions particulières du processus législatif.
En plus du fait que la commission ne soit consultée que pour avis, l’Assemblée Nationale ne dispose que de 20 jours pour débattre, amender et voter le projet de loi. Même si les députés ne sont pas allés au bout de cet examen, le texte est transmis au Sénat à l’issue de ces 20 jours - c’est ce qui s’est passé avec le texte de la réforme des retraites. Le Sénat dispose alors de 15 jours pour statuer sur le projet de loi.
Après le temps de lecture écoulé dans les deux chambres, le gouvernement fait se réunir une Commission Mixte Paritaire (CMP).
Si la CMP n’aboutit pas dans un délai maximum de 50 jours (à compter du début de l’examen du texte à l’Assemblée), alors le gouvernement a le droit de statuer par ordonnances (un règlement qui n’a pas besoin d’être validé par le Parlement).
Si la CMP aboutit à un texte, celui-ci fait l’objet d’une seconde lecture à l’Assemblée. Lors de cette seconde lecture, seuls les amendements validés par le gouvernement peuvent faire l’objet d’un débat et d’un vote.
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En tant que loi organique, le texte fait l'objet d’une relecture par le Conseil constitutionnel. Celui-ci peut retirer du texte toutes les dispositions qui ne seraient pas d’ordre budgétaire. Pour la réforme des retraites, cette relecture constitue un point d’incertitude pour le gouvernement car les mesures concernant la pénibilité pourraient se voir retoquées.
Une nouvelle arme dans l’arsenal du gouvernement
Introduite par le gouvernement Juppé à l’occasion de la réforme constitutionnelle de 1996, l’article 47-1 a été conçu pour accélérer les rectifications du budget de la sécurité sociale. C’est en ce sens que cet article a été utilisé en 2011 et 2014 pour des rectifications de second plan du budget de la sécurité sociale.
Ovni politique, action inédite pour réformer les retraites, l’invocation de l’article 47-1 agit comme un bouclier contre l’obstruction parlementaire. Elle limite le temps d’étude du texte par le Parlement. La stratégie d’usage du dépôt de milliers d’amendements censés ralentir le mouvement gouvernemental est alors inutile. L’obstruction parlementaire devient contre-productive. La réduction du temps d’étude du texte par le Parlement rend aussi le moment politique moins propice à une forte mobilisation de la rue et permet de détériorer le moins possible l’image gouvernementale.
47-1, le nouveau 49-3 ?
L’article 47-1 devient une alternative au 49-3 qui jouit d’une image plus que délétère dans l’opinion publique. De plus, l’utilisation de l’article 47-1 peut se doubler de l’utilisation du 49-3 ! Et ce, sans utiliser l’unique cartouche de la session parlementaire (le gouvernement n’a le droit qu’à un seul 49-3 sur l’équivalent de l’année scolaire pour les députés) car il s’agit d’un texte budgétaire pour lesquels il n’y a pas de limite à l’utilisation du 49-3.
Autre avantage de taille du 47-1, il n’ouvre pas la possibilité aux oppositions de déposer une motion de censure qui pourrait renverser le gouvernement.
Le nouveau rapport de force en Commission Mixte Paritaire
Le texte étudié en CMP est le texte du Sénat, il dépend donc de la majorité sénatoriale des Républicains. Rappelons que les sénateurs n’ont pas les mêmes stratégies que leurs homologues de l’Assemblée. Pour faire court, contrairement au Palais Bourbon, les discussions pourraient aller au bout de tous les articles au Palais du Luxembourg. Cela devrait laisser le soin à la majorité sénatoriale de modifier le texte à sa guise.
Une Commission Mixte Paritaire est composée de 7 députés et 7 sénateurs choisis proportionnellement en fonction des groupes politiques. Cela veut dire que la composition d’une CMP en 2023 avec la XVIème législature de l’Assemblée et avant les élections sénatoriales est composée de 5 parlementaires des Républicains, 4 membres affiliés ou proches de la Nupes, 3 parlementaires Renaissance et un député du Rassemblement National. Les parlementaires des Républicains sont donc en situation de majorité relative en CMP.
Cela instaure un nouveau rapport de force en faveur des sénateurs LR même si pour la réforme des retraites, la position des sénateurs LR semble se rapprocher très fortement de celle des députés Renaissance.
Pour être promulgué, le texte devra achever son parcours du combattant en franchissant les deux derniers obstacles du vote par la majorité des députés et l’exigeante relecture par le Conseil constitutionnel. Malgré l’utilisation de cette arme secrète, le chemin est encore long avant la victoire finale du gouvernement.
Docteur en droit (PhD) - Avocat au Barreau de Paris / Lawyer at the Paris Bar - Associé/Partner NCS AVOCATS
1 ansCher Benjamin CHKROUN, sur le sujet, et à toutes fins utiles, l’analyse de Benjamin Morel au JCP G du 30 janvier 2023.
Administrateur national UNICEF France et Président comité UNICEF Île de France. Franchisé McDonald’s.
1 ansTrès intéressant 🤔 merci
Associé chez corioLink | Affaires Publique
1 ansAmélie Lebreton Pierre ALIBERT CorioLink