Tech et Climat : et si on se posait les bonnes questions ?

Tech et Climat : et si on se posait les bonnes questions ?


Quand j’étais petite, le combat pour l’écologie c’était un combat pour après. On parlait des générations futures’. Maintenant ce combat se vit au présent : 

Le printemps est devenu silencieux;

Les émissions de CO2 n’ont jamais été aussi élevées et si on continue à ce rythme là il nous suffira de 11 années pour exploser notre budget carbone. 

Face à ce constat, je me suis d’abord sentie toute petite. Envahie par un sentiment d’impuissance. Écrasée par l’éco-anxiété. Certains font des dépressions amoureuses, moi c’est la dépression climatique qui m’a soufflée; 

Alors, pour essayer de m’en sortir, j’ai voulu mieux comprendre le problème :  j’ai binge watché toutes les vidéos de Jean-Marc Jancovici que je pouvais trouver sur internet et imprimé religieusement les milliers de pages du rapport du GIEC en guise de livre de chevet. 

C’est simple, ma vie est devenue un bilan carbone. Je pouvais classer les grammes de CO2 par passager kilomètre de chaque mode de transport, hésiter 2 heures au rayon fruits et légumes en comparant l’impact d’une tomate bio marocaine et celle d’une tomate bio française élevée sous serre chauffée et compter les grammes de CO2 ingérés comme on compte les calories. Un morceau de poulet ?  -  50g de CO2.

A ce stade, j’ai commencé à me rendre compte que si je voulais continuer à avoir une vie sociale, des amis et un semblant de prise sur la réalité, il fallait que je change d’angle : que j’essaye de trouver des solutions. 

C’est là que j’ai commencé à éplucher tous les livres, études, papiers de recherche qui décrivent les futurs possibles qui nous permettraient de nous en sortir. Et dans ces scénarios de décarbonation, j’ai découvert petit à petit le miracle de la technologie.

La technologie, ça avait l’air d’être un concept génial - A chaque fois qu’il y a un problème il suffit d’inventer une technologie pour le résoudre. Il faut réduire les émissions des villes ? Inventons des ‘smarts city’ pour réduire le trafic et optimiser les déchets. On génère trop de carbone ? Inventons des aspirateurs géants pour l’aspirer et le stocker dans le sous-sol. La biodiversité s’effondre ? Pas grave, on peut créer des animaux virtuels dans le métavers. 

Plus je creusais et plus je prenais conscience que la plupart des scénarios de décarbonation étaient basés sur cette pensée magique que la technologie est la recette pour sauver l’humanité.

Et à cette époque là, moi aussi j’ai voulu y croire : croire qu’il suffisait de mettre la technologie dans les bonnes mains pour qu’on trouve les bonnes solutions.

Mais j’en suis  revenue. et ce soir j’ai envie de réfléchir avec vous à ce qu’il y a de contre-productif dans ce fétichisme du techno solutionnisme.

Tout d’abord, la technologie a toujours un impact en soi :  elle consomme des ressources : métal, eau, énergie. Le secteur du numérique par exemple représente 4% des émissions mondiales, avec une croissance de plus de 10% par an. Un ordinateur de 2 kilogrammes mobilise 22kg de produits chimiques, 240 kg de combustible et 1,5 tonne d’eau. 

Le ‘cloud’ qu’on s’imagine flottant comme un nuage, arriverait presque à nous faire oublier la matérialité de ce monde ‘immatériel’ : La tête dans les nuages pour oublier qu’on a la tête sous l’eau.  99 % des données numériques mondiales circulent par des câbles sous-marins, pour être ensuite stockées dans des monstres d’acier, les ‘data centers’. Ce secteur fait donc tout l’inverse de dématérialiser nos mondes et n’échappe pas plus aux contraintes physiques que le reste de la planète, mais par une stratégie de rapt sémantique, il tente de poétiser la destruction méthodique du vivant. 

La technologie a donc plein d’impacts. Mais vous me direz, si c’est le prix à payer pour des services  qui, au global, nous permettent de réduire nos émissions, c’est peut être un mal qu’il faudrait accepter ? 

Malheureusement, c’est sans compter sur une autre mauvaise nouvelle : l’effet rebond - Pour le décrire simplement, à chaque fois qu'une amélioration technique permet d'utiliser plus efficacement une ressource, on finit toujours par intensifier son usage, et donc par effacer les gains potentiels. L’exemple de l’aviation en est une illustration parfaite : on a réduit par plus de deux l’intensité carbone par passager kilomètre depuis les années 1990 et dans le même temps, le trafic a été multiplié par 4,5 donc on a multiplié par plus de deux les émissions absolues en 30 ans. On émet moins par unité, mais on consomme toujours plus d’unités. Et on peut généraliser ce phénomène pour à peu près tous les secteurs : je fais des travaux de rénovation énergétique, ma facture baisse, donc j'en profite pour me chauffer plus. J'achète une voiture plus performante, donc j'en profite pour rouler plus souvent et plus loin.

Mais en plus d’augmenter les usages, ces améliorations peuvent même en créer de nouveaux, qui étaient impossibles auparavant. La 5G offre une efficacité énergétique dix fois meilleure que la 4G à volume de données égale.  Mais dans le même temps elle fait exploser le volume de données (de 10 à 14 fois plus en 2025) - effet rebond - et ouvre la boîte de pandore de nouveaux usages comme le métavers, et objets connectés qui eux mêmes ont besoin de nouvelles ressources. Lors de son déploiement, on vantait son usage pour les réseaux de distribution d’électricité. La réalité dans les pays où elle a déjà été déployée c’est surtout une explosion des vidéos de chats et de candy crush. Et des vidéos de chats jouant à candy crush - générées par ces outils - la boucle est bouclée.

Et là vous me dites, si on parvient à trouver une source d'énergie parfaitement décarbonée et illimitée, on s'en fiche de l'effet rebond, non ? La réponse est non. Ce serait même le pire scénario comme le dit l’astrophysicien et philosophe Aurélien Barrau. Parce que cela ne changera rien tant qu'il sera toujours valorisé et économiquement efficient de transformer une forêt vierge en dalle de béton.

Le techno solutionnisme, c’est la solution à un problème mal posé. Le vrai problème c’est la vie qui meurt. Notre attitude prédatrice envers le vivant. Il faut cesser de ne s'intéresser qu'aux symptômes, et se rendre compte que c'est le cœur même de notre système qui n'est pas soutenable. Régler la crise environnementale par des solutions technologiques en espérant réduire nos émissions c’est comme tenter de soigner sa varicelle en mettant du fond de teint sur ses boutons. 

La question bien posée, ce n’est pas celle des externalités, mais des finalités. C’est celle de savoir dans quel monde nous souhaitons vivre.

Il ne s’agit pas de revenir à la bougie, mais de se demander à quelles conditions les solutions technologiques peuvent être utiles ? 

La technologie peut être utile si nous sommes techno-lucides, c'est-à-dire à condition que nous pensions  les fins avant les moyens. 

  • Nous ne pouvons plus nous payer le luxe de l’innovation pour l’innovation. Il faut sortir d’un usage boulimique des technologies. Interroger, prioriser les usages pour “mettre des ressources limitées au service de besoins raisonnés”. C’est une question politique car il s’agit de définir collectivement nos besoins - supprimer ce qui est de l’ordre du superflu, et conserver ce qui permettra non pas uniquement de survivre, mais de bien vivre. On peut peut-être considérer que de ne pas avoir tous des tongs connectées n’est pas un manque, et que c’est même plutôt un progrès. Cette question de la finalité, c’est une question qu’on se pose au quotidien avec Data for Good , l’ association que je co-préside avec Théo Alves Da Costa . Data for Good est né du constat que beaucoup trop de cerveaux brillants passaient plus de temps à faire cliquer des gens sur des pubs qu’à résoudre les grands défis du siècle. Nous sommes 4000 experts de la tech bénévoles à accompagner des associations d’intérêt général avec comme armes du code open source et l’envie d’agir, un octet à la fois. Par exemple, utiliser les données pour mettre fin à l’impunité des pratiques de pêche destructrices avec l’ONG Bloom. Concrètement, cela consiste à traquer des gros bateaux pour savoir quand ils pêchent là où ils n’ont pas le droit ou disent ne pas pécher alors qu’ils sont très clairement en train de le faire. Bloom a à ce jour déposé 3 plaintes ‘manuellement’,  en allant chercher toutes ces informations à la main. Avec Data for Good nous automatisons et industrialisons cette remontée d’information pour suivre plus de 2000 bateaux d’un coup et lutter contre la fraude. 
  • Une fois ces besoins établis, et seulement après, on peut commencer à concevoir des solutions pour y répondre. Elles doivent être conçues pour minimiser l’usage des ressources et remplacer les solutions plus polluantes: il faut que l’impact écologique de l’intégralité de la chaîne de valeur ne dépasse pas les impacts qu’il permet d’économiser. Cela veut dire accepter qu’il y a des projets qu’on ne fera tout simplement pas ou qu’il faudra arrêter plutôt que de placer un patch technologique. Concrètement Cela veut dire que chez  Data for Good, on refuse de développer des projets de capteurs ou d’éco-conception logicielle lorsqu’ils concernent des produits qui nous poussent à consommer des choses dont nous n’avons pas besoin - mais que nous acceptons d’accompagner des ONG qui ont un usage raisonné des ressources pour une fin qui sert l’intérêt général :  c’est le cas du projet Pyronear, construit pour aider les pompiers à lutter contre les incendies. Concrètement, un système technologiquement sobre (une caméra + un micro-ordinateur), pour consommer le moins de ressource possible: une consommation énergétique de 55 Watts  soit l’équivalent de 1/10 d'un grille-pain, est déposée sur une tour de guet.  Il analyse en temps réel ses images grâce à un modèle de deep learning open source pour détecter les départs de feu, et alerter le plus rapidement possible les pompiers. Ce projet est déjà déployé dans 7 zones en France, principalement en Ardèche et en Gironde pour protéger plus de 250 000 hectares de forêt (350 000 terrains de foot). La semaine dernière il a permis de détecter un départ d’incendie à plus de 15km de la tour. 

  • Enfin, pour être utiles, ces moyens doivent être pensés pour rendre les hommes et les femmes autonomes, par design. Ivan Illich, philosophe et penseur de l’écologie politique, définit l'outil convivial comme répondant à trois exigences : il doit générer de l’efficience sans dégrader l'autonomie personnelle, ne susciter ni esclaves ni maîtres, et élargir le rayon d'action personnel. Les réseaux sociaux sont des exemples parfaits d’outils non conviviaux : ils sont pensés pour capter notre attention et nous faire rester le plus longtemps possible. A l’inverse, un outil qu’on a voulu convivial avec data for good et l’association Open Food Facts, c’est d’aider les citoyens à mieux manger en développant un éco-score qui permet de comprendre l’empreinte carbone de son alimentation. Par exemple, découvrir qu’un 1 kilo de boeuf génère environ 29 kg de CO2 par rapport à 700g pour un 1 kilo de tomate, peut réellement aider à faire des choix de consommation éclairés, quand on sait que 40% des émissions mondiales proviennent de l’agriculture. Ce score est maintenant disponible sur plus de 750 000 produits dans le monde. 


Dans ma quête de solution j’ai compris que non, le techno-solutionnisme n’allait pas nous sauver. Mais j’ai aussi réalisé que c’était une chance, une chance d’inventer un autre rapport au monde; de redéfinir le confort,  le succès, l’important. 

Une chance de sortir d’une vision réduite de nos vies ou tout est optimisation. 

Une chance de découvrir la puissance du collectif et des liens vivants.

Une chance de vivre tout court.

Sur ce chemin, j’ai aussi découvert, grâce à l’économiste et philosophe Frédéric Lordon, que je pouvais être éco-furieuse plutôt qu’éco-anxieuse.  

Etre éco-furieuse c’est canaliser ses peurs vers des actions collectives concrètes et systémiques pour transformer radicalement les structures; c’est sortir d’un rapport psychologique, individuel à la crise environnementale pour aller vers un rapport politique de transformation du réel.

Etre éco-furieuse c’est réaliser que je ne suis pas complètement folle mais lucide dans un monde devenu fou. 

Alors soyons lucides, pour rester vivants. 

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Bonjour à tous ici présents sur ce réseau 😉, je partage totalement votre analyse Lou . Le monde avance très vite et la population augmente telle une pyramide. Les biens de consommation n'ont jamais été aussi nombreux et c'est le tgv de l'économie mondiale qui est en route. Nous avons oublié le bon sens du besoin primaire au détriment d'un confort polluant à outrance. Si chacun regarde à l'intérieur de sa maison, le constat est édifiant l'électroménager déborde des placards. C un simple exemple. Sans revenir au silex pour allumer le feu, l'idée de réfléchir avant de s'encombrer et d'acheter encore est d'analyser le besoin réel. Derrière le rideau, la productivité de masse est réalisée par une majorité de robots qui a réduit une population d'ouvriers . Si les solutions dites d'amélioration sont pensées par des blouses blanches pour assouvir des besoins artificiels et inutiles de la population grandissante, quid du mécanisme global. L'économie s'effondre. Moins de ventes, moins de production, encore moins d'emploi des petites mains, moins d'argent et là comment subvenir à nourrir toutes les bouches. Il ne faut pas baisser les bras pour le progrès mais il faut trouver raison sur chaque acte fait par chacun...

au lieu de parler technologie en permanence, pourquoi ne pas revenir au simple bon sens ; à quoi bon prendre le 4 X 4 pour aller à la boulangerie du coin et le soir même effectuer une heure de zumba en costume rose fluo ? Où est la logique ???

Gilles BRULE

Président chez ABINOV,développement de solutions contre le réchauffement climatique

1 ans

Il faut être réaliste en tout point. Climato-sceptique ou techno-sceptique ça revient au même Lou Welgryn. C'est refuser de faire bouger les choses dans un sens ou dans un notre. La solution sera complexe, une part d'économie, une part de technologie, et encore bien d'autres choses. La "sobriété" en elle seule ne suffira pas, surtout que les peuples des pays moins développé que le France souhaite arriver à un niveau de confort équivalent au notre. Notre mode de vie étant bien sûr très polluant. Il ne faut pas rejeter les solutions technologiques et se dire que rien ne viendra de ce coté. A titre d'exemple, le réchauffement climatique se traduit physiquement par l'augmentation de l'énergie des atomes. Et selon moi, je le démontre sur mon site, il serait possible de reconvertir cette énergie (chaleur) en énergie utile dans un cercle vertueux: chaleur = énergie = chaleur. Il est urgent d'agir et de se donner les moyens d'explorer des solutions nouvelles qui soient zapplicables à grandes échelles. Il ne faut pas aussi oublier que chaque litre de pétrole extrait de la terre devient le poison de notre climat. A voir les températures de cette année, nous sommes au bord du précipice.

Marine Fokke De Goëde

Finance Business Partner I Sustainability Ambassador #sustainability #business #analytics

1 ans

J'aime beaucoup le trait d'esprit de "la tête dans les nuages" à "la tête sous l'eau" ... Merci pour cet article !

Que vous achetiez de l'eau, de l'électricité, du gaz, du lait, du poisson, un appareil, un vêtement, un service bancaire, un séjour, quoique ce soit d'autre, un euro de dépense aura le même impact environnemental. . Chacun dépense pour ses charges, pour ses besoins, pour son confort s'il le peut, pour son épargne s'il le peut. L'épargne finalement dépensée n'est qu'un report de dépense. . Les gestes d'économie écologiques ne sont qu'un coup d'épée dans l'eau tant que l'argent non dépensé en supprimant un achat est dépensé dans un autre achat. . Pour agir efficacement en faveur de la nature, si vous le pouvez, épargnez puis gelez l'argent de la manière qui vous paraît la plus pertinente. . Vous pouvez par exemple investir de manière entrepreneuriale dans des entreprises qui le méritent pour bloquer la somme. . Pour diminuer votre impact environnemental vous pouvez réorienter une partie de vos dépenses dans la plantation d'un arbre voire de plusieurs. La diminution des dépenses participe à une décroissance des prélèvements dans la nature. . 🙂

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