Les travel managers sont-ils réellement des imbéciles notoires ?
Sans doute l'avez-vous remarqué… En dix ans, le volume d'études et de sondages autour du voyage d'affaires a été multiplié par cent. Désormais, toutes les semaines, trois ou quatre fournisseurs nous livrent le fruit d'enquêtes, généralement aux contours flous et à la méthodologie douteuse. Objectif ? Délivrer (sans y avoir l'air) des pistes de réflexions ou d'analyses souvent biaisées qui conduisent à l'offre commerciale du commanditaire de l'étude !
Non, les acheteur-e-s de voyage ne sont ni demeurés, ni lobotomisés et encore moins naïfs ! Cette multiplication d’études plus ou moins réussies perd de son intérêt en raison même de cette abondance. Et si le titre de ce billet est provocateur, c'est aussi pour rappeler aux fournisseurs-éditeurs que les gestionnaires de déplacements en entreprise ont encore un sens d'analyse assez développé et souvent juste. Heureusement, peu sont dupes.
Cette technique du Content Marketing, née dans les pays anglosaxons a pourtant fini par s'imposer chez nous comme le Kebab ou le burger. Mais toutes ces analyses ne sont pas aussi digestes et certaines, aux relents commerciaux à peine dissimulées sous les mots, puent un peu plus que les autres.
Comment définir le Content Marketing ? Wikipedia le fait assez bien : "Le marketing de contenu (content marketing), est une discipline marketing qui implique la création et la diffusion, par une marque, de contenus médias dans le but de développer son activité. Ces contenus informatifs, utiles ou ludiques, peuvent être présentés sous forme de news, vidéos, livres blancs, livres numériques, infographies, études de cas, guides pratiques, systèmes de questions-réponses, photos, forums, blogs d'entreprises, etc. Le marketing de contenu associe une logique de communication de marque à une offre média traditionnelle. Le content marketing, plutôt utilisé dans le domaine du BtoB, s'adresse plutôt aux prospects avec une optique commerciale…". On peut ajouter à la liste des outils : sondages, études génériques, témoignages d'entreprises, billets d'humeur, avis d'expert….
Pourquoi un tel succès ? La première raison tient aux médias… et je prends toute ma part de responsabilité en écrivant cette assertion. La course aux contenus gratuits conduit à publier tout ce qui arrive dans une rédaction. Je mets cependant un bémol (pour l'avoir écrit et vécu quotidiennement) : l'impertinence n'est pas un gros mot ou une insulte. On peut donc l'utiliser sans danger. Peu le font, par peur d'une fâcherie avec de possibles annonceurs. Trop souvent, les médias reprennent même des termes systématiquement présents dans les communiqués de presse comme "entreprise leader" ou "mondialement reconnue", sans expurger les dizaines de superlatifs qui camouflent mal l'opération de "content marketing" qui s'engage.
Mais la valeur sûre reste le sondage. Quand CWT sort toutes les semaines une étude "sérieuse" sur un sujet "sérieux"… Je doute du bien fondé de son travail et encore plus des résultats tant la méthodologie est floue. La dernière en date publiée ce 11 juin par la TMC est un bijou de portes ouvertes et s'intitule "les voyages d'affaires stimulent la créativité et la productivité". Pile poil dans la stratégie de CWT. Quel hasard ! Pire, la TMC se gargarise d'un savoir-faire que les conflits sociaux internes démentent !
J'ai toujours eu un faible pour le travail et les valeurs de BCD, mais la TMC peut-elle raisonnablement ne pas surveiller du coin de l'œil ce que publie sa filiale chargée d'études (Advito) si le contenu qui sera édité allait à l'encontre de ses intérêts majeurs ? Le sondage doit beaucoup à internet qui a inventé l'étude en ligne. Trop facile à utiliser pour orienter les résultats. C'est là aussi toute la force de l'autocensure au sein du fournisseur. "On sait que c'est pipeau mais on a l'esprit d'entreprise" évoquait un ancien commercial d'une grande TMC sur un baromètre annuel. Tout est dit.
Voilà concrètement ce qu'est le content marketing : ne jamais appeler un chat un chat. En web marketing, un vendeur de pâquerettes ne fait que mettre en avant la beauté des Angiospermes ou Magnoliophytes, cette division de plantes vasculaires du groupe des Spermatophytes.
Quels sont les dangers de la méthode ? Ils insufflent des vérités qui tiennent plus de la fake news que des faits constatés. Prenons comme base une étude publiée en 2015 et qui souhaitait démontrer le coût de traitement d'une note de frais, soit 53 € pour 20 minutes de travail. Pourquoi pas. Les deux experts comptables interrogés à l'époque en rigolent encore. Chaque entreprise a des process différents et des coûts peu ou pas comparables. De fait, ce chiffre ne repose sur rien mais si vous tapez sur google "coût du traitement d'une note de frais", vous verrez comment des dizaines d'entreprises exploitent ce résultat. Mais qui a établi ce coût ? Une étude de la Global Business Travel Association parue en octobre 2015. Si l'on regarde l'enquête, il faut mémoriser le nom du sponsor : HRS, un fournisseur hôtelier à une époque où les règlements des dépenses hôtelières étaient complexes et peu automatisées. Moins de 250 responsables ont été interrogés en Europe, à peine 40 en France ! Rien de très représentatif ! La boucle est bouclée. Mission "content marketing" atteinte. Aujourd'hui, tout le monde présente ces 53 euros comme la vérité absolue. On en est pourtant très loin !
Autre visage de ces techniques marketing, connaissez-vous le "meeting content" ? Quand l'AFTM tombe dans un affairisme qui conduit à livrer les acheteurs aux fournisseurs via des petits déjeuners aux thèmes génériques camouflés en Ateliers des connaissances, il faut dénoncer la pratique de ce content marketing commercial mal maitrisée. Ce ne sont pas des ateliers mais du business. Et c'est parfaitement leur droit que de renvoyer l'ascenseur à ceux qui financent la structure. Mais personne n'a la naïveté de croire qu'il s'agit d'ateliers de travail. Mais quand, dans le même temps, la même association publie un Livre blanc sur la sécurité d'une rare qualité, on se doit de saluer le travail remarquable qui est fait et qui ne repose en aucun cas sur une simple vision mercantile ! L'équilibre est difficile, la structure mise en cause ne retiendra que l'attaque. C'est la force cachée du content marketing que de stigmatiser toutes vérités évidentes.
Peut-on lutter contre le content marketing ? Non, il est bel et bien présent dans notre vie professionnelle. On peut cependant le remettre en cause. Aux USA, outre les cours de formation aux techniques de l'information délivrés dans le cadre universitaire, cursus Gestion & Achats, des associations s'attachent à demander aux éditeurs, fournisseurs d'études, la méthodologie et le process d'analyse des résultats. Ils sont publiés, et commentés, sur les sites et blogs dédiés. En Europe, seule l'Allemagne a une politique déontologique de la presse qui consiste à préciser que le sondage est livré par un fournisseur et généralement que sa finalité est (ou non) commerciale.
À l'évidence, la France est en retard sur le sujet. Seul le bon sens des acheteurs et leur connaissance des marchés sont des remparts efficaces contre le content marketing. Seul souci, mais de taille, la présence d'associations européennes (pas toujours très transparentes) qui laissent croire à leur indépendance totale du monde des fournisseurs tout en orientant les marchés… Pire, certains dirigeants associatifs exercent aussi des missions de consulting. De quoi brouiller les cartes.
Les beaux jours du content marketing et du meeting content sont devant nous.
Marcel Lévy
Freelance 🚀 Audit * CRM * achat * travel* Manager de transition
5 ansCompletement en phase avec cet article qui arrive un peu tard, mais comme on dit, mieux vaut tard que jamais. Que le marketing soit orienté pour favoriser des acteurs, cela est évident et ne me choque pas plus que cela dès lors que chacun est en mesure de faire le tri. Mais on pourrait aller plus loin sur ce terrain, et parler de conflit d’intérêt dans tout ce secteur : peu de cabinet de conseil indépendants , multitude d’informations erronées reprises par bcp, des réseaux ou associations sponsorisées par ces acteurs, cursus de formation et intervenants a l’Escaet, tout cela contribue à orienter le business travel dans une seule et même direction. Et oui le business travel est un grand business: tout le monde sait comment fonctionne le lobbying dans les labo pharmaceutiques ou dans les entreprises de tabac. Croire que le business travel ferait exception serait une grosse erreur.