Recertification tous les 6 ans, les infirmiers libéraux seront-ils prêts ?
L’article 5 de la loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019 relative à la transformation du système de santé prévoit la création par ordonnance d’un dispositif de recertification professionnelle, initialement réservé aux médecins, mais élargi lors du débat parlementaire à la demande des ordres concernés à six autres professions dont les infirmiers.
Il est peut-être utile de rappeler en préambule que la recertification des professions de santé est un concept en application dans de nombreux pays ayant comme objectif de légitimer et de justifier la confiance qui leur est accordée par l’immense majorité de leurs patients. Leur légitimé ne reposera plus seulement sur la diplomation mais sur la preuve de leur volonté de maintenir et d’améliorer leur niveau de professionnalisme en étant « recertifié » à intervalles réguliers afin d’évaluer leur compétences.
Recertification : la fin de l’arlésienne
Si la crise a ralenti la mise en œuvre des volontés du législateur de 2019, une ordonnance devrait cependant fixer dans les jours prochains les bases de ce qui serait une garantie dénommée « Certification périodique des professionnels de santé à Ordre ». Depuis le mois de février 2021, Monsieur Olivier VERAN, Ministre des Solidarités et de la Santé, a en effet sur son bureau un rapport de l’IGAS* de 156 pages qui n’a pas été rendu public et que nous nous sommes procuré.
Concernant les délais, après avoir précisé que « l’article 5 de la loi de 2019 confie au gouvernement une habilitation large et une marge de manœuvre certaine pour mettre en place des dispositifs de recertification des sept professions concernées » le rapport IGAS rappelle toutefois que l’échéance de l’habilitation est fixée à juillet 2021 (l’article 24 de la loi 2020-734 du 17 juin 2020 ayant repoussé d’un an le délais prévu pour l’ordonnance).
Au final, pour respecter les délais de présentation en Conseil des Ministres avant saisine du Conseil d’Etat, la date limite pour la publication de l’ordonnance est le 25 juillet pour une publication le 26 juillet au plus tard.
On notera au passage que l’ordre des infirmiers était bien présent à la concertation de l’IGAS sous forme de table ronde, mais que les syndicats professionnels n’ont pas été conviés. Seule la consultation de l’UNPS présenterait, selon l’IGAS, un caractère obligatoire.
A quoi doivent se préparer les infirmiers ?
Si les ordonnances sont publiées dans les délais et suivent les propositions de l’IGAS, les professionnels concernés devront s’inscrire dans une démarche de recertification, tous les 6 ans pour les nouveaux diplômés avec un bilan d’étape à mi-parcours et sur une période de 9 ans pour les professionnels en exercice. La périodicité reviendra ensuite à 6 ans.
Ils devront construire une recertification valorisée par des crédits de souscription aux différents types d’actions de formations DPC existantes et d’en ajouter de nouvelles mises à disposition au fil du temps sur une période de 6ans. Pour ce faire ils devront activer leur compte présenté sous la forme d’un « portfolio dématérialisé ».
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Ce portfolio prendra en compte les démarches qualité dés lors qu’elles sont portées par les pouvoirs publics ou les professions (ordres, syndicats). Les démarches qualité telle que « Qual’Idel » mise en œuvre il y a quelques années par la Fédération Nationale des Infirmiers, générera des crédits pour la recertification des professionnels qui s’y sont engagés.
Lorsque l’infirmier aura satisfait à l’ensemble du processus, une attestation dite « attestation de conformité au parcours de recertification » sera transmise au Conseil Départemental de son Ordre d’inscription. Cette attestation lie le Conseil de l’Ordre dans la validation de la certification et garantit ainsi au professionnel la conformité et l’opposabilité de cette attestation. Dans les cas où malgré une aide du Conseil National Professionnel aux infirmiers dont le parcours de recertification ne serait pas conforme, l’ordre compétent proposera un passage devant ses commissions permettant un ultime « repêchage » avec mise en œuvre d’un dernier parcours complémentaire.
Qui financera le processus de recertification ?
Concernant le financement du dispositif, le rapport IGAS n’est pas très éloquent (1 page sur 156), il se contente de préciser "qu’aucun chiffrage du coût et des modalités de financement n’a été précisé dans le rapport UZAN ou dans l’étude d’impact de la loi de juillet 2019".Si l’on se réfère au fameux rapport UZAN, le financement pourrait être envisagé à deux niveaux, ce qui relève d’un choix de santé publique et impose à la tutelle d’en assurer le financement,ce qui relève du praticien lui-même et de son exercice et qui peut être financé soit par un organisme d’état pour la part obligatoire, soit par le professionnel lui-même en particulier pour la part optionnelle (avec éventuellement un avantage assurantiel).
Il y a donc fort à parier que les infirmiers, comme les autres professionnels libéraux devront mettre la main à la poche.
Pour autant, en matière de contrôle, le rapport remis au Ministre trouve nécessaire de « prévoir des contrôles ciblés plus approfondis permettant de s’assurer de l’efficacité des actions conduites. Une option pour ce faire consisterait à confier le pilotage de contrôles de recertification de second niveau à la HAS qui délèguerait des experts visiteurs auprès des professionnels tirés au sort ou en fonction de ciblages particuliers ».
Ces contrôles seront-ils facturés aux professionnels concernés ? Le rapport ne le précise pas. Mais souvenons-nous qu’en République Populaire de Chine, la facturation pour « frais d’exécution » n’est pas une légende, elle est d’environ 80 yuans soit 8 euros à laquelle seraient joints les liens du prisonnier et la douille.
Philippe Tisserand-One Another Consulting
*Rapport IGAS, n° 2020-028R – « Etat des lieux et propositions en vue de la préparation des ordonnances sur la « recertification » des professionnels de santé à Ordre. ».