Les cryptomonnaies à la croisée des chemins en ce printemps 2018 (2è volet) : quel impact du contexte économique et monétaire ?
Celles et ceux qui s’intéressent au secteur naissant des cryptomonnaies (dont le fameux bitcoin) se demandent s’il est encore temps d’investir dans ce secteur ultra-innovant et ultra-controversé périodiquement secoué de booms, de chutes, d’affaires de détournements et de déclarations fracassantes…
Dans le volet 1, nous avons vu que l’analyse historique des cours montre que nous sommes à un stade crucial, déjà vécu plusieurs fois par le bitcoin annoncé comme « mort » à chaque effondrement, rendant très gagnants ceux qui avaient eu le courage de le conserver sans succomber aux sirènes de la psychologie collective.
Dans ce volet, nous décrivons les défis de la situation économique et monétaire pour voir en quoi ils vous concernent directement et dans quel sens ils peuvent affecter les cryptomonnaies.
Synthèse pour lecteurs pressés
Après la crise de 2008, surmontée par le sauvetage des banques avec une création monétaire effrénée des banques centrales occidentales, l’endettement généralisé des acteurs économiques trouve des limites.
Le système financier montre sa fragilité, il suffit de suivre l’actualité pour connaître les nouveaux sujets brûlants. Les risques systémiques n’ont pas disparu.
Paradoxalement, les cryptomonnaies sont toujours largement perçues par le grand public comme exotiques et risquées. On entretient l’argument qu’elles sont virtuelles comme si le système monétaire papier reposait sur des économies pérennes et non endettées.
En cas de crise financière et/ou monétaire, les particuliers de l’Union Européenne sous-estiment ou ignorent les mesures qui seraient prises pour endiguer les risques de panique.
Ceci mettrait alors en lumière l’intérêt des cryptomonnaies, fondées sur un système d’échanges décentralisé de paiement entre participants régulé par eux-mêmes et non soumis à des barrières ou des limitations de retrait ou de transfert.
Non seulement elles apparaîtraient alors comme une alternative plus qu’utile mais cet avantage même ferait monter leur cours comme à Chypre en mars 2013.
1. Depuis 2008, la fuite en avant continue
La crise de 2008 a été surmontée par un endettement croissant et la création monétaire pour créer des taux d’intérêt artificiellement bas et supporter la charge de cet endettement. D’après l’IIF, on atteint 237 000 milliards de dollars fin 2017 (soit environ 30 000 dollar par habitant de la planète)[1].
En faisant court, les banques centrales ont émis de la monnaie pour acheter des obligations d’Etats et d’entreprises de façon à injecter cette monnaie dans l’économie (en fait, cela a surtout permis aux banques de stabiliser leurs bilans financiers et de continuer leurs activités).
L’absence de croissance réellement forte rend ce trend insupportable et le risque d’une fuite accélérée en reprenant et prolongeant une politique de taux d’intérêt bas voire négatifs. Cette création monétaire excessive face à une croissance très moyenne en Occident a contribué à créer des « bulles » sur de nombreux marchés (actions, immobilier dans certaines régions ou villes).
Bien sûr les détracteurs des cryptomonnaies stigmatisent les bulles successives sur le bitcoin mais nous avons rappelé (volet 1) que la taille du marché des cryptomonnaies est de 200 fois moins environ que celle des titres boursiers. On n’est pas dans les mêmes « bulles » et celles du bitcoin sont assez visibles (cf les schémas présentés dans le volet 1).
Les banques centrales occidentales (BCE et américaine) ont annoncé leur volonté de « réduire » les doses massives de QE en se fondant sur le discours de la reprise. Cependant, les Etats-Unis se distinguent avec une politique de relance qui va considérablement accroître leur endettement public.
Cette reprise est probablement en train de se tarir discrètement en ce moment, notamment sous l’effet de la hausse des prix du pétrole, des effets négatifs des sanctions (contre la Russie, l’Iran…), des menaces de protectionnisme américain qui nous annoncent un G7 turbulent ce week-end.
2. La fragilité du système financier s’est accrue
La fragilité d’ensemble se révèle sur des « maillons faibles » qui peuvent avoir des répercussions globales parce que certaines dettes d’Etat deviennent risquées et le levier des produits dérivés peut aggraver les pertes.
Le secteur bancaire a investi dans des titres d’Etat de pays à risque
Aujourd’hui, c’est l’Italie qui est sous les projecteurs avec une hausse des taux d’intérêt du marché (le 10 ans italien a triplé en quelques jours en raison de la crise politique de fin mai).
Reste à savoir qui détient des obligations d’Etat. Les banques italiennes en ont 20% elles-mêmes avec en tête Intesa Sanpaolo et UniCredit mais aussi d’autres plus petites et très exposées.
Immédiatement derrière les italiennes figurent des banques françaises pour 44 milliards d’euros (pour 118 milliards pour les banques italiennes).
C’est là où les cercles vicieux peuvent jouer : quand les taux d’intérêt du marché remontent, la valeur des obligations baisse, ces banques chercheront à s’en débarrasser et alimenteront la crise, à moins qu’elles ne soient elles même mises en danger à un certain point.
Comme les participations croisées font que les pertes se diffusent, il ne faut pas croire pour se rassurer que la crise italienne soit endiguée par les Alpes…
Dans le monde interconnecté et complexe, il se peut que ce soit la faillite d’une petite banque qui mette en danger le système, ou bien d’une grande société cliente qui peut avoir une dette excessive mettant sa banque en péril…
le recours non régulé aux produits dérivés amplifie les risques
A l’origine conçus pour « couvrir » le risque, ils ont été utilisés pour faire un levier de rentabilité à des niveaux dépassant toute idée (48 trillions de $ soit plusieurs fois la valeur du PIB allemand -environ 4 trillions $- pour la Deutsche Bank qui fait beaucoup parler d’elle en ce moment et inquiète la BCE[2]). Bien sûr, les montants engagés sont censés se compenser en débouclant des positions, mais en cas de crise généralisée, référez vous à ce qui s’est passé pour l’assureur américain AIG en 2008.
Depuis quelques jours (début juin 2018) la Banque centrale européenne semble ne plus vouloir acheter de la dette italienne et envoie un signal négatif au nouveau gouvernement italien se résumant à ne pas compter sur son soutien (apporté par un QE sans limites depuis 2012). On en saura plus lors de sa réunion du 14 juin prochain[3].
On irait alors vers une crise de l’euro plus rapprochée qu’on ne le pense.
Il n’y aura pas de 2è sauvetage des banques en cas de crise par les Etats et l’endettement puisque leurs marges de manœuvre ont été consommées.
Puisqu’on est plutôt en train de stopper les politiques de rachat des dettes par la création monétaire des banques centrales, on peut mettre en danger certaines banques ayant des positions trop risquées.
3. Les conséquences pour les particuliers
En cas de crise financière (à l’exemple de 2008)
La prochaine fois, les banques risquent d’être autorisées à ponctionner les comptes bancaires. Pourtant, le grand public pense que l’expérience chypriote ne pourrait pas se reproduire dans un « pays occidental civilisé ».
Quelques idées reçues subsistent sur la tranquillité de l’épargnant qui repose sur la « garantie des dépôts » de 100.000 euros par compte. Elles sont contredites par des analyses et propos de la BCE elle même.
En effet, les directives européennes et les positions de la BCE [4] seraient de prendre des mesures de sauvegarde du cash pour les banques sans tenir compte de cette garantie (au demeurant peu réaliste puisque les fonds prévus pourraient ne pas suffire)
"Les dépôts couverts et les créances au titre des systèmes d'indemnisation des investisseurs devraient être remplacés par des exemptions discrétionnaires limitées accordées par l'autorité compétente afin de conserver un certain degré de flexibilité."
"Pendant une période transitoire, les déposants devraient avoir accès à un montant approprié de leurs dépôts couverts pour couvrir le coût de la vie dans les cinq jours ouvrables suivant une demande."
En clair : pour éviter la contagion des difficultés d’une banque créant une panique généralisée et des vagues de retraits massifs de capitaux (entretenant la mise en difficulté en chaîne du secteur financier), chacun verrait ses capacités de retrait restreintes à 5 jours de besoins courants.
En cas de crise monétaire
Parallèlement, si une monnaie est attaquée, l’un des leviers de défense habituellement utilisé est le contrôle des changes.
La libre circulation des capitaux actuelle pourrait être suspendue en cas de « crise grave » et l’on ne pourrait plus mettre son argent sur d’autres comptes notamment à l’étranger : ceci est pourtant bien utile à ceux qui aujourd’hui veulent surtout et actuellement légalement, disposer d’une somme d’argent sur place pour leurs voyages, ou envisagent de s’expatrier.
Aujourd’hui, il est parfois difficile de réaliser des paiements et des virements importants de sommes sans avoir de questions ou de limites pratiques à les faire…et ne parlons pas des retraits d’argent liquide.
4. Les services offerts par les cryptomonnaies
Les monnaies se définissent par 3 qualités principales : moyens d’échange, unité de mesure, réserve de valeur[5].
Les cryptomonnaies ne sont pas perçues par le grand public comme des monnaies. Il a en partie raison sur un point qui caractérise une monnaie, sa réserve de valeur, car pour le moment la volatilité des cours est très forte. Il sous-estime, puisqu’il ne la pratique pas, leur grande facilité d’utilisation comme moyen d’échange.
Cependant, elles prennent tendanciellement de la valeur et certaines analyses parient sur leur stabilisation à mesure de leur diffusion.
Un procès leur est souvent fait d’être « virtuelles » parce que non visibles en réalité dans les échanges. Le système monétaire classique est parfaitement virtuel aussi puisque fondé sur des comptes électroniques, représentatifs de monnaies (dollar, euro…) gagées sur la « confiance » dans des économies elles-mêmes très endettées comme on l’a rappelé.
Bien sûr, pour les cryptomonnaies, les risques de fraudes et de piratage subsistent mais ils se réduisent avec des bonnes méthodes de stockage accessibles aux particuliers.
En cas de crise financière, elles sont accessibles en quelques clics.
Leur force est la décentralisation même du système : les détenteurs de comptes s’échangent directement des cryptos sans intermédiaire et les transactions sont contrôlées techniquement par des membres qui n’ont pas de pouvoir d’autorisation à donner et de « limitation des retraits ».
D’ailleurs, rappelons comment a évolué le bitcoin en mars 2013 au moment de la crise chypriote :
Certains pays voient les particuliers utiliser actuellement les cryptos comme alternative au système financier classique.
En conclusion, la constitution d’une « réserve » raisonnable et limitée en dehors du système financier serait une mesure de prudence d’autant plus « rentable » que le cours des cryptomonnaies pourrait connaître un engouement subi en cas de prise de conscience de la situation.
Marc GENTILHOMME
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[1] Pour tous les détails chiffrés : article du site realinvestmentadvice.com, « The Coming Collision Of Debt & Rates » écrit par Lance Roberts 7/6/2018
[2] Lire dans le site Zerohedge : ECB Tells Deutsche Bank to simulate a "Crisis Scenario" 15/4/2018
[3] Article Bloomberg du 5/6/2018 : « ECB Chief Economist Confirms June Meeting Is Crucial for QE Decision »
[4] Source : BCE « opinion » sur le cadre de gestion des crises en date du 8/11/2017
[5] Pour mieux comprendre la monnaie et la création monétaire : « les secrets de la monnaie » par Gérard Foucher, Liberty books