L’enfance des consultants et les grandes écoles
De où viennent mes coachés ? Quel parcours les a façonnés ? Comment en tenir compte en séance ? Que faut-il que je sache pour les servir de la meilleure façon possible ? Telle fut ma quête initiale.
D’abord, chaque consultant m’est apparu unique. Cependant, à force d’attention, j’ai remarqué des similarités entre leurs histoires respectives. Je n’ai pas la prétention d’être exhaustif, mais j’ai pu discerner des catégories d’expériences marquantes qui ont contribué à former leur nature profonde. Pour chacun, je me suis donné des lignes de conduite adaptées.
1) L’enfance de rêve
Joëlle est l’une des jeunes femmes les plus agréables qu’il m’ait été donné de rencontrer. Chaque fois qu’elle entre dans une pièce, celle-ci semble s’illuminer. Son sourire est radieux et son rire communicatif. Elle n’éprouve aucune difficulté à exprimer ses émotions et parle souvent de son petit ami ainsi que de la tendresse qui les unit. À chaque séance, elle demande la permission d’enlever ses chaussures, car elle se sent plus connectée à elle-même lorsqu’elle est pieds nus, ce qui témoigne d’une véritable conscience de soi. Elle a rejoint sa firme juste après avoir terminé ses études, sans réel plan, mais elle est restée parce qu’elle aime ses collègues et leur bouillonnement intellectuel.
Quand je la questionne sur la suite de sa carrière, elle me dit qu’elle s’attend à réussir sans encombre et pour expliquer son optimisme, elle parle de ses parents qui l’ont encouragée sans relâche en lui rappelant sans cesse à quel point elle est intelligente. Aujourd’hui encore, lorsqu’elle leur téléphone, ils lui réaffirment qu’ils sont persuadés qu’elle fera partie des femmes qui amélioreront significativement la planète ; peut-être sera-t-elle une future Christine Lagarde ?
Derrière les succès dans les cabinets de conseil, se cachent parfois des parents exceptionnels qui ont élevé leurs enfants avec une patience et un amour hors norme. Coacher ceux qui ont vécu de telles expériences est généralement facile, rapide et sans tracas.
Pour cette catégorie de coachés, je me donne un seul mot d’ordre : me souvenir de leurs histoires d’enfance pour leur rappeler leurs capacités lorsqu’ils commencent à douter d’eux-mêmes au cours d’une séance.
2) Les « fils de » qui complexent
Grandir dans un environnement favorisé ne mène pas nécessairement à la confiance en soi. Bien au contraire, parfois cela produit l’effet inverse. Quelques-uns excellent professionnellement, mais sans s’épanouir ni inspirer leur entourage. Leur credo : « quand on naît dans un milieu aussi privilégié que le mien, on n’a pas de mérite à réussir ». Sans se dénigrer vraiment, ils deviennent des experts, mais ne sont pas inspirants. Coacher ces réussites insatisfaites est un défi, plus ardu qu’avec des parcours chaotiques. Pourtant, cette mission est essentielle pour leur épanouissement et pour décupler la contribution qu’ils pourront apporter au monde.
On peut les aider à se remémorer des situations où ils se sont sentis rejetés en raison de leur milieu social. L’objectif est de les aider à exprimer les émotions associées à ces souvenirs. Cette approche peut être bénéfique, mais n’est pas toujours décisive. Il est souvent plus productif de les amener à verbaliser directement leurs sentiments actuels. En général il s’agit d’une forme de culpabilité d’avoir eu tant de chance. Lorsque celle-ci est vraiment reconnue, elle s’évanouit, car les personnes reconnaissent son côté stupide (ce n’est pas de leur faute s’ils sont nés à cet endroit). Elle n’est cependant pas simple à reconnaître, car le coaché a du mal à accepter sa propre culpabilité, qu’il perçoit comme une forme de dénigrement de ses racines familiales. Il est nécessaire de désamorcer d’abord cette « culpabilité de la culpabilité » avant de pouvoir aborder la culpabilité première. Pas évident, mais faisable si on procède dans le bon ordre.
Un dernier outil puissant est la métaphore. J’utilise souvent celle-ci avec succès : « Mets-toi à la place de Miss France. Elle a certainement travaillé sa ligne et son maquillage néanmoins, ses qualités physiques déterminantes pour sa victoire sont un don de naissance. Toi, dans la peau de Miss France, quel discours positif te porterais-tu pour t’aimer vraiment, toi et ton titre ? ». Le coaché exprime alors spontanément les messages dont il a besoin pour avancer dans son parcours.
J’ai coaché une petite poignée de consultants issus de parents très médiatisés. Étrangement, ils n’ont jamais évoqué leur enfance. Sans doute une forme de crainte face à l’exposition médiatique.
3) La culpabilité d’être intelligent
Je rencontre de temps en temps des consultants qui souffrent d’une grande culpabilité envers leur fratrie. Cela se voit lorsque ceux-ci étaient plus doués scolairement que leurs frères et sœurs, mais surtout lorsque les parents le faisaient remarquer, parfois lourdement, en lançant à la volée des phrases telles que « Regarde ton frère », « Prends exemple sur lui », « Pourquoi n’as-tu pas les mêmes résultats en math ? », etc.
Dans ce genre de situation, l’enfant vit un sentiment ambivalent. D’un côté, il se sent vraiment valorisé et ça le pousse à se préparer mentalement à une vie de succès. D’un autre, il se sent coupable du traitement infligé à ses frères, par empathie, il ressent leur culpabilité et s’en croit responsable.
Souvent ce genre de souvenir refait surface comme par « hasard » pendant les séances de coaching. Il est capital dans ce cas de saisir ces expressions et de leur permettre de s’élaborer. Il s’agit en général d’émotions qui n’ont jamais été verbalisées, mais qui portent en elles le signe d’une ambivalence qui se continue à travers le temps. Le coaché est séparé en deux parties : une veut sincèrement réussir, l’autre est prête à se saboter.
En prendre conscience est important, mais pas suffisant. Cette problématique ressemble à celle des « fils de » dont on parlait ci-dessus. Pour que le coaché soit totalement libéré de ce schéma de pensée, il faut lui permettre de se reconnecter avec une vérité qu’il a occultée et qui dit qu’il n’a rien fait de mal, jamais. Ça n’est pas sa faute s’il a toujours été si intelligent, ça n’est pas sa faute si ses frères et sœurs ne l’étaient pas autant, ça n’est pas sa faute si ses parents ont choisi ce type de communication (souvent en croyant bien faire pour motiver les autres enfants), ça n’est pas sa faute si des personnes ont souffert, il n’en est en rien responsable. Lorsque ces prises de conscience sont réalisées, il n’est pas rare de revoir le consultant se remettre à gravir les échelons professionnels à toute vitesse. La réconciliation avec soi-même est presque toujours l’ingrédient qui prépare à aller plus loin.
4) Les brimades à l’école
Les enfants particulièrement doués sont souvent confrontés à des brimades non seulement au sein de leur famille, mais aussi dans leur environnement scolaire et leurs amitiés d’adolescents. C’est le cas d’Arthur, qui se démarque des autres enfants de son école primaire. Alors que ses camarades aiment faire du sport et socialiser, Arthur se passionne pour les mathématiques, la lecture et l’évolution des espèces. À l’âge de 10 ans, il a déjà une connaissance encyclopédique des théories darwiniennes, ce qui le distingue de ses camarades de classe.
Au sport, il n’a pas du tout la même aisance. Courir après un ballon ne l’intéresse pas. Il est toujours celui que l’on choisit en dernier lorsque l’on crée les équipes de foot. Et voilà comment celui que l’on pourrait peut-être appeler surdoué se ressent « sousdoué ». Dans la cruauté de l’adolescence, tout comportement atypique est sanctionné du terrible jugement « t’es nul ». Combien sont-ils dans les cabinets de conseil à chercher à gravir les échelons pour tenter d’exorciser en vain ce « t’es nul » qui les poursuit à travers les années. La métaphore appropriée : le vilain petit canard d’Andersen. La question qui soigne : « en quoi étais-tu un grand cygne en devenir et pas un vilain petit canard ? »
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5) la grande pauvreté ou les histoires familiales torturées
La vie de Léopold est un récit singulier qui oscille entre moments de conte de fées e périodes de tourments. Né dans un environnement chaotique marqué par l’alcoolisme, il a été cruellement maltraité et soumis à des sévices physiques. Son enfance a été synonyme de violence jusqu’à l’intervention des services sociaux, qui l’ont placé chez ses grands-parents aimants. C’est là qu’il a découvert la gentillesse, les gestes tendres et l’attention dont il avait cruellement manqué. Un jour, dans un élan de gratitude, il a demandé à ses grands-parents comment il pourrait les remercier. Leur réponse, empreinte de simplicité, résonne encore aujourd’hui : « Le seul remerciement que nous voulons, c’est que tu réussisses tes études et ta vie. » Pour lui la suite sera : premier de classe, polytechnique, cabinet de conseil renommé. Les premières années se déroulent parfaitement jusqu’à ce qu’il soit promu manager, moment où il a été frappé par des accès de violence verbale envers ses équipes. Au fil des séances, il a progressivement pris conscience que ces explosions de colère trouvaient leurs racines dans des images d’extrême violence qu’il avait longtemps refoulées.
J’ai rencontré plusieurs Léopold. Bien sûr, les aider à maîtriser ces images traumatisantes leur fait du bien, mais une réflexion plus profonde s’impose : la distinction entre vengeance et revanche. Face à la résurgence de comportements violents, le désir de vengeance n’est jamais bien loin. Son antidote, toutefois, réside dans l’aspiration à la revanche : la transformation de la douleur passée en une force constructive pour bâtir un avenir sain. La vengeance cherche à apaiser la souffrance par la violence, tandis que la revanche la transcende par l’accomplissement. La vocation du coaching est d’aider à différentier les deux.
Dans certains cas plus rares, la résurgence d’images traumatiques conduit à une incapacité à dire non qui se gère bien avec des méthodes de coaching classiques.
6) Les issus de famille de pauvres
L’envie de revanche qui emmène jusque dans les cabinets de conseil ne souffle pas que chez les rescapés de familles dysfonctionnelles. Elle frappe également les personnes issues de la simple pauvreté et des milieux très populaires. De manière presque constante, j’ai entendu ces personnes m’expliquer un complexe qu’elles conservaient face à leurs collègues. Mohamed qui a grandi en Égypte se sent complexé lorsque la discussion porte sur les vins alors qu’il n’y connaît rien. Adrien m’explique que certaines choses ne se rattrapent jamais tel par exemple l’accent anglais qui ne sera jamais aussi bon que celui de ses collègues qui eux, enfants, ont participé à des séjours linguistiques lorsqu’ils étaient enfants. Ces petites expressions qui semblent sortir de nulle part lors des temps de soutien ne sont pas à prendre à la légère. Elles témoignent souvent de vrais complexes qui à leur tour peuvent bloquer toute possibilité d’assumer ou d’honorer son unicité.
Il y a bien sûr également des personnes issues de la classe moyenne, mais ils semblent moins nombreux. Comme si les deux grands vecteurs qui amènent au conseil étaient la revanche et la reproduction sociale. Ces personnes de plus ne semblent pas avoir de problématique liée à leur enfance.
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Autre élément marquant : le passage par les grandes écoles
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Polytechnique, HEC, Centrale, Harvard — autant de noms qui suscitent l’admiration. La majorité des consultants en stratégie sortent de ces grandes écoles dont la porte d’entrée est si petite. Les classes préparatoires sont le terrain d’entraînement intensif pour affronter les concours d’entrée de ces prestigieuses institutions. Durant deux à trois années, les étudiants sont immergés dans un tourbillon d’apprentissage frénétique. Derrière la façade d’effervescence intellectuelle se cache un océan d’émotions. Les élèves oscillent entre des pics d’euphorie en cas de succès et des vallées de désespoir en cas d’échec. La personnalité « insecure overachiever » s’accentue pendant ces années de combat.
Comprendre certains consultants exige de saisir qu’en classes préparatoires naît une croyance en apparence bénéfique, mais qui est potentiellement dévastatrice. Cette croyance est que « la victoire s’obtient par le travail acharné ». S’il est exact que, dans le contexte de ces « boites à concours », il est impossible de réussir sans produire d’immenses efforts. L’inverse n’est pas vrai : nombreux y sont ceux qui triment avec ténacité pour au final échouer. Cependant, ceux qui seront parvenus à passer les portes étroites de la sélection conserveront l’idée magique que l’opiniâtreté est le sésame qui ouvre la voie du succès. Cette croyance s’enracine d’autant plus profondément qu’ils ne fréquentent que des personnes partageant les mêmes idées dans les cabinets de conseil.
Cela devient problématique le jour où ils désirent changer pour un style de vie plus calme. Ils paniquent alors à l’idée de lever le pied et affirment que « Réduire mon temps de travail serait honnêtement impossible, mais serait aussi une démarche à haut risque pour moi ». J’ai remarqué que leur demander : d’où te vient cette façon de penser ? Es-tu certain qu’elle soit encore pertinente ? Peut sérieusement aider à voir sa vie professionnelle sous un jour nouveau et à comprendre que plus on monte en séniorité, plus ce qui est demandé est le charisme, l’intelligence, l’intuition ; ce n’est plus l’abnégation dans l’effort. Aux âmes bien formées, la valeur n’attend pas le nombre d’heures travaillées.
Sans surprise, lorsque la confiance en soi est abordée en séance, ressurgissent les souvenirs des classes préparatoires.
Mais quand on évoque la confiance en l’autre, ce qui remonte du passé des jeunes femmes est souvent bien plus sombre. Bizutages, rites et soirées arrosées ont pu laisser des blessures profondes.
Clémentine m’a ainsi raconté qu’une cadette lui a un jour confié avoir subi une agression, une main aux fesses. Attendant en vain la suite, Clémentine a soudain réalisé que c’était cela, l’agression. Elle a également pris conscience d’avoir progressivement banalisé ce geste déplacé, le trouvant presque normal.
Il faut dire à sa décharge que lors de ces années, les filles sont souvent témoins et parfois victimes de choses bien plus graves qu’il n’est pas nécessaire de détailler ici, mais qu’il faut être prêt à écouter et à accueillir lorsque l’on est coach.
Merci Stéphane ! Je trouve très enrichissant cet inventaire des freins. Il me semble aussi utile d'évoquer les insuffisances de moteur, et notamment ce qui tourne autour des non-choix chez les bons élèves.
Monte sur scène pour Ta Première Conférence 🎤 Je t'accompagne à la préparer et je l'organise pour toi.
10 moisL'article est extrêmement intéressant. Écrit avec beaucoup de clarté, donnat des exemples concrets et réels, il donne envie d'aller plus loin dans l'univers du coaching. Même pour ceux qui ne connaissent rien. J'ai testé sur mes amis 😇 (Oui j'ai des amis qui ne connaissent rien en développement personnel 🤣) Prenez qqs mn pour lire l'article, vous passerez un bon moment de lecture et qui sait vous aurez peut-être envie de vous faire coacher 😉