L’entreprise face au dilemme de l'intelligence artificielle

L’entreprise face au dilemme de l'intelligence artificielle

A l’occasion du Forum « Voyage au cœur de l’IA », j’ai eu l'opportunité de prendre part à des échanges passionnants sur l’intelligence artificielle aux côtés de Cédric Villani (mathématicien et député), Isabelle Falque-Pierrotin (présidente de la CNIL) et Catherine Malabou (philosophe).

A cette occasion, je vous propose de retrouver la tribune que j’ai écrite récemment pour Libération. Elle aborde la nécessité de sortir du choix impossible entre se priver de l’IA et accepter le remplacement de l’homme par l’algorithme. Pour concilier compétitivité de nos entreprises et emploi, il est nécessaire de trouver une troisième voie.


L’intelligence artificielle exerce sur nous un pouvoir de fascination ambivalent. En nourrissant la promesse d’une démultiplication presque infinie de nos capacités, elle met l’impossible à portée de main. Ainsi, par exemple, communiquer dans toutes les langues sera grâce à elle un rêve accessible à tout un chacun. Mais, dans le même temps, elle porte en elle la menace d’une concurrence frontale et inégale avec les êtres humains, en automatisant pour un coût marginal quasiment nul, des fonctions cognitives que seul le cerveau humain savait traiter jusqu’ici.

Face à ces enjeux, l’entreprise est confrontée à un véritable dilemme. Envisager de se passer des avancées de l’intelligence artificielle serait, pour elle, aussi absurde que si elle avait cherché, dans les années 70, à se passer des progrès de l’informatique. Ce serait renoncer à être compétitive, et donc renoncer à sa pérennité. Mais à l’inverse, si l’entreprise se résout à remplacer massivement l’homme par l’algorithme, les conséquences pour l’emploi seront colossales. Selon une récente étude du cabinet McKinsey, entre 400 et 800 millions de personnes dans le monde pourraient voir leur emploi remis en cause d’ici à 2030.

Dès lors, comment arbitrer entre la pérennité de l’entreprise et la préservation de ses emplois ? Le choix d’un compromis ne serait pas à la hauteur de l’enjeu, et risquerait de faire perdre celui qui s’y résoudrait sur les deux tableaux. Il est donc vital de dépasser cette opposition.

Cela passe par un engagement fort de l’entreprise à utiliser l’intelligence artificielle non comme un substitut à l’homme, mais comme (...) un outil qui appuie et renforce ses capacités créatrices, l’aide et l’encourage à repousser ses limites

Cela passe par un engagement fort de l’entreprise à utiliser l’intelligence artificielle non comme un substitut à l’homme, mais comme le moyen d’augmenter son impact et d’améliorer son travail, c’est-à-dire comme un outil qui appuie et renforce ses capacités créatrices, l’aide et l’encourage à repousser ses limites. En d’autres termes, c’est choisir de se placer, non pas sur le terrain de la concurrence sur les coûts, mais sur celui de l’innovation et de l’amélioration de la qualité et de la satisfaction du client.

Cet engagement se traduit de manière très concrète, dès aujourd’hui, par des choix structurants en termes d’investissements, de technologies, de cas d’usage et d’accompagnement des collaborateurs. Dans le secteur de l’assurance, l’intelligence artificielle vient déjà en renfort de l’humain pour lutter contre la fraude par exemple. C’est un formidable outil pour détecter les cas suspects et permettre aux équipes de faire des analyses plus ciblées. Grâce à l’intelligence artificielle, on peut ainsi rester dans une posture de confiance a priori envers nos assurés sans pâtir de ceux qui en abusent. De la même manière, l’intelligence artificielle rend aujourd’hui possible l’analyse, avec une rapidité et une puissance incomparables, de l’ensemble des contrats du marché. Elle permet ainsi à nos conseillers de délivrer un conseil plus pertinent en identifiant d’éventuels trous de garantie pour nos sociétaires et d’améliorer en continu nos propres offres.

Les progrès de l’intelligence artificielle confrontent donc l’entreprise à des choix fondamentaux. Le renoncement à une posture éthique et responsable n’est plus envisageable. Pour autant, des choix éthiques qui entameraient la performance ne seraient pas soutenables. La seule voie pérenne pour elle, et à la hauteur des enjeux du monde qui s’ouvre, réside donc dans sa capacité à aligner son propre intérêt sur celui de ses parties prenantes, en particulier de ses clients et de ses collaborateurs. C’est ainsi qu’elle pourra garantir sa performance et son développement de long terme.

L’entreprise du XXIe siècle sera celle qui utilisera pleinement le potentiel de l’intelligence artificielle, et qui dans le même temps choisira de placer la valeur humaine au cœur de son modèle.

L’entreprise du XXIe siècle sera celle qui utilisera pleinement le potentiel de l’intelligence artificielle, et qui dans le même temps choisira de placer la valeur humaine au cœur de son modèle.


Une précédente version de cette tribune a été publiée sur Liberation.fr le 19 décembre 2017 et dans le supplément de Libération "Inventer l'avenir" le 24 janvier 2018

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Pour ma part ,l'Intelligence Artificielle(IA) est le sommet du capitalisme ,elle répond à la question de savoir comment se remplir les poches sans avoir aux humains quant bien ces derniers ont toutes les possibilités épanouissantes de travail malheureusement réclameront encore plus.

chantal gevrey

Travailleur indépendant du secteur Contenus rédactionnels

6 ans

N’est-ce pas ce qu’on appelle le beurre et l’argent du beurre ? Présumer de la vertu des entreprises pour valoriser le «contenu» humain tout en maximisant la performance me semble quelque peu utopique, si ce n’est contradictoire. La tentation du rendement, du profit, et finalement du pouvoir risque plutôt d’aboutir à la formation rapide de monopoles qui régiront tous les aspects de la vie, y compris grâce aux possibilités offertes par le transhumanisme. Exemple : la suppression, déjà envisagée, du besoin de sommeil. À mon avis, ce n’est qu’un début, et les gouvernements ne feront rien pour s’y opposer.

Gaëlle KERMABON-CHAMPEAUX

Chargée de Mission auprès de la Directrice Communication chez MAIF

6 ans

Absolument en phase. En revanche combien d'acteurs économiques feront ce choix courageux et humaniste?

Fatima De Sousa

#Management coopératif, #Stratégie gagnant/gagnant, #Ressources Humaines

6 ans

L'IA reste un atout incontestable en même temps qu'une arme massive si elle se retrouve entre des mains perverties: or, c'est là où le bât blesse, puisqu'il me semble difficile de le garantir. De plus, cela va être une fois de plus au dépend de millions de personnes qui vont se retrouver à la marge, puisque les exigences du marché du travail et l'inaccessibilité à la formation pour les plus démunis en capital humain ne feront qu'aggraver leur sort. Or nous savons que les directives gouvernementales ne vont pas dans le sens d'une réelle prise en charge de ses personnes avec tout ce que cela implique en terme d'accompagnement de proximité.

Voilà un point de vue lucide sur les tenants et les aboutissants de l'AI

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