Retraites : pourquoi Macron, Borne et Dussopt ont tort de tout miser sur le seul emploi des seniors...
Le relèvement de deux ans de l’âge de départ en retraite a deux vertus pour le président Macron et le gouvernement Borne. Primo, ramener rapidement les régimes de retraite à l’équilibre financier faute de quoi, selon le dernier rapport du conseil d’orientation des retraites (COR), le déficit cumulé du système (hors fonction publique) atteindra 665 à 900 milliards d’euros en 2050, l’équivalent de 11 à 16% du PIB. Secundo, permettre au marché du travail hexagonal de revenir au plein-emploi, c’est-à-dire à un taux de chômage peu ou prou de 5% de la population active, un niveau que l’on n’a plus atteint depuis la fin des années 1970.
Pour y parvenir, l’exécutif entend s’attaquer frontalement à l’emploi des seniors, en actionnant un panel de mesures destinées à faciliter le recrutement et le maintien en activité des plus de 55 ans. Et notamment la mise en place d’un « Index Senior », pour l’heure à titre indicatif, dont seule la non-publication des résultats pourra - à ce stade du projet de loi - faire l’objet de sanctions financières… Au prix de quelques formations et autres aménagements du travail, les entreprises vont donc mécaniquement garder un plus longtemps leurs seniors en activité et reculeront, de deux ans en moyenne, le moment où elles s’en sépareront. Exactement comme elles l’ont fait en 2010 quand l’âge légal de départ en retraite a été progressivement relevé de deux ans, entrainant sur la décennie suivante un bond de 15 points du taux d’emploi des seniors…
L’objectif du gouvernement est donc clair : rééquilibrer les comptes de l’assurance-vieillesse en actionnant uniquement la borne d’âge du départ à la retraite. Et ce, pour d’une part limiter les dépenses immédiates en repoussant les liquidations d’activité et pour d’autre part faire rentrer plus de recettes dans les caisses du fait de l’augmentation du nombre de cotisations. Et c’est aussi sa principale limite car le problème de l’emploi en France ne réside pas que dans l’âge légal de départ des actifs - d’ailleurs, l’âge effectif est plus élevé et tourne, hors catégories actives, aux alentours de 63,5 ans. Non, le problème tient avant tout à la quantité d’emploi (insuffisante) travaillée dans le pays.
Alors certes, le taux d’emploi des Français bat des records en sortie de crise sanitaire. A 68,3% au 3è trimestre 2022, dernier chiffre de l’Insee connu, il est au plus haut comme se plait à le rappeler Olivier Dussopt. C’est vrai. Mais ce résultat historique occulte d’autres disparités inquiétantes : c’est un peu l’arbre qui cache la forêt. Et ce pour au moins 4 raisons. 1/ S’il est dans la moyenne européenne, le taux d’emploi tricolore demeure inférieur à ceux de plusieurs de nos voisins, à commencer par l’Allemagne et ses 76% de 15/64 ans en emploi. 2/ S’ils sont en nette hausse ces dernières années, les taux d’emploi des 15/24 ans et 55/64 ans sont eux-aussi nettement en deçà, en moyenne de 5 à 10 points, des standards européens. Dit autrement, si on travaille beaucoup en France dans la force de l’âge (et même plus sur la seule tranche des 25/54 ans), on pêche par rapport à nos voisins sur les taux d’emploi à l’entrée et à la sortie de la vie active.
3/ Autre facteur plombant, le taux d’emploi hexagonal des non-qualifiés est inférieur de près de 10 points à celui de l’Allemagne. Or dix points, comme l’a calculé Denis Ferrand, le directeur de l’institut Rexecode, "ce sont 700.000 personnes en emploi de plus et 45 milliards d’euros de PIB en plus". 4/ Les temps partiels en France, qui concernent quelque 18% des emplois et 4 fois sur 5 les femmes, sont majoritairement subis et pourraient, s’ils étaient relevés, augmenter considérablement le nombre d’heures travaillées dans le pays. 5/ Si les Français en emploi travaillent autant par semaine que leurs homologues, ils travaillent nettement moins sur l'année (57 heures par an par rapport à l'Allemagne, par exemple) et l'ensemble d'une vie.
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Pourquoi dès lors bâtir toute la philosophie du rééquilibrage des comptes vieillesse sur la seule borne de sortie d’activité, c’est-à-dire l’âge de départ en retraite ? Pourquoi ne pas agir également sur les autres points faibles de la distribution statistique alors que les tensions de recrutement et le nombre de postes vacants dans les entreprises n'ont jamais été aussi importants ? A savoir sur la borne d’entrée, en augmentant le nombre de jeunes en emploi ou en les incitant à rentrer plus tôt sur le marché du travail. A savoir sur le niveau de formation des personnes non ou peu qualifiés, en leur proposant des cursus diplômants qui améliorent leur employabilité.
A savoir sur les considérants annexes, comme les modalités de garde d’enfants qui, faute de places en crèche, condamnent tant de femmes au chômage, ou comme l’accès au logement qui, faute d’hébergement, limitent la mobilité des salariés ou demandeurs d’emploi. A savoir sur le temps de travail sur l'année "en supprimant des jours de congé, des RTT, des jours fériés ou en assouplissant le recours aux forfaits jours", comme le recommandait récemment Geoffroy Roux de Bézieux, le président du Medef; u encore en élargissant les autorisations de travailler le dimanche, en desserrant la réglementation sur la durée quotidienne du travail voire en revoyant, par la négociation, l'organisation du travail en entreprise...
Les Macronistes diront que tous ses aspects sont pris en compte dans la politique de l’emploi mise en œuvre depuis 5 ans. L’apprentissage et le plan « 1 jeune 1 solution » à destination des jeunes ont ainsi fait décoller leur taux d’emploi au-dessus des 30% et grimper la part des jeunes en emploi grâce à une subvention publique au-delà des 40%, du jamais vu. Le plan d’investissement dans les compétences (PIC) a mis 15 milliards d’euros sur la table pour former depuis 2018 pas moins d’un million de demandeurs d’emploi et un million de salariés peu qualifiés aux métiers d’avenir. La réforme de l’assurance-chômage, déployée depuis un an, va inciter les chômeurs indemnisés à reprendre plus rapidement un emploi. La déclinaison Travail du Conseil national de la refondation (CNR), lancé après son élection par le président Macron, doit justement traiter de tous les irritants d’accès à l’emploi pour les populations qui en sont le plus éloignées…
A raison. Mais toutes ces solutions, si utiles soient-elles à leur niveau, demeurent bien timides pour doper le taux d’emploi en France au regard du rouleau compresseur du relèvement de l’âge de départ en retraite. Agir sur la seule borne d’âge de fin de carrière permet surtout aux pouvoirs publics de ne se pencher que sur la question (il est vrai problématique et centrale) de l’emploi des seniors, en mettant tous les actifs devant le fait accompli, plutôt que de mettre en œuvre des politiques plus ciblées, notamment en coordination avec les entreprises, sur les autres grandes inégalités du marché du travail dans le pays. A savoir, l’entrée des jeunes dans la vie active, la place des femmes dans l’emploi et l’employabilité des personnes peu voire pas qualifiées…
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