Le forçat du bitume

Le forçat du bitume

On ne peut être qu’admiratif devant les exploits sportifs de Pierre Levegh qui, lors de l’édition 1952 des 24 Heures du Mans, pilota seul sa Talbot-Lago T26 GS Spider pendant près de 23 heures, l’amenant aux portes de la victoire mais devant renoncer à quelques encâblures de l’arrivée sur casse moteur. Ou encore celui d’Henri Pescarolo privé de coéquipier achevant la nuit du 28 au 29 septembre 1968 sur le même circuit, sans essuie-glace alors qu’il tombait des trombes d’eau à bord de sa Matra MS 630 M, bien conscient que chaque tour pouvait être le dernier de sa vie mais ne levant pour autant pas le pied. Ou enfin la performance de Jacky Ickx en 1977 toujours au Mans, ramenant sa Porsche 936 du fond du classement sur la plus haute marche du podium en multipliant les relais et en avalant tous les concurrents les uns après les autres. Mais alors, que penser de celui de François Lecot qui, du 22 juillet 1935 au 26 juillet 1936, inscrira plus de 400 000 km au compteur kilométrique de sa Citroën 11 AL, roulant sur les routes de France par tous les temps, parcourant quotidiennement les 1170km d’un même trajet (départ tous les matins de Lyon vers 4 heures du matin, arrivée tantôt à Paris tantôt à Monaco vers midi… pour varier les plaisirs, et retour dans la foulée vers Lyon), conduisant 10h d’affilée et dormant à peine 4h par jour ? Pour situer la valeur de l’exploit, parcourir aujourd’hui 1000 km sur autoroute à bord d’une voiture moderne confortable, climatisée et bourrée d’assistance en une journée nous paraît déjà éreintant. Abattre la même distance quotidiennement durant une année entière de jour comme de nuit, qu’il vente, pleuve ou neige, derrière le volant d’une avant-guerre sur un réseau routier bien différent du nôtre ne pouvait être réalisé que par un titan au sommet de sa forme physique, dans la fleur de l’âge. Absolument pas le portrait de François Lecot, un petit bout d’homme mesurant 1,5m à peine et âgé de 57 ans lorsqu’il prit le départ de ce record ! A l’arrivée, notre homme aurait pu connaître la gloire. Ce qui l’attendit fut un drame : la perte de son fils René âgé de 29 ans qui trouva la mort le 25 septembre de la même année aux commandes de son avion de chasse Nieuport-Delage 62 qu’il convoyait de Saint-Raphaël à Lyon en s’écrasant à Saint Bonnet Le Froid, une localité aux limites de la Haute-Loire et de l’Ardèche. François Lecot ne se remit jamais de cette perte. Il finit sa triste vie ruiné bien des années plus tard à l’hospice des retraités d’Albigny dans l’oubli le plus total. Pour ce seul record dûment homologué, François Lecot qui signa bien d’autres exploits, dont une participation au rallye de Monte-Carlo en 1934 au volant… d’un autocar Citroën type 45 ( !), méritait bien qu’on s’intéresse à lui au travers de ces quelques lignes. Chapeau, le héros…

 

Philippe Doucet

Journaliste chez Politique Internationale

1 mois

Incroyable, ce François Lecot, héros méconnu.

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