Ces entreprises qui voient les étrangers comme une chance pour la France...
J’ai attendu la fin de l’examen au Sénat (le vote solennel est prévu ce mardi 14 novembre, avant son passage à l’Assemblée en décembre) du projet de loi sur l’immigration pour aborder ce sujet sociétalement sensible et politiquement inflammable. Je voulais voir comment les Sénateurs allaient détricoter l’article 3, qui prévoyait une régularisation des clandestins travaillant dans des métiers en tension. J'ai vu. Non que la suppression de la mesure (remplacée par l’introduction dans la loi de la circulaire Valls donnant la main aux préfets, mais dans des conditions extrêmement restrictives) soit une surprise mais, avec les Politiques, on n’est jamais déçu. La preuve, les Sénateurs (de droite) sont fiers de dire qu’ils ont « durci » et « musclé » le texte proposé par Gérald Darmanin en le faisant passer de 27 à… 96 articles !
Mais de là à dire que l’affaire est pliée, loin s’en faut. L’aile gauche du groupe Renaissance à l'Assemblée nationale a déjà annoncé qu’elle allait revenir, peu ou prou, à la copie initiale du projet de loi du ministre de l’Intérieur et des députés Les Républicains, Aurélien Pradier en tête, que la nouvelle mouture créait une « brèche immense » en matière de régularisation… Comprenne qui pourra et les semaines qui viennent nous promettent encore de belles arguties et démonstrations allant dans un sens et dans l’autre. « On a les politiques qu’on mérite », a récemment expliqué, à raison, la politologue Chloé Morin.
Mais passons, là n’est pas le sujet. Qu’on le veuille ou non, la France a besoin des travailleurs étrangers… déjà présents dans notre économie. Selon l’Insee, ils représentent aujourd’hui 6% des actifs, avec une surreprésentation parmi les ouvriers (11%) et les artisans/commerçants (8%). Certains secteurs d’activité n’existeraient pas sans ces travailleurs étrangers qui représentent entre un quart et un tiers de leurs emplois : employés de maison, agents de gardiennage et sécurité, ouvriers du bâtiment et travaux publics, cuisiniers, agents d’entretien…
On ne sait pas combien de ces travailleurs étrangers sont clandestins. Tout juste sait-on que quelque 7000 d'entre eux en situation irrégulière sont régularisés chaque année pour des motifs de travail mais ils sont probablement plus nombreux à vivre cachés. Reste que l’évolution de la démographie, liée à la natalité en France qui a dramatiquement chuté en dix ans au point de ne plus assurer le renouvellement des générations (on devrait passer sous la barre des 700.000 bébés par an en 2023), nous condamne, si on veut maintenir notre niveau de vie et notre croissance, à recourir massivement à l’immigration et à faire une place aux étrangers dans l’économie.
Certaines entreprises l’ont d'ailleurs bien compris et agissent depuis longtemps, sans aucune visée politique, en ce sens. Je pense notamment au groupe Adecco qui a rejoint en 2020 le Tent Partnership for Refugees, une coalition de 170 entreprises soutenant les réfugiés, et s’engage à trouver un emploi à 50.000 migrants d’ici 2025. « Être réfugié n’est jamais un choix, a récemment rappelé Christophe Catoir, le président d’Adecco. Comme chacun, ils ont des compétences et un potentiel, et nous pouvons les mettre en relation avec des employeurs qui reconnaissent et apprécient leurs compétences ». Le groupe a encore lancé il y a plus d’un an le site adeccojobsforukraine.com en réponse à la guerre en Ukraine et mis en relation plus de 10.000 réfugiés ukrainiens avec des entreprises françaises.
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D’autres entreprises, plus modestes, ont même fait de l'intégration des étrangers leur raison d’être. Je pense notamment au traiteur solidaire et engagé Les Cuistots migrateurs, qui recrute des réfugiés politiques pour les transformer en cuisiniers qui mitonnent des petits plats de leur pays d’origine. Résultat, la start-up montée par Louis Jacquot et Sébastien Prunier propose une carte riche de plus de 70 plats du monde et a déjà permis de créer près d’une cinquantaine d’emplois en France.
La proportion est tout autre pour le groupe Inditex qui, grâce au projet Jeunes lancé en 2008 par le DG France de l’époque Jean-Jacques Salaun, permet à une dizaine de réfugiés politiques par semestre (il y a deux promos de 15 jeunes par an) de devenir vendeurs chez Zara et maintenant d’une autre enseigne du groupe. En 15 ans, près de 500 jeunes (afghans, syriens, comoriens, tibétains, arméniens…), dont beaucoup ne parlaient pas ou alors mal français au début du programme, sont passés par le projet et pas moins de 60% (et 90% pour les 15 dernières promotions) sont encore dans l’entreprise, parfois à des postes à responsabilité. Respect.
D’autres entreprises encore ont décidé de faciliter l’insertion de ces publics de réfugiés en difficulté. C’est le cas de Welcome place, néo-banque francilienne qui propose des solutions bancaires à un public (réfugiés, travailleurs ou étudiants étrangers) n’ayant accès à aucun service de ce type. L’objectif des cofondateurs, Rooh Savar et Caroline Span, est d’accélérer le temps d’intégration des nouveaux arrivants sur le territoire national en le faisant passer de 5 à 10 ans actuellement à un an en 2025. La start-up, qui a été récompensé récemment par la Fabrique Abeille assurances, compte déjà 1000 clients (elle en projette 85.000 en 2025 et... un million en 2027) et quelques beaux partenaires comme Adecco, Manpower, la Croix Rouge ou encore le groupe Up.
C’est encore le cas de Konexio, jeune pousse créée par la chercheuse américaine d’origine chinoise Jean Guo, qui lutte contre l’illectronisme dont souffrent notamment les personnes étrangères, en proposant à tous des formations numériques aux savoirs de base ou encore des parcours BtoB sur mesure pour les salariés de partenaires privés (Galeries Lafayette…). Multi-lauréat de prestigieux prix (Viva technology, Ashoka, Fondation la France s’engage, Google impact challenge…), la start-up a déjà monté quelque 6000 parcours de formation depuis 2016 (dont 1500 au seul 1er semestre 2023) et devrait démultiplier son impact dans les mois à venir.
Co-Founder & CEO at Welcome Account | Leading Fintech Solutions for Newcomers | President @ SINGA
1 ansMerci Marc pour mettre la lumière sur notre néo-banque !
VP Head of coms - Comex - 17 years + of experience helping public & private companies to reach their business objectives through 360 coms strategy (& soft skills)- member of executive comittee
1 ansMerci Marc Landré pour cette analyse très juste et revenir sur les initiatives de The Adecco Group sur le sujet ! C’est le cœur de notre raison d’être : favoriser l’insertion professionnelle de tous, en prenant en compte son histoire, ses p-e officiâtes et son parcours au sens large.