Podcast vs Presse, victoire aux points ou par KO ?
Chaque élection américaine se doit de révolutionner la communication et de lancer de nouveaux media (ou de nouvelles façons de les utiliser). Que ce soient les face à face du 20ème siècle, en direct à la télévision, ou les réseaux sociaux d'Obama en 2008, les médias participent à écrire les légendes électorales.
Cette année, les podcasts ont joué un rôle si central dans les élections américaines qu’un certain nombre de médias ont parlé de la première “élection podcast”, consacrant ce format comme un nouveau média d’influence politique.
De fait, les deux candidats y ont sacrifié une part importante de leur stratégie média, en participant à plusieurs podcasts chacun, jusqu'à trois heures de conversation de Donald Trump avec Joe Rogan, le plus gros podcaster américain (The Joe Rogan Experience).
Pour quel impact ? Interrogé par Tucker Carlson sur les ressorts de la victoire, Elon Musk a cité ce podcast comme un moment important du déterminant du vote :
“I think it made a big difference that President Trump went on lengthy podcasts. I think this really makes a difference because people like Joe Rogan’s podcast. To a reasonable-minded, smart person who’s not like hardcore one way or the other, they just listen to someone talk for a few hours, and that’s how they decide whether you’re a good person, whether they like you” (The Guardian)
De son côté, Kamala Harris a participé aux podcasts All The Smoke, The Breakfast Club et surtout Call Her Daddy, le podcast d’Alex Cooper (5 millions d’auditeurs hebdomadaires).
Comment expliquer que de l’autre côté de l’Atlantique, on ait estimé que le podcasting a rivalisé avec les médias plus traditionnels ?
D’abord, par ses audiences. Les statistiques sont impressionnantes : près de 100 millions (!) d’Américains disent écouter des podcasts au moins une fois par semaine. La dynamique est frappante : la proportion d’auditeurs mensuels a plus que doublé entre 2016 (21%) et 2024 (47%). Plus encore, les podcasts travaillent des communautés spécifiques, disposant de cibles très homogènes : par exemple, l’audience du podcast de Joe Rogan est composée à 81% d’hommes, tandis que celle d’Alex Cooper l’est à majorité de femmes (70%) et de jeunes de moins de 35 ans (76%).
Ensuite, les enquêtes montrent que le podcast bénéficie d’une source de crédibilité et de confiance - une donnée d’autant précieuse que les médias traditionnels, eux, pâtissent d’un discrédit croissant. Une étude de Deloitte a montré que 75% des interrogés étaient d’accord pour dire : “I trust the podcast hosts I listen to”. Une publication de Pew Research atteste que 31% des gens qui obtiennent des informations via des podcasts disent avoir davantage confiance en elles que via d’autres sources (et 55% disent avoir autant confiance).
Un dernier élément revient souvent dans les analyses : la comparaison entre la perception de l’authenticité du format podcast et celle d’une fakeness des interviews télévisées. Pour Shannon C. McGregor, professeure de journalisme à l’Université de Caroline du Nord, les podcasts permettent aux votants d’avoir un bien meilleur aperçu sur les candidats que les interviews très cadrées de la télévision :
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“It gives listeners a better sense of what the candidates are like than the CNN interview with Kamala Harris and Tim Walz, especially for people who aren’t super interested in politics.” (The Hill)
Et la presse alors ?
Pendant longtemps, les grands journaux étaient considérés comme disposant de pouvoirs tels qu’ils avaient une influence directe sur l’élection. Alors que la presse est ignorée par un pourcentage significatif du pays, et si cette influence appartenait au passé ?
Ces dernières semaines, plusieurs journalistes du New York Times ont battu en brèche l’idée selon laquelle le journal était toujours cette “institution” dont la voix porte et importe.
“The media doesn’t actually set the agenda the way people sometimes pretend that it does. The audience knows what it believes. If you are describing something they don’t really feel is true, they read it, and they move on. Or they don’t read it at all.” (Ezra Klein)
D’où l’incroyable succès du message d’Elon Musk, posté le matin des résultats de l’élection de Donald Trump : “You are the media now”. Partagé par une large partie de la galaxie des soutiens de Trump, il a été complété par l’activiste d’extrême-droite James O’Keefe, ce qui le rend encore plus clair : “You are the media now. The legacy media is dead. Hollywood is done. Truth telling is in. No more complaining about the media”. Comme l’analyse Charlie Warzel, cette phrase entérine l’idée qu’”il n'y a plus de réalité consensuelle éclairée par ce que le public voit et entend : tout le monde choisit sa propre aventure (everyone chooses their own adventure)”.
Dans The Conversation, on trouve cette formule qui illustre bien le phénomène : le passage du mass media au my media, pour désigner le fait que “le citoyen choisit désormais de s’abonner non plus à un titre de la presse généraliste ou partisane mais à des comptes de personnalités ou de communautés organisées sur les réseaux sociaux”.
Il parait certain que le médium podcast (ou streaming live sur twitch) devrait continuer à jouer un rôle dans les futures campagnes.
Quid des marques ? Dans la mesure où l’interview-podcast est un format intime et très incarné, il nous semble y avoir une prime aux patrons emblématiques et autres CEO “inspirants” (ou aux mascottes !)