Le Couronnement de Napoléon
Pleinement empereur depuis le sénatus-consulte du 18 mai 1804, Napoléon souhaita que la prestation de son serment constitutionnel ait pour cadre un lieu prestigieux. Après avoir écarté Saint-Louis des Invalides et le Champ-de-Mars, il imposa Notre-Dame, tout en ajoutant aux aspects civils une célébration religieuse avec, en prime, la présence du pape à ses côtés. Mais ce sacre et ce couronnement napoléoniens ne pouvaient relever de la même symbolique que ceux des rois de France, ne serait-ce que parce que l’empereur républicain n’était pas un monarque très-chrétien reproduisant un rite le reliant à des ancêtres millénaires. Il voulut toutefois en récupérer la majesté et les allégories. Pour complaire aux révolutionnaires les moins sourcilleux (les autres ne pouvaient plus être convaincus), tout fut cependant composé pour alléger le poids de l’intervention de Pie VII qui avait accepté de se rendre à Paris et espérait y renégocier le Concordat. Les moments cruciaux de la cérémonie devaient être le couronnement proprement dit, dont le Pontife ne serait qu’un témoin, et la prestation de serment, véritable motif de la solennité, à laquelle il n’assisterait pas. On tissa donc un cérémonial neuf, rappelant simplement les règles passées.
Le 2 décembre 1805, Paris s’éveilla sous la neige et par un froid d’une dizaine de degrés sous zéro. Avant l’aube, le préfet de Police Dubois avait lancé dans la ville une myriade d’ouvriers chargés de déblayer les voies avant d’y jeter du sable. Rien ne devait être négligé pour garantir le bon déroulement de la journée. Lentement, le dispositif conçu sous la houlette du maître des Cérémonies Ségur se mit en place. Les troupes habillées de neuf formèrent une haie sur trois rangs tout au long du trajet qu’allaient emprunter les cortèges de l’empereur et du pape pour se rendre des Tuileries à Notre-Dame. Entre 15 et 20 000 personnes avaient été invitées à prendre place dans la cathédrale, selon un protocole d’une impitoyable précision. La plupart d’entre eux étaient des agents de l’Etat, mais ce qu’on n’appelait pas encore la « société civile » était tout de même un peu représentée : présidents et vice-présidents des chambres de commerce et des sociétés d’agriculture et députations coloniales. Tous devaient se ranger en fonction de leurs rangs et grades. Des campagnes et villes de province étaient venus figurer la Nation : les représentants des grandes municipalités et ceux des conseils d’arrondissement et généraux, les préfets, les sous-préfets, les commandants des divisions militaires et leurs adjoints. Les élites du centre du pouvoir ne manquaient pas non plus à l’appel : sénateurs, législateurs, tribuns, conseillers d’Etat, maréchaux, généraux, ministres du culte, y compris vingt représentants des églises protestantes. Les portes de la cathédrale avaient été ouvertes dès six heures du matin. Les invités pouvaient admirer le décor dessiné par Percier et Fontaine pour masquer les dégradations subies par le monument pendant la Révolution et, déjà, deux orchestres, une fanfare, les chœurs et les solistes, soit 400 exécutants, accordaient leurs notes pour exécuter tout à l’heure des compositions de Paisiello, de Le Sueur et de l’abbé Roze.
A neuf heures, les dix voitures du cortège du pape quittèrent les Tuileries. Une heure et demie plus tard, il arriva à l’archevêché, où Pie VII revêtit les ornements pontificaux avant d’entrer dans l’église glacée. Il prit place sur son trône et, comme tout le monde, attendit. Entre dix et onze heures, le couple impérial partit à son tour pour la cathédrale, au sein d’un cortège de vingt-cinq voitures traînées par cent cinquante-deux chevaux, escorté de six régiments de cavalerie, par les rues Saint-Nicaise, Saint-Honoré et du Roule, le Pont Neuf, le quai des Orfèvres, les rues Saint-Louis et du Marché Neuf. Cette tournée par des boyaux étroits du vieux Paris fit prendre un retard conséquent à la cavalcade. Une fois parvenus sur le parvis de Notre-Dame, Napoléon et Joséphine gagnèrent à leur tour l’archevêché pour se changer. Ils se présentèrent enfin à la porte de l’église où les accueillit le nonagénaire cardinal de Belloy. Ils entrèrent dans le chœur un peu avant midi. Il y avait une heure et demi que Pie VII patientait.
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La cérémonie proprement dite dura trois heures. Son déroulement avait été soigneusement négocié entre les représentants du pape et de l’empereur. On était convenu que Napoléon ne communierait pas, qu’il se couronnerait lui-même et que le Saint-Père se retirerait dans la sacristie, pour ne pas avoir à assister au serment constitutionnel qui rappelait les idées de la Révolution et, surtout, faisait explicitement référence au Concordat. Tout se passa ainsi qu’il avait été prévu et, aux environs de trois heures de l’après-midi, le canon du champ de Mars annonça aux Parisiens que la cérémonie se terminait. Napoléon avait été ondoyé, béni une quinzaine de fois, avait lui-même placé une somptueuse « couronne de Charlemagne » sur sa tête puis couronné Joséphine. Le pape s’était retiré et le serment avait été prononcé, la main sur l’Evangile : « Je jure de maintenir l'intégrité du territoire de la République ; de respecter et de faire respecter les lois du Concordat et la liberté des cultes ; de respecter et faire respecter l'égalité des droits, la liberté politique et civile, l'irrévocabilité des ventes de biens nationaux ; de ne lever aucun impôt, de n'établir aucune taxe qu'en vertu de la loi ; de maintenir l'institution de la Légion d'honneur ; de gouverner dans la seule vue de l'intérêt, du bonheur et de la gloire du peuple français ». Le héraut d’armes avait alors prononcé la formule rituelle : « Le Très Auguste et Très Glorieux Empereur Napoléon, Empereur des Français, est couronné et intronisé. Vive l’Empereur ! ». Les différents cortèges purent dès lors quitter la cathédrale. Pour le retour aux Tuileries, celui de Napoléon traversa de nouveaux quartiers : rues du Pont-Neuf, du Marché Neuf, de la Barillerie, Pont-au-Change, place du Châtelet, rue Saint-Denis, place de la Concorde jusqu’au pont Tournant pour arriver au palais vers six heures et demi du soir. La nuit étant tombée, le parcours avait été illuminé de flambeaux, lampions et feux de Bengale, les façades des immeubles étaient décorées de tapisseries, de draperies, de papiers peints ou de guirlandes. Les spectateurs manifestaient certes de l’enthousiasme mais l’interminable attente par une température toujours aussi glaciale l’avait un peu refroidi.
La fête populaire marquant le couronnement eut lieu à partir du lendemain. Dès l’aube, des salves d’artillerie invitèrent les Parisiens à y participer. Vers dix heures, commencèrent dans les rues des jeux forains et des représentations théâtrales, des concerts et des défilés de chars. Une grande aubade suivie d’un lâcher de ballons fut donnée à midi devant les Tuileries et un grand feu d’artifices tiré du pont de la Concorde à dix heures du soir. Le troisième jour des réjouissances fut consacré « aux armes, à la valeur, à la fidélité » avec la remise des Aigles aux députations des armées et des gardes nationales, sur le Champ-de-Mars. Les banquets et audiences solennelles se succédèrent ensuite à un rythme soutenu : les présidents des conseils généraux, les préfets, les sous-préfets, les députés des colonies, les maires des trente-six principales villes, les présidents de cantons et les vice-présidents des chambres de commerce, les présidents de consistoires protestants furent reçus tour à tour dans la Galerie de Diane, le 7 décembre. Le lendemain, les députations des corps de l’armée de terre et de mer, des gardes d’honneur et des gardes nationales, soit près de sept mille hommes, furent réunies dans la grande galerie du Musée Napoléon (Louvre) pour un hommage et une prestation de serment. A partir du 11 décembre, les fonctionnaires publics s’empressèrent d’aller signer le procès-verbal de la cérémonie. Tous reçurent une médaille commémorative, tandis qu’à l’extérieur des palais, on continuait à amuser le peuple pour une fête de deux semaines.
Malgré cette profusion de festivités, Napoléon fut déçu par son sacre et son couronnement. La joie populaire avait été tiède. Les oppositions se moquaient de cette pompe et déplorait les dépenses engagées, ce qui allait obliger -fait rare- le palais impérial à communiquer les « vrais » chiffres. Les républicains critiquaient la présence du pape et les royalistes le peu de place qui lui avait été fait. A vouloir ménager toutes les tendances, parfois par des détails de protocole difficiles à déchiffrer, l’empereur avait échoué à faire de la solennité du 2 décembre un événement lisible par le plus grand nombre. Ceci explique probablement pourquoi il ne parla pratiquement plus de son sacre, au moins jusqu’au mariage avec Marie-Louise puis la naissance du roi de Rome, nouvelle ère de grandes cérémonies dynastiques. Certes, on célébra « le jour du couronnement » tous les premiers dimanches de décembre, à partir de 1806, mais, dans les esprits, cet anniversaire était confondu avec celui de la bataille d’Austerlitz. C’est en réalité trois semaines après la cérémonie de Notre-Dame que l’empereur l’enterra en lui déniant toute valeur pour sa légitimité. Il n’y fit pas allusion, le 27 décembre 1804, dans son discours d’ouverture de la session du Corps législatif. Quelques instants plus tard, le ministre de l’Intérieur Champagny vint lire l’Exposé sur la situation de l’Empire français. Il expliqua alors que le sénatus-consulte du 18 mai et le plébiscite de l’été 1804 étaient les événements fondateurs de la monarchie impériale : « Dès ce moment, Napoléon a été au plus juste des titres empereur des Français. Nul autre acte n’était nécessaire pour constater ses droits et consacrer son autorité ». Le 2 décembre n’avait été, dit-il, qu’une façon de « rendre à la France ses formes antiques ». La messe, les prières et « Napoléon prosterné au pied des autels qu’il vient de relever » n’avaient été nécessaires que pour donner de la « pompe » et, subsidiairement, appeler sur la France « le regard de l’Eternel ». Le moment fort de la cérémonie avait été le serment « immuable qui assure l’intégrité de l’Empire, la stabilité des propriétés, la perpétuité des institutions, le respect des lois et le bonheur de la nation » Et, enfonçant le clou, le ministre de l’Intérieur acheva sa péroraison par ces mots : « Le serment de Napoléon sera à jamais la terreur des ennemis et l’égide des Français ».
Chief Environmental & Social Responsibility Purchasing Officer - Groupe ADP
1 ansLa question à se poser étant à mon humble avis : quelle est l'utilité sociétale d'une monarchie au XXIème siècle ? 😉
Retired from RENAULT.
1 ansDe plus, Napoléon s’est couronné tout seul, il n’a besoin de personne !!! 😜