Partie I LA DONNE - Chapitre 4 : Pourquoi la médecine générale fait peur?

Partie I LA DONNE - Chapitre 4 : Pourquoi la médecine générale fait peur?

# Le temps de travail

Toutes les études qui ont été menées pour analyser la charge de travail des médecins généralistes libéraux s’accordent pour démontrer que les journées sont longues.

Selon un rapport de la DREES de 2010 : « nombre d’emplois du temps font apparaître des fins de journées de travail qui excèdent 20 heures. Il n’est pas rare de trouver des journées de 10 à 12 heures de travail. A cela, il faut ajouter des activités professionnelles possibles en soirée (groupe de travail, formation professionnelle continue, dossiers des patients, etc.). Les journées démarrent selon les praticiens entre 7h30 et 9h30 et généralement plus tôt pour les généralistes que les spécialistes».

Dans de nombreux cabinets, les temps de travail excédent les 70 heures par semaine, ce qui effraie certains jeunes médecins ; certains d’entre eux redoutant en outre de devoir multiplier les astreintes dans les zones de désert médical.

# Les tâches connexes

Aborder la difficulté du médecin généraliste uniquement par le biais « quantitatif » (durée du temps travaillé) serait une erreur d’interprétation. Ce n’est pas tant la durée du temps de travail journalier qui explique la démotivation des jeunes médecins que le « poids » de certaines tâches. C’est ce que le rapport de la DREES appelle « le poids subjectif » du temps.

« Les temps de garde ne sont jamais présentés comme des temps qui «empiètent». Ils font partie de la mission médicale et bien qu’éventuellement astreignant, ils ont un caractère valorisant (…) : c’est bien un temps de médecine. Ainsi une heure d’activité en soirée n’a pas la même charge selon qu’il s’agit d’une garde ou du rattrapage de dossiers pour la sécurité sociale. C’est donc sans doute en grande partie parce que les activités résiduelles qui « empiètent » sur le temps de la vie familiale sont des activités connexes à l’activité strictement médicale, qu’elles produisent ce sentiment de stress et de perte de maitrise d’équilibres souhaitables chez certains ». Ce qui est en réalité mal vécu, c’est « l’envahissement du temps personnel par un temps perçu comme trop peu médical ».

La gestion administrative arrive évidemment en tête de ces contraintes dénoncées par les médecins généralistes libéraux. Elle est d’autant plus problématique qu’elle induit une porosité entre le temps professionnel et le temps familial : « il faut retourner au cabinet le week-end ou reprendre des courriers ou des résultats d’analyse le soir après avoir couché les enfants ».

# Le rythme effréné des journées

Appels téléphoniques, urgences, réception de visiteurs médicaux, etc., les tâches se succèdent et nécessitent toutes la même attention voire même, dans le cas des plages horaires dédiées aux consultations, une écoute active.

La fatigue liée à cette variété d’actions, la disponibilité mentale que chacune d’elles nécessite et l’absence de pause réelle au cours de la journée contribuent fortement au stress de cette profession. A la durée du temps de travail s’ajoute donc le stress d’un rythme effréné des journées « marquées par des pics réguliers de suractivité ».

Par ailleurs, il est à noter que le rythme structurel du travail de médecin généraliste n’est pas forcément compatible avec le rythme biologique naturel. « Dans leur travail sur L’épuisement professionnel des médecins (2004), Philippe Davezies et François Daniellou soulignent la spécificité du travail des médecins généralistes qui consiste à ce que la charge soit maximale en fin de journée. C’est particulièrement vrai pour les médecins qui ont une consultation sans rendez-vous l’après-midi. En plus d’être longue, la journée présente alors la caractéristique de se terminer sur les chapeaux de roues et à un horaire incertain ». (Citation extraite du rapport de la DREES).

# Le poids du « corps social malade »

L’accompagnement médical est éprouvant en-soi. Il n’est pas facile de surmonter les souffrances psychologiques et les douleurs physiques des malades ; cela demande un important travail de distanciation. Les tensions sociales génèrent, par ailleurs, souvent des incivilités et de l’agressivité envers le praticien.

La crise économique et sociale actuelle est un facteur réel de charge mentale et de stress pour cette population de professionnels. Selon le rapport de la DREES « les situations les plus pesantes évoquées par les médecins sont les situations de misère sociale, c'est-à-dire de pauvreté économique doublée de pauvreté relationnelle ».

Les médecins ont le sentiment de ne pas pouvoir apporter la « bonne réponse » au patient. Leur registre professionnel est essentiellement médical, alors que les attentes sont d’une autre nature. Cette inadéquation provoque un sentiment d’impuissance et d’abandon. Ils ne sont, en outre, pas préparés à une telle mission durant leur formation.

# L’absence de contrôle sur son activité

La difficulté de l’activité de médecin est aussi de ne pas pouvoir planifier son activité : au quotidien (les patients affluent selon les épidémies et leurs besoins), mais aussi à plus long terme (difficulté à trouver un remplaçant, un collaborateur ou un repreneur pour son cabinet).

Les médecins se retrouvent ainsi à la merci de leur environnement professionnel sans avoir de prise sur lui, ni aucun outil de pilotage.

# L’isolement professionnel

Le médecin généraliste exerce souvent seul. Il n’a souvent personne avec qui partager ses doutes ou ses inquiétudes. Cet isolement explique en partie le choix du travail en maison de santé ou en groupe.

Beaucoup craignent également, en étant éloignés d’un CHU, d’être moins au fait des nouvelles technologies et des avancées médicales. La formation continue paraît plus difficile à mettre en œuvre avec ce type d’exercice.

# Le difficile équilibre vie privée-vie professionnelle

La prise en considération des facteurs familiaux dans les choix professionnels ne serait pas à proprement parler une question de génération (une jeune génération plus encline à protéger son espace familial), mais plutôt une question de « cycle de vie ».

Selon le rapport de la DREES : « la question des aménagements horaires du matin et du soir ainsi que ceux du mercredi et du samedi se posent plus fortement pour ces jeunes parents médecins. Lorsqu’ils ont l’impression de parvenir à concilier leur vie personnelle et professionnelle, ils donnent aussi le sentiment de vivre sereinement leur activité. En revanche, la question du remord ou du regret de ne pas faire assez dans le domaine privé favorise un regard dépréciatif sur l’activité. »

Or ce sont précisément de jeunes médecins dont nous avons besoin aujourd’hui pour remplacer les départs à la retraite des plus âgés. D’où la nécessité de trouver des solutions innovantes pour répondre à cette recherche de compatibilité entre vie professionnelle et vie privée.


C'est fini pour cette semaine. Pour vous abonner à nos articles, rendez-vous sur notre site www.vaincrelesdesertsmedicaux.com. La semaine prochaine clora notre première partie consacrée à l'analyse de la situation actuelle. Nous y aborderons le pour et le contre de toutes les mesures envisagées jusqu'alors pour lutter contre la désertification médicale.

D'ici-là, n'oubliez pas de nous faire part de votre perception de la difficulté du métier de médecin généraliste !

Très bonne semaine à tous.

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