Le trafic illicite des biens culturels dans le monde met en péril notre patrimoine culturel

Le trafic illicite des biens culturels dans le monde met en péril notre patrimoine culturel

SYNOPSIS: Pour lutter efficacement contre ce fléau la communauté internationale doit se mobiliser et s’impliquer avec l'ensemble des acteurs et des décideurs en matière de trafic illicite, en renforçant la coopération internationale dans la lutte contre le trafic des biens culturels. Cela passe par : la sécurisation des sites du patrimoine culturel, le renforcement de la coordination , et la concertation nationale et locale entre les Etats parties.. La vulgarisation et l’application des textes législatifs et réglementaires permettent d'assurer la protection, la gestion et la promotion du patrimoine culturel mondial. 

La destruction de la cité antique de Palmyre aujourd’hui

Les sites archéologiques font l’objet d’un pillage systématique et le trafic de biens culturels a atteint des proportions sans précédent. La protection du patrimoine culturel, est indissociable à la protection des vies humaines elle doit faire partie intégrante de l’action humanitaire et des efforts de consolidation de la paix.

La destruction d’un patrimoine aussi précieux soit il , porte gravement atteinte à l’identité et à l’histoire d'un peuple et de l’humanité toute entière et sape pour longtemps les fondements de la société. 

Elle contribue à la perte de la mosaïque sociale, les joyaux historiques, classés au patrimoine mondial effacent une partie de l'histoire de l'Humanité et constituent à la fois une tragédie culturelle mais aussi des crimes de guerre au regard du statut de Rome.

Dans ce contexte , nous citerons les vestiges de Palmyre dans la cité antique située dans le centre de la Syrie, qui sont d'une valeur inestimable. Vieux de plus de 2.000 ans, les ruines de ce qui fut une ville richissime, capitale marchande du Moyen-Orient, sont le seul exemple au monde d'un style original né du mélange des cultures locales, perses, gréco-romaines et islamiques.

Ce symbole nodal entre Orient et Occident, ou prés de deux milles sites archéologiques et culturels datent de l’antiquité fait l'objet de trafic illicite.

Ces sites gravement endommagés transformés en champs de bataille , comme à Palmyre, ou nous avons: (le Crac des Chevaliers, l’église de Saint Siméon dans les villages antiques du nord de la Syrie, la citadelle d’Alep…) ; qui sont utilisés à des fins militaires , ne doivent pas oublier les obligations du droit international, en particulier : (la Convention pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé signée à La Haye en 1954 ainsi que le droit international humanitaire coutumier).

Le patrimoine historique et archéologique du Proche-Orient se trouve donc aujourd’hui menacé de disparition.

Cette région, qui possède des richesses archéologiques innombrables, est dans une situation de conflit où la sauvegarde et la conservation de son patrimoine ne sont pas une priorité. La première conséquence est la perte irrémédiable pour l’humanité de cet héritage culturel commun.

La communauté internationale prend conscience de ce danger , qui a fait l'objet dernièrement d'une résolution du conseil de sécurité 2347 (2017), elle encourage les États Membres à élaborer « une large coopération policière et judiciaire » à cette fin, avec l’aide de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), d’INTERPOL et de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO).

Il est demandé aux États Membres de prendre des mesures pour « empêcher et combattre » le commerce illicite et le trafic des biens culturels ou « à valeur archéologique, historique, culturelle, scientifique ou religieuse » qui ont été enlevés en période de conflit armé.

Autre image de désolation de la destruction et du pillage dans la cité antique à Palmyre

Dans ce contexte , les Etats parties doivent poursuivre le processus de mesures qui consistent à:

I-adopter des mesures de protection sur leur territoire :

  • élaborer une législation nationale appropriée
  • établir des services nationaux pour la protection du patrimoine culturel
  • promouvoir les musées, les bibliothèques et les archives
  • établir des inventaires nationaux
  • encourager l’adoption de codes de conduite à l’intention du marché de l’art
  • développer des programmes éducatifs afin de sensibiliser au respect du patrimoine culturel

II-contrôler la circulation des biens culturels :

  • instituer un système de certificats d’exportation
  • interdire la sortie de leur territoire aux biens culturels non accompagnés d’un certificat d’exportation
  • empêcher les musées d’acheter des objets exportés depuis un autre Etat partie sans certificat d’exportation
  • interdire l’importation d’objets volés dans des musées, institutions religieuses ou monuments publics
  • frapper de sanctions pénales toute personne passant outre ces interdictions
  • adopter des mesures d’urgence interdisant les importations lorsque le patrimoine culturel d’un Etat partie est gravement menacé par des pillages archéologiques et ethnologiques intensifs (Afghanistan, Iraq, etc.)
  • exiger des professionnels du marché de l’art qu’ils tiennent un registre spécifiant la provenance exacte de chacun des objets qu’ils achètent

III-restituer les biens culturels volés et retour des biens culturels illicitement exportés :

  • à la requête de l’Etat d’origine partie à la Convention, un autre Etat partie saisit sur son territoire et restitue des biens culturels volés dans un musée, une institution religieuse ou un monument public la requête doit être adressée par voir diplomatique
  • il doit être prouvé que l’objet fait partie de l’inventaire de l’institution
  • l’Etat requérant doit verser une indemnité équitable à un propriétaire qui a acheté l’objet de bonne foi ou en détient légalement la propriété conformément à la législation nationale
  • l’Etat requérant est tenu de fournir toutes les preuves nécessaires pour justifier sa demande.
  • Principe-clé : « le possesseur d’un bien culturel volé doit le restituer »
  • Possibilité de paiement d’une indemnité au possesseur d’un objet volé lorsqu’il a agi avec la diligence requise pour éviter d’acquérir un bien culturel volé ; les critères permettant d’établir la diligence incluent notamment les circonstances de l’acquisition, la qualité des parties en présence, le prix payé, la consultation d’un registre relatif aux biens culturels volés
  • Un bien culturel illicitement exporté doit être restitué s’il revêt pour l’Etat requérant une importance culturelle significative
  • Possibilité de paiement d’une indemnité au possesseur de l’objet illicitement exporté lorsqu’il a agi avec la diligence requise pour éviter d’acquérir un bien illicitement exporté : les critères permettant d’établir la diligence incluent les circonstances de l’acquisition et le défaut du certificat d’exportation requis en vertu du droit de l’Etat requérant
  • Les objets issus de fouilles illicites sont considérés comme volés
  • Procédure concernant les demandes de restitution :Introduite par le propriétaire privé ou un Etat directement devant le tribunal du pays dans lequel se trouve l’objet
  • Délai de prescription : en général 50 ans et dans les 3 ans à compter du moment où l’on a connaissance de l’endroit où se trouve l’objet et l’identité de son possesseur

Il subsiste une difficulté liée au traitement différencié de la question de la propriété des oeuvres d'art par le droit anglo-saxon et les pays de droit romain continental dont est issu le droit Français :

  • En droit romain, le principe est de reconnaître la propriété du possesseur de bonne foi. La maxime "en matière de meubles possession vaut titre" signifie qu'une personne qui détient un objet d'art de manière continue, non ambiguë, non clandestine est présumée en être le propriétaire.
  • En droit anglo-saxon (américain, par exemple), un acquéreur ne peut avoir de titre de propriété valable si celui qui le lui transfère n'en a pas: "nemo dat quod non habet" (personne ne donne ce qu'il ne possède pas). 

Les réponses juridiques au trafic d'objets d'art sont désormais marquées par trois facteurs:

  1. Un recul du rôle des États au profit d'une coopération internationale
  2. La constitution de bases de données à vocation universelle
  3. L'émergence de services privés qui jouent un rôle de police essentiel tel qu'Art Loss Register, basée à Londres et qui est la plus grande base de données privée du monde.

Cependant , la Convention Unidroit n'étant pas été ratifiée par davantage d'États influe sur le trafic qui continue à fleurir, marquant un échec des États à trouver des solutions juridiques communes créant un vide juridique au plan international. Les réponses viennent des acteurs privés du monde de l'art dont les pratiques et les usages aboutissent à créer une sorte de ligue hanséatique de l'art des temps modernes.

Les instruments et moyens juridiques sont constitués :

  • de la Conventions de la Haye de 1899 et de 1907 ; l’article 56 de la Convention de 1907 prévoyait déjà que : « toute saisie, destruction ou dégradation intentionnelle de semblables établissements, de monuments historiques, d’œuvres d’art et de science, est interdite et doit être poursuivie »,
  • de la convention pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé en date du 14 mai 1954 et ses protocoles en date des 14 mai 1954 et 26 mars 1999,
  • de la convention de l’UNESCO du 14 novembre 1970 concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriétés illicites des biens culturels,
  • de la convention D’UNIDROIT du 24 juin 1995 sur les biens culturels volés ou illicitement exportés,
  • de la résolution 2199 du Conseil de Sécurité des Nations-Unies,
  • de la loi française du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine,
  • de la loi française du 25 février 2017, les parlementaires français ont autorisé l’adhésion de la France au deuxième protocole relatif à la convention de la Haye de 1954,
  • de la résolution 2347 du Conseil de Sécurité des Nations -Unies du 24 mars 2017,
  • de la Directive 93/7 de l’Union européenne : qui est applicable dans les Etats membres de l’Union européenne, et prévoit une procédure spécifique visant au retour de biens culturels illicitement exportés,
  • du Commonwealth Scheme : qui établit une procédure pour le retour d’objets volés ou illicitement exportés au sein du Commonwealth ; une législation type a été rédigée qui pourrait servir aux Etats membres du Commonwealth comme base de leurs législations nationales.

Enfin la Cour pénale internationale peut être saisie de 3 manières : 

  1. par un Etat partie,
  2. par le Conseil de Sécurité des Nations Unies,
  3. par auto-saisine du Procureur (sur autorisation de la Chambre).

La Cour agit lorsque:

  • le crime a été commis sur le territoire d’un Etat partie au Statut,
  • le crime a été commis par un ressortissant d’un Etat partie au Statut,
  • l’Etat qui n’a pas ratifié le Statut fait une déclaration par laquelle il reconnaît la compétence de la Cour,
  • le Conseil de Sécurité saisit la Cour.

Au final la Cour pénale internationale est compétente pour juger les personnes physiques soupçonnées d’avoir commis des crimes. Quatre crimes sont poursuivis par la Cour : le crime de génocide, le crime de guerre, le crime contre l’humanité et le crime d’agression.

Les partenaires de l'Unesco se mobilisent dans la lutte contre le trafic illicite des biens culturels , qui passe par de nombreuses organisations et instituts:

Les organisations intergouvernementales:

L’ICCROM est une organisation intergouvernementale qui se consacre à la conservation du patrimoine culturel. Il a été créé pour servir la communauté internationale représentée par ses Etats membres, dont le nombre dépasse actuellement les 129,

INTERPOL Depuis 1947, date à laquelle la première notice internationale sur les objets d'art volés a été publiée, INTERPOL joue un rôle particulièrement actif dans le combat mené contre le commerce illicite de biens culturels. Cette organisation s'est dotée d'un système d'information extrêmement efficace, composé notamment d'une base de données mondiale reprenant plus de 35.000 objets culturels volés à travers le monde, et ouverte au public depuis 2009,

OMD l'organisation mondiale des douanes est la seule organisation intergouvernementale spécialisée exclusivement sur les questions douanières. Avec ses Membres répartis dans le monde entier, l’OMD est aujourd’hui reconnue comme le porte-parole de la communauté douanière internationale. L’OMD est réputée pour ses travaux dans le domaine de l’élaboration de normes douanières mondiales, de la simplification et de l’harmonisation des régimes douaniers, de la sécurité de la chaîne logistique, de la facilitation des échanges, de la lutte contre la fraude, de la lutte contre la contrefaçon et la piraterie, du partenariat public-privé, de la promotion de l’éthique, et du renforcement durable des capacités de la douane. En outre, l’OMD gère la nomenclature internationale des marchandises du Système harmonisé et les aspects techniques des Accords de l’OMC sur l’évaluation en douane et sur les règles d’origine,

UNIDROIT L'Institut international pour l'unification du droit privé (UNIDROIT) est une organisation intergouvernementale indépendante dont le siège est à Rome. Son objet est d'étudier des moyens et méthodes en vue de moderniser, harmoniser et coordonner le droit privé - en particulier le droit commercial - entre des Etats ou des groupes d'Etats et, à cette fin, d’élaborer des instruments de droit uniforme, des principes et des règles,

L'UNODC est l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime qui a été fondé en 1997, par la fusion du Programme des Nations Unies pour le contrôle international des drogues (PNUCID) et du Centre pour la prévention internationale du crime des Nations Unies (CPIC). C'est un organe du Secrétariat des Nations Unies dont le siège est à l'Office des Nations Unies à Vienne en Autriche.

Les instituts de recherches :

  • Le centre d’Etudes sur la Coopération Juridique Internationale . Le CECOJI est une unité mixte de recherche associant l’Université de Poitiers et le CNRS (UMR 6224). Le Centre est constitué de plusieurs équipes qui mènent des travaux dans divers champs disciplinaires du droit, y compris le droit de la culture, 
  • Le centre du droit de l’art . Ce centre, basé à Genève, organise fréquemment des journées d'études, colloques et séminaires et propose des publications sur la question du droit de l’art,
  • Le cultural Heritage Law program. Ce programme de la faculté de droit De Paul University de Chicago, qui est reliée au CIPLIT (Center for Intellectual Property Law & Information Technology), propose des enseignements sur le droit de la culture et a également pour but de permettre à ses étudiants de côtoyer plus facilement le monde professionnel correspondant à ce secteur du droit en pleine expansion ,
  • Le groupe de recherche international « Patrimoine culturel et droit de l’art ». Le GDRI de l’Université Paris-Sud 11, faculté Jean Monnet, s’implique directement dans la question du trafic illicite des biens culturels au travers notamment d’un programme de recherche en droit comparé qui associe divers partenaires internationaux.

La cité assyrienne en Irak a été majoritairement détruite , les célèbres bas-reliefs ont disparus; après la destruction et le pillage, il ne reste que quelques blocs de pierre éclatés du palais d'Assurbanipal II (IXe siècle av. J-C).

Pour autant la mobilisation demeure intacte , comme par exemple l'interception à Roissy des bas reliefs sculptés dans le marbre qui ont été interceptés par les douanes françaises. (sculptures de branches parsemées d'oiseaux et de grappes de raisin qui surgissent d'un vase surmonté d'une croix).

En conclusion , les statistiques mesurant l'importance du trafic et l'impact économique sont éloquentes:

Selon différentes sources le trafic illicite de biens culturels représente plus de 60 milliards de dollars par an, avec une croissance sans précédent de l'offre sur Internet. Ainsi 80 % des antiquités étrusques et romaines actuellement sur le marché seraient d'origine illégale, avec une documentation tronquée et l'absence de certificat d'origine.

Entre le moment où une pièce de valeur est exhumée ou pillée et celui où elle se retrouve dans le coffre d'un collectionneur , les plus beaux trésors sont achetés et pris en charge par des commerçants en direction des frontières libanaise, turque et jordanienne , ou par des intermédiaires sans scrupules qui les remettent à une organisation illicite , qui les acheminent à travers l'Europe ou l'Afrique du Nord jusqu'aux principales places du commerce des antiquités. 

Extrait de la cartographie du pillage des trésors culturels dans le monde

Plus les objets sont revendus, plus il devient difficile d'assurer leur traçabilité. Certains se font même discrètement oublier, notamment dans les ports francs où ils peuvent rester plusieurs années, voire des décennies.

A titre d'exemple, en juillet 2015, les Etats-Unis ont remis officiellement à l'Irak 700 pièces dérobées au musée de Bagdad en... 2003  Les nombreuses enquêtes menées sur le trafic illicite d'œuvres d'art dans le monde, estiment que les intermédiaires empochent 98 % du prix de marché final des objets vendus.

On estime qu'entre le début des fouilles clandestines et la vente finale, la valeur des plus belles œuvres d'art est multipliée par cent.

Yves Couteau : Expert devant la Cour pénale internationale à La Haye

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